Et si l’une des plus grandes démocraties du monde choisissait ouvertement de défier les sanctions occidentales ? C’est exactement ce qui se joue en ce moment entre New Delhi et Moscou.
Alors que la guerre en Ukraine entre dans sa troisième année, Vladimir Poutine vient d’effectuer une visite très symbolique en Inde. Accueilli en grande pompe par Narendra Modi lui-même à l’aéroport, le président russe a délivré un message clair : la Russie continuera à approvisionner l’Inde en pétrole « sans interruption ».
Un partenariat énergétique à toute épreuve
Dans un contexte où les pays occidentaux tentent d’isoler économiquement la Russie, cette déclaration prend une dimension particulière. L’Inde, troisième importateur mondial de pétrole, a vu ses achats de brut russe exploser depuis 2022. Moscou est désormais son premier fournisseur, devant l’Irak et l’Arabie saoudite.
Le président russe n’a pas mâché ses mots lors de sa rencontre avec le Premier ministre indien : « Nous sommes prêts à continuer des livraisons sans interruption de pétrole pour l’économie indienne en croissance rapide ».
« La Russie fournit de manière fiable du pétrole, du gaz, du charbon et tout ce qui est nécessaire au développement énergétique de l’Inde »
Vladimir Poutine
Pourquoi l’Inde refuse de plier face aux pressions américaines
Depuis le début du conflit ukrainien, Washington exerce une pression constante sur New Delhi pour qu’elle cesse d’acheter des hydrocarbures russes. Des délégations américaines se succèdent, des menaces de sanctions secondaires sont agitées. Pourtant, l’Inde tient bon.
La raison est simple : le pétrole russe, vendu avec des rabais substantiels, permet à l’Inde de contenir son inflation et de soutenir sa croissance économique fulgurante. Refuser cette manne reviendrait à scier la branche sur laquelle le gouvernement Modi est assis.
Narendra Modi l’a d’ailleurs rappelé avec subtilité lors de cette visite : « la sécurité énergétique était un pilier solide du partenariat indo-russe ».
Une relation historique qui résiste aux tempêtes géopolitiques
Il faut remonter à la Guerre froide pour comprendre la profondeur de cette relation. À l’époque déjà, l’Union soviétique était le principal partenaire militaire et énergétique de l’Inde non-alignée. Ce lien n’a jamais vraiment été rompu.
Aujourd’hui, plus de 60 % des équipements militaires indiens sont d’origine russe ou soviétique. Les deux pays coopèrent dans le nucléaire civil, développent ensemble des missiles supersoniques BrahMos, et viennent de signer de nouveaux accords dans la santé, les transports maritimes et la chimie.
Cette visite a d’ailleurs été l’occasion d’annoncer un objectif ambitieux : porter les échanges commerciaux bilatéraux à 100 milliards de dollars d’ici 2030.
Les dessous d’une visite ultra-symbolique
L’accueil réservé à Vladimir Poutine dit tout de la nature de cette relation. Narendra Modi a personnellement accueilli son hôte à l’aéroport – une marque de considération rare – et lui a offert un dîner privé.
Le lendemain, les deux hommes ont multiplié les gestes d’amitié devant les caméras. Modi a qualifié Poutine de « véritable ami » et a salué son « engagement inébranlable envers l’Inde ».
« Nous devons tous retrouver le chemin de la paix »
Narendra Modi, en référence au conflit ukrainien
Une phrase qui peut sembler diplomatique, mais qui prend tout son sens quand on sait que l’Inde refuse de condamner la Russie à l’ONU et continue de plaider pour une solution négociée.
Ce que cette alliance dit du nouvel ordre mondial
Derrière les sourires et les poignées de main, c’est tout un basculement géopolitique qui s’opère sous nos yeux. L’Inde, membre du Quad avec les États-Unis, le Japon et l’Australie, choisit de maintenir un partenariat stratégique avec la Russie.
Ce grand écart diplomatique illustre parfaitement la fin de l’unipolarité américaine. New Delhi refuse de choisir son camp dans ce qui ressemble de plus en plus à une nouvelle Guerre froide.
Et cette position n’est pas isolée : la Chine, la Turquie, l’Afrique du Sud, le Brésil… de nombreux pays du Sud global maintiennent ou renforcent leurs liens avec Moscou.
Les défis qui attendent ce partenariat
Car tout n’est pas rose dans cette relation. Les sanctions occidentales compliquent les transactions financières. Les pièces détachées pour les équipements militaires russes arrivent au compte-gouttes. Et la Russie, qui redirige massivement ses exportations d’hydrocarbures vers l’Asie, pourrait un jour être tentée d’augmenter ses prix.
L’Inde, de son côté, diversifie progressivement ses sources d’approvisionnement et développe ses propres capacités de raffinage et d’exploration.
Mais pour l’instant, les deux pays semblent déterminés à faire durer cette alliance stratégique. Et tant que l’Inde aura besoin d’énergie bon marché et la Russie de débouchés pour ses hydrocarbures, ce partenariat a de belles années devant lui.
Vers un monde définitivement multipolaire ?
La visite de Vladimir Poutine en Inde n’est pas qu’un épisode diplomatique de plus. C’est un signal fort envoyé à l’Occident : les sanctions, aussi sévères soient-elles, ne parviennent pas à isoler complètement la Russie.
Pire, elles renforcent les liens entre Moscou et les grandes puissances émergentes. L’Inde, avec ses 1,4 milliard d’habitants et sa croissance à deux chiffres, pèse lourd dans la balance.
En choisissant de maintenir son partenariat énergétique et militaire avec la Russie, New Delhi affirme son indépendance stratégique et participe activement à la construction d’un monde multipolaire.
Un monde où les grandes puissances ne se rangent plus automatiquement derrière Washington. Un monde où la realpolitik reprend ses droits. Et un monde où l’Inde, discrètement mais sûrement, s’impose comme un acteur incontournable.
À retenir : L’Inde et la Russie viennent de réaffirmer leur partenariat stratégique tous azimuts, défiant ouvertement les tentatives occidentales d’isoler Moscou. Pétrole, armes, nucléaire civil : les domaines de coopération sont nombreux et vitaux pour les deux pays.
La prochaine décennie s’annonce passionnante à observer. Car entre les pressions américaines, les ambitions chinoises et l’émergence du Sud global, l’Inde est en train de redessiner les équilibres mondiaux.
Et dans ce grand jeu géopolitique, elle vient de montrer qu’elle n’avait pas l’intention de se laisser dicter sa conduite.
