Imaginez-vous à l’aéroport de Caracas, prêt à décoller pour l’Europe ou l’Amérique latine… et découvrir que votre vol n’existe plus. Depuis quelques jours, le Venezuela vit cette réalité brutale : le pays est quasiment coupé du reste du monde par les airs. Les grandes compagnies étrangères, les unes après les autres, suspendent leurs liaisons. Et au cœur de cette tempête, un tweet de Donald Trump qui résonne comme un ultimatum.
Un ciel qui se vide à vitesse grand V
Jeudi dernier, Boliviana de Aviacion et la colombienne Satena ont annulé leurs vols vers Caracas. Copa Airlines, la compagnie panaméenne pourtant très présente dans la région, a prolongé sa suspension jusqu’au 12 décembre. Elles invoquent toutes la sécurité de leurs équipages et de leurs passagers.
Mais elles ne sont pas les premières. Iberia, TAP Air Portugal, Avianca, GOL, Latam, Air Europa, Turkish Airlines et Plus Ultra avaient déjà plié bagage ces dernières semaines. Résultat : l’aéroport international Simón Bolívar de Maiquetia ne comptait plus que quatre décollages et trois arrivées jeudi… tous opérés par des compagnies vénézuéliennes vers Curaçao, La Havane et Bogota.
Le message qui a tout fait basculer
Tout a commencé avec un avertissement de la Federal Aviation Administration (FAA) américaine. Le régulateur a demandé aux pilotes de faire preuve d’une extrême prudence dans l’espace aérien vénézuélien et autour, en raison de « l’aggravation de la situation sécuritaire et de l’augmentation de l’activité militaire ».
Puis Donald Trump en personne est entré dans l’arène. Sur son réseau social, le président américain a lancé :
« À toutes les compagnies aériennes, pilotes, narcotrafiquants et trafiquants d’êtres humains, veuillez considérer que l’espace aérien au-dessus et autour du Venezuela est entièrement fermé. »
Ce n’est pas une interdiction juridique formelle, mais dans les faits, c’est tout comme. Quand le président des États-Unis dit ça et que la FAA suit, les assureurs, les loueurs d’avions et les syndicats de pilotes appuient immédiatement sur le frein.
Un porte-avions géant au large des côtes
Pour comprendre l’ampleur du dispositif, il faut regarder en mer. L’USS Gerald R. Ford, le plus grand porte-avions du monde, croise dans les Caraïbes avec une imposante escorte : destroyers, croiseurs, sous-marins et dizaines d’avions de combat. Washington présente cette démonstration de force comme une opération anti-drogue.
Depuis septembre, les forces américaines affirment avoir détruit une vingtaine d’embarcations suspectées de transporter de la drogue, principalement dans les eaux caribéennes. Bilan officiel : 87 morts. Une deuxième frappe sur des naufragés a même déclenché une polémique aux États-Unis.
À Caracas, on y voit autre chose. Pour Nicolás Maduro, ce déploiement n’a qu’un seul but : le renverser pour mettre la main sur les plus grandes réserves pétrolières prouvées de la planète.
L’espace aérien est-il vraiment « fermé » ?
Techniquement, non. Aucun NOTAM (avis aux navigants) international n’interdit formellement de survoler le Venezuela. Mais dans la pratique, Oscar Palma, professeur à l’Université del Rosario en Colombie, l’explique très clairement :
« L’annonce de Trump n’est pas une interdiction formelle, mais c’est fermé dans la pratique. Abattre un avion civil nécessiterait une volonté politique claire. Avec Trump, on ne sait jamais… »
La région d’information de vol (FIR) de Maiquetia couvre 1,2 million de kilomètres carrés, dont une immense zone maritime où croisent désormais les navires américains. Aucun pilote commercial n’a envie de jouer à la roulette russe avec un F-18.
Les compagnies entre le marteau et l’enclume
Caracas accuse les compagnies de se plier à un « terrorisme d’État » américain et a déjà révoqué les autorisations de plusieurs d’entre elles. Mais du côté des transporteurs, on parle surtout de responsabilité.
Un expert vénézuélien en sécurité aérienne, sous couvert d’anonymat, résume la situation :
« Quand la FAA émet ce type d’avertissement, les assureurs augmentent les primes ou refusent carrément de couvrir. Les lessors menacent de reprendre les appareils. Les syndicats de pilotes bloquent. Aucune compagnie ne peut voler dans ces conditions. »
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois. En 2013-2014, déjà, la plupart des compagnies avaient quitté le pays… à cause cette fois de 3,8 milliards de dollars de dettes que l’État vénézuélien leur devait en devises bloquées.
Ce qui vole encore au-dessus du Venezuela
Sur Flightradar24, la carte est parlante : presque plus rien au-dessus du territoire vénézuélien, alors que les couloirs voisins (Colombie, Brésil, Caraïbes) restent très fréquentés. Seuls quelques appareils d’État, militaires ou humanitaires apparaissent encore.
À Maiquetia, le terminal domestique continue de vivre normalement : une centaine de vols intérieurs par jour. Mais le terminal international ressemble à une ville fantôme, sauf pour les vols très particuliers d’expulsion de migrants depuis les États-Unis – ceux-là, curieusement, continuent d’atterrir sans problème.
Jusqu’où cette crise peut-elle aller ?
Plusieurs scénarios se dessinent. Si la tension militaire reste à ce niveau, le Venezuela pourrait rester durablement isolé des grandes routes aériennes commerciales, accentuant encore la crise humanitaire et économique.
Une désescalade diplomatique semble peu probable à court terme : les relations entre Washington et Caracas sont au plus bas depuis des années. Et tant que l’USS Gerald R. Ford croisera au large, les compagnies garderont leurs avions au sol.
Pour les Vénézuéliens, c’est une nouvelle épreuve dans une décennie déjà marquée par l’hyperinflation, les pénuries et l’exode massif. Couper les ailes d’un pays, c’est aussi couper une partie de son souffle.
Et pendant ce temps, sur les réseaux, la bataille de communication fait rage : d’un côté les images impressionnantes du porte-avions américain, de l’autre les discours enflammés de Nicolás Maduro dénonçant « l’empire » qui veut l’asphyxier. Le ciel vénézuélien, lui, reste désespérément vide.
En résumé : Le Venezuela n’a jamais été aussi isolé aériennement. Ni blocus officiel, ni guerre ouverte, mais une zone grise où la menace suffit à vider le ciel. Entre lutte anti-drogue et guerre pétrolière froide, les voyageurs paient le prix le plus immédiat.
Et demain ? Personne ne sait si un avion commercial osera à nouveau franchir le rideau invisible tendu au-dessus des Caraïbes. Une chose est sûre : pour l’instant, voler vers Caracas relève presque de l’exploit.









