Et si la paix en Ukraine se jouait, non pas seulement à Kiev ou Moscou, mais aussi à Washington et Pékin ?
Cette question, lourde de conséquences, flotte désormais au-dessus des capitales européennes. Vendredi, depuis la Chine où il achevait une visite d’État, Emmanuel Macron a livré un message clair, presque solennel : l’Europe doit maintenir l’effort de guerre en faveur de l’Ukraine, refuser toute division avec les États-Unis et continuer à faire pression sur l’économie russe.
Un appel ferme à l’unité transatlantique
« L’unité entre les Américains et les Européens sur la question ukrainienne est indispensable », a martelé le président français devant les journalistes qui l’accompagnaient.
Dans un contexte où l’arrivée prochaine de Donald Trump à la Maison-Blanche fait craindre un changement brutal de doctrine, ces mots prennent une dimension particulière. Macron refuse catégoriquement ce qu’il appelle « l’esprit de division » entre les deux rives de l’Atlantique.
« Il ne faut surtout pas céder à aucun esprit de division entre Européens et Américains. Nous avons besoin des États-Unis pour avoir la paix. Les États-Unis d’Amérique ont besoin de nous pour que cette paix soit robuste et durable. »
Cette phrase, prononcée avec gravité, résume à elle seule la position française : pas de paix viable sans les États-Unis, mais pas non plus de paix crédible si l’Europe se désengage.
La peur d’une « trahison » américaine sur les territoires
Derrière les déclarations publiques, les échanges privés sont plus crus.
Selon des informations relayées par la presse allemande, Emmanuel Macron aurait, lors d’une visioconférence avec plusieurs dirigeants européens et Volodymyr Zelensky, évoqué le risque que les États-Unis « trahissent » l’Ukraine sur la question des territoires occupés, sans offrir de garanties de sécurité claires en contrepartie.
Interrogé sur ce terme très fort de « trahison », le président français a préféré botter en touche, assurant simplement que Européens et Américains étaient « sur la même ligne » concernant les garanties de sécurité nécessaires à Kiev.
Cette prudence dans la formulation publique contraste avec l’inquiétude palpable dans les couloirs bruxellois et parisiens. L’idée qu’un accord rapide, négocié directement entre Washington et Moscou, pourrait sacrifier les intérêts ukrainiens sur l’autel d’un apaisement global hante nombre de chancelleries.
Maintenir « l’effort de guerre » : qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Pour Emmanuel Macron, maintenir l’effort de guerre ne veut pas dire refuser toute négociation. Au contraire.
Il s’agit de poursuivre « les pourparlers qui préparent la paix » tout en « accroissant la pression, en particulier sur l’économie russe ». Autrement dit : pas de levée des sanctions tant qu’un accord juste et durable n’est pas trouvé.
Ce discours en deux temps – soutien militaire et diplomatique à l’Ukraine d’un côté, recherche active de la paix de l’autre – est devenu la marque de fabrique de la diplomatie française depuis 2022.
Les trois piliers de la position française actuelle :
- Renforcement des capacités défensives ukrainiennes
- Maintien et durcissement des sanctions contre la Russie
- Recherche d’une paix qui respecte le droit international et la souveraineté ukrainienne
La Chine, levier ou spectateur ?
Autre axe majeur de cette séquence diplomatique : le rôle de la Chine.
Emmanuel Macron a longuement échangé avec Xi Jinping lors de son séjour. Objectif affiché : convaincre Pékin d’user de son influence sur Moscou pour pousser Vladimir Poutine vers la table des négociations.
À l’issue de ces discussions, le président français s’est voulu optimiste, déclarant avoir « vu une volonté du président Xi de contribuer à la stabilité et à la paix » et que la Chine avait « pris en compte les arguments européens sur la nécessité d’une paix « robuste et durable ».
Mais dans les faits, aucun engagement concret n’a été annoncé. Pékin continue de se poser en acteur neutre, proposant des plans de paix en douze points qui, s’ils sont salués pour leur existence, peinent à convaincre par leur manque de pression réelle sur la Russie.
La Chine reste le premier partenaire commercial de la Russie et continue de fournir des composants à double usage qui alimentent l’effort de guerre russe. Difficile, dans ces conditions, d’y voir un véritable tournant.
Vers une Europe de la défense plus autonome ?
Ce qui frappe dans le discours macronien, c’est aussi ce qu’il dit entre les lignes.
En insistant sur la nécessité d’une paix « robuste et durable » qui nécessite l’Europe, le président français pose indirectement la question de la capacité européenne à peser seule si jamais les États-Unis se désengageaient partiellement.
C’est tout l’enjeu des débats actuels sur le réarmement européen, le fonds européen de défense ou encore la possibilité, encore hypothétique, dissuasion nucléaire européenne.
Car si demain Washington décidait de privilégier un accord rapide avec Moscou, l’Europe se retrouverait en première ligne, géographiquement et stratégiquement.
Une paix juste est-elle encore possible ?
La question centrale reste celle des conditions d’une paix acceptable.
Pour Kiev et la majorité des Européens, tout accord doit inclure le retrait russe des territoires occupés (y compris la Crimée) et des garanties de sécurité solides, idéalement sous forme d’adhésion à l’OTAN ou d’accords bilatéraux forts.
Pour Moscou, et probablement pour une partie de l’administration Trump à venir, la reconnaissance de l’annexion de fait des territoires conquis pourrait être un préalable à tout cessez-le-feu durable.
Entre ces deux lignes rouges, l’espace de compromis paraît étroit. D’où l’insistance française sur la nécessité de maintenir la pression : seule une Russie affaiblie économiquement et militairement acceptera un accord qui ne soit pas une capitulation déguisée de l’Ukraine.
Le temps joue-t-il pour ou contre Kiev ? La réponse dépendra largement de la cohésion occidentale dans les mois à venir.
Emmanuel Macron, en appelant à l’unité et à la persévérance, sait que l’Europe entre dans une phase décisive de son histoire. Une phase où elle devra peut-être, pour la première fois depuis 1945, assumer seule une partie de sa sécurité.
Le message est clair : pas de paix sans justice, pas de justice sans unité, et pas d’unité sans effort continu.
L’histoire jugera si cet appel aura été entendu.









