Imaginez un instant : vous ouvrez votre application préférée et le petit badge bleu à côté d’un compte ne signifie plus rien. Plus de garantie d’authenticité, juste une icône que n’importe qui peut acheter. C’est exactement ce qui s’est passé sur X depuis le rachat par Elon Musk. Et l’Union européenne vient de dire stop, très fort.
120 millions d’euros : la première grosse sanction DSA est tombée
Vendredi dernier, la Commission européenne a officiellement infligé une amende de 120 millions d’euros à la plateforme X. Il s’agit de la toute première sanction financière prononcée dans le cadre du Digital Services Act, plus connu sous son acronyme DSA. Cette législation, entrée en vigueur il y a deux ans, impose aux très grandes plateformes des obligations strictes pour lutter contre les contenus illégaux et dangereux.
Cette décision n’est pas arrivée par surprise. Dès juillet 2024, Bruxelles avait notifié à X trois griefs précis. Et c’est uniquement sur ces trois points que porte l’amende actuelle. Les enquêtes sur d’autres sujets, bien plus sensibles, sont toujours en cours.
Les trois infractions qui ont fait déborder le vase
Premier reproche majeur : la tromperie des utilisateurs via les coches bleues. À l’époque Twitter, ces badges étaient attribués après vérification d’identité. Ils servaient à signaler les comptes authentiques de personnalités, médias ou institutions. Depuis le rachat par Elon Musk en 2022, n’importe quel abonné payant peut obtenir ce badge. Résultat selon Bruxelles : les utilisateurs sont induits en erreur sur la fiabilité des sources.
Deuxième grief : un manque criant de transparence concernant la publicité diffusée sur la plateforme. Les règles européennes exigent que les utilisateurs puissent comprendre clairement qui paie pour promouvoir un contenu et pourquoi il leur est montré.
Troisième point : X a refusé l’accès à certaines données internes à des chercheurs agréés, pourtant prévu par le DSA pour permettre des études indépendantes sur les phénomènes de viralité ou de désinformation.
« Nous ne sommes pas là pour imposer les amendes les plus élevées, mais pour nous assurer que nos lois sur le numérique soient respectées »
Henna Virkkunen, vice-présidente de la Commission européenne
Une réaction politique immédiate et très musclée
Avant même l’annonce officielle, le vice-président américain JD Vance avait pris les devants. Sur son compte, il avait dénoncé une attaque contre la liberté d’expression et qualifié la procédure de « foutaises ». Elon Musk l’a immédiatement remercié publiquement. Le ton était donné.
Cette séquence illustre parfaitement la tension croissante entre Washington et Bruxelles sur la régulation des géants technologiques américains. Cette année, les États-Unis n’ont cessé de critiquer les lois européennes, les accusant de cibler spécifiquement leurs champions nationaux.
Fin novembre, des responsables américains en visite à Bruxelles avaient même tenté un marchandage : assouplir le DSA en échange d’une baisse des droits de douane sur l’acier européen. Proposition balayée d’un revers de main par les Européens, qui ont rappelé leur souveraineté législative.
120 millions, c’est beaucoup… et en même temps très peu
Sur le papier, le DSA permet des amendes pouvant atteindre 6 % du chiffre d’affaires mondial annuel pour chaque infraction. Pour X Corp, cela représenterait théoriquement plusieurs milliards d’euros. Les 120 millions actuels apparaissent donc presque cléments.
Mais Henna Virkkunen a justifié ce montant en expliquant qu’il avait été calculé en fonction de la nature, de la gravité et de la durée des infractions. Un signal fort, mais mesuré. Car l’essentiel est ailleurs : faire respecter la loi.
Et surtout, rappeler que d’autres enquêtes, bien plus lourdes, sont en cours. Celles-ci portent sur la modération des contenus illégaux et la lutte contre la désinformation. Des sujets infiniment plus sensibles, surtout dans le contexte électoral mondial actuel.
TikTok échappe à la sanction… pour l’instant
Le même jour, la Commission a annoncé avoir accepté des engagements pris par TikTok concernant la transparence publicitaire. La plateforme chinoise a modifié ses pratiques pour se mettre en conformité, évitant ainsi une procédure formelle.
Cette différence de traitement illustre la méthode européenne : dialogue d’abord, sanction ensuite si nécessaire. X a préféré la confrontation. Résultat : une facture salée et une image abîmée.
Vers une guerre ouverte entre l’Europe et les GAFAM ?
Cette amende n’est qu’un épisode d’une bataille beaucoup plus large. L’Europe a décidé de ne plus subir la loi des plateformes américaines (et chinoises). GDPR, DMA, DSA, AI Act… les textes s’empilent, les sanctions aussi.
De l’autre côté de l’Atlantique, on crie à la protectionnisme déguisé et à l’atteinte à la liberté d’expression. Donald Trump, même s’il a rompu bruyamment avec Elon Musk en juin, partage globalement cette vision. La réconciliation récente entre les deux hommes pourrait changer la donne.
Car si les enquêtes en cours aboutissent à des amendes bien plus lourdes, on pourrait assister à une véritable crise diplomatique. L’Europe tient bon sur sa souveraineté numérique. Les États-Unis défendent leurs géants. Et au milieu, les utilisateurs européens qui veulent simplement une information fiable et des publicités transparentes.
Une chose est sûre : cette amende de 120 millions d’euros n’est qu’un début. Les prochains mois risquent d’être particulièrement mouvementés dans le ciel déjà orageux des relations transatlantiques numériques.
À retenir : Cette sanction ne concerne que trois infractions techniques notifiées en 2024. Les enquêtes sur la désinformation et les contenus illégaux se poursuivent et pourraient déboucher sur des amendes autrement plus lourdes. L’Europe montre qu’elle est prête à faire respecter ses règles, quel qu’en soit le prix politique.
Le bras de fer ne fait que commencer.









