Imaginez un concours de chant devenu champ de bataille diplomatique. Un simple télé-crochet où les paillettes se mêlent aux drapeaux, où une chanson peut déclencher des retraits en cascade et des déclarations ministérielles. C’est exactement ce qui se passe autour de l’Eurovision 2026, organisée en Autriche. Et cette fois, la France a choisi son camp avec une fermeté rare.
La France dit non au boycott d’Israël
Vendredi, France Télévisions a officiellement confirmé deux choses : la participation française à l’Eurovision 2026 reste acquise, et le groupe public soutient sans ambiguïté la présence de la chaîne israélienne KAN. Un positionnement clair, presque tranchant, dans un contexte où plusieurs pays ont déjà annoncé leur retrait.
Ce n’est pas une surprise totale. Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions, occupe actuellement la présidence de l’Union européenne de radio-télévision (UER), l’organisme qui gère le concours. Lors de l’assemblée générale qui s’est tenue à Genève, une large majorité des diffuseurs membres a refusé d’ouvrir un vote sur l’exclusion d’Israël. La France a visiblement pesé de tout son poids pour éviter cette issue.
« Une large majorité a convenu de ne pas organiser un vote sur la participation » d’Israël.
Communiqué de l’UER
Jean-Noël Barrot entre en scène
Le ministre français des Affaires étrangères n’a pas attendu longtemps pour réagir. Sur X, Jean-Noël Barrot s’est félicité de cette décision et a salué le rôle joué par la France pour « empêcher un boycott d’Israël dans cette enceinte ».
Son message va plus loin. Il dénonce avec vigueur ce qu’il appelle « l’obscurantisme » des partisans du boycott, y compris dans les universités et les salles de spectacle. Et il pose une série de questions rhétoriques qui ont fait réagir :
« Faudrait-il, par opposition à la politique d’un gouvernement, pousser la bêtise jusqu’à interdire les romans de David Grossman, les films d’Amos Gitaï, les concerts d’Avishai Cohen et de Daniel Barenboïm ? »
Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères
En quelques lignes, le ministre résume le cœur du débat : faut-il punir un peuple entier et sa création artistique pour les choix politiques de son gouvernement ? La question divise profondément en Europe.
Les retraits s’enchaînent
La décision de l’UER a immédiatement provoqué une vague de désistements. L’Espagne, les Pays-Bas, l’Irlande et la Slovénie ont annoncé leur retrait dans les heures qui ont suivi. D’autres pays pourraient suivre.
Du côté espagnol, le ton est très dur. Le secrétaire général de RTVE, Alfonso Morales, a expliqué que la situation à Gaza, même après le cessez-le-feu, et « l’utilisation du concours à des fins politiques par Israël » rendaient impossible le maintien d’un événement culturel « neutre ».
Les pays ayant annoncé leur retrait à ce jour :
- Espagne (RTVE)
- Pays-Bas (AVROTROS)
- Irlande (RTÉ)
- Slovénie (RTVSLO)
D’autres diffuseurs réfléchissent encore à leur position.
L’UER tente de calmer le jeu
Face à la polémique grandissante, l’Union européenne de radio-télévision a annoncé plusieurs mesures. Dès le 21 novembre, elle avait déjà modifié certaines règles pour mieux détecter les votes frauduleux ou coordonnés. Jeudi, de nouvelles dispositions ont été dévoilées pour renforcer la transparence du concours.
Ces efforts visent à répondre aux accusations d’ingérence portées contre Israël ces dernières années. Car oui, le pays a souvent été pointé du doigt pour avoir, selon certains, instrumentalisé l’Eurovision à des fins politiques – que ce soit via les paroles de certaines chansons ou les campagnes de communication autour des artistes.
Mais pour l’UER, le principe reste intangible : l’Eurovision est un concours musical apolitique. Exclure un membre pour ses choix politiques créerait un précédent dangereux. Où s’arrêterait-on ensuite ?
Un débat qui dépasse largement la musique
Ce qui se joue ici va bien au-delà d’une simple compétition de chansons. C’est une bataille sur la place de la culture dans les conflits géopolitiques. Faut-il boycotter systématiquement les artistes d’un pays dont on réprouve la politique ? Ou au contraire, doit-on protéger les échanges culturels comme un dernier pont entre les peuples ?
La position française est claire : non au boycott culturel. Elle s’inscrit dans une longue tradition républicaine de séparation entre l’art et la politique gouvernementale. Rappelez-vous les tournées de l’Orchestre philharmonique d’Israël en France, même en pleine Intifada. Ou les expositions d’artistes palestiniens accueillis sans restriction.
Mais cette ligne devient de plus en plus difficile à tenir dans un monde où les réseaux sociaux amplifient chaque indignation. Une chanson, un drapeau, une phrase peuvent déclencher des tempêtes planétaires en quelques minutes.
Et maintenant ?
L’Eurovision 2026 aura donc lieu sans plusieurs participants historiques. La carte de l’Europe musicale se redessine sous nos yeux, avec des absences qui pèseront lourd dans le vote et dans l’ambiance.
Israël, de son côté, devrait pouvoir défendre ses couleurs en Autriche en mai prochain. Mais à quel prix ? Dans quelles conditions ? Avec quelle délégation ? Les questions restent entières.
Une chose est sûre : le concours ne sera plus jamais tout à fait le même. Il est entré de plain-pied dans l’ère des fractures géopolitiques assumées. Les paillettes n’ont jamais paru aussi politiques.
Et vous, où vous situez-vous dans ce débat ? La culture doit-elle rester un refuge, ou devenir un outil de pression politique ? Les commentaires sont ouverts.









