Imaginezmir, Istanbul, Ankara… Depuis vendredi matin, la Turquie du football retient son souffle. Une vague d’arrestations sans précédent vient de frapper le championnat : 46 mandats, dont 29 concernent des joueurs professionnels de première et deuxième division. Des noms circulent déjà, et pas des moindres.
Le plus vaste coup de filet jamais réalisé dans le football turc
Le parquet d’Istanbul a frappé fort. Parmi les 46 personnes recherchées, 35 ont déjà été interpellées au moment où ces lignes sont écrites. L’accusation principale ? Avoir parié sur des rencontres de championnat, y compris, pour certains, sur les matchs de leur propre équipe.
Dans le lot, on retrouve Metehan Baltacı, défenseur de Galatasaray, le triple champion en titre. Un autre joueur très connu, Mert Hakan Yandaş de Fenerbahçe, est soupçonné d’avoir utilisé un intermédiaire pour placer des paris sur plusieurs rencontres. Deux clubs mythiques, deux joueurs emblématiques : l’affaire prend immédiatement une dimension nationale.
Un match de troisième division qui a tout déclenché
Tout serait parti d’une rencontre de TFF 2. Lig (troisième division) lors de la saison 2023-2024. Les deux équipes se sont affrontées pendant 90 minutes… sans qu’aucun tir ne soit tenté des deux côtés. Zéro frappe, zéro corner dangereux, zéro envie visiblement partagée de ne surtout pas marquer. Le match a immédiatement attiré l’attention des autorités.
Les présidents des deux clubs sont aujourd’hui visés pour « tentative d’influence sur le résultat ». Ils font partie des 46 mandats d’arrêt. L’histoire peut paraître presque comique si elle n’était pas aussi grave : un 0-0 arrangé au point de frôler l’absurde.
Des paris sur son propre match : l’accusation la plus lourde
Sur les 29 joueurs concernés, 27 sont soupçonnés d’avoir parié sur des rencontres de leur propre équipe. En Turquie comme ailleurs, cette pratique est considérée comme l’une des formes les plus graves de corruption sportive. Elle peut valoir des peines de prison et des interdictions à vie.
Les deux restants sont accusés d’avoir conclu un accord pour influencer le résultat d’un match Ümraniyespor – Giresunspor en décembre 2023. Six personnes, dont un joueur encore en activité, sont visées par cette branche précise de l’enquête.
Arbitres, commentateurs et anciens présidents dans le viseur
L’affaire ne s’arrête pas aux joueurs et dirigeants. Un arbitre de Süper Lig, un ancien président d’Adana Demirspor et même un célèbre commentateur sportif accompagné de son épouse sont actuellement en garde à vue pour « transactions financières suspectes ». Le filet se resserre sur l’ensemble de l’écosystème du football turc.
Début novembre, six arbitres et le président d’Eyüpspor (club de D1) avaient déjà été incarcérés dans le cadre de la même enquête. Le mouvement de purge est donc en marche depuis plusieurs semaines.
La Fédération turque passe à l’action radicale
Face à l’ampleur du scandale, la Fédération turque de football (TFF) a décidé de frapper fort. Près de 150 arbitres ont été suspendus provisoirement pour avoir parié sur des matchs, puis définitivement révoqués. Vingt-cinq joueurs de Süper Lig et près de 1 000 autres évoluant en divisions inférieures ont écopé de suspensions allant jusqu’à douze mois.
« Nous voulons nettoyer le football turc une bonne fois pour toutes », a déclaré la TFF dans un communiqué début novembre.
Pourquoi ce scandale tombe-t-il maintenant ?
Le timing n’est pas anodin. La Turquie brigue l’organisation de l’Euro 2032 avec l’Italie et doit montrer patte blanche à l’UEFA. Un championnat gangréné par les paris illégaux serait un handicap majeur. Cette opération mains propres ressemble donc aussi à une réponse politique et diplomatique.
Par ailleurs, les plateformes de paris en ligne ont explosé ces dernières années en Turquie malgré l’interdiction officielle. Les réseaux clandestins se sont multipliés, et le football, sport roi, est devenu une cible privilégiée.
Conséquences sportives immédiates
À l’heure actuelle, les clubs n’ont pas encore communiqué sur d’éventuelles suspensions internes. Mais avec 29 joueurs arrêtés ou recherchés, plusieurs équipes de Süper Lig et de D2 risquent de se retrouver décimées dès les prochains matchs.
Galatasaray et Fenerbahçe, déjà sous tension sportive cette saison, se retrouvent au cœur de la tourmente médiatique. La rivalité légendaire entre les deux clubs prend une nouvelle dimension : celle de la honte partagée.
Vers une refonte totale du système ?
Ce scandale pourrait marquer un tournant. La TFF a promis des contrôles renforcés, une collaboration accrue avec les autorités et la mise en place d’un système de surveillance des flux financiers autour des acteurs du football.
Mais pour beaucoup d’observateurs, le mal est plus profond. Salaires parfois en retard, pression des supporters, tentation facile des paris clandestins… Le foot turc traîne depuis longtemps des casseroles que ce scandale met brutalement en lumière.
Une chose est sûre : le championnat turc ne sortira pas indemne de cette affaire. Reste à savoir si cette crise sera l’électrochoc nécessaire pour une vraie purification, ou si elle ne fera que déplacer le problème quelques années plus tard.
Pour l’instant, les supporters retiennent leur souffle. Et les prochains matchs risquent d’avoir un goût bien amer.
