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Le Yodel Suisse Candidat au Patrimoine UNESCO : Une Voix des Alpes

Imaginez une voix qui traverse les vallées alpines depuis des siècles et qui pourrait bientôt résonner au patrimoine mondial de l’UNESCO. La Suisse joue gros en décembre : le yodel sera-t-il enfin reconnu comme trésor de l’humanité ? La réponse risque de vous surprendre…

Vous êtes sur un alpage, le vent glisse entre les sapins, et soudain une voix jaillit, pure et puissante, qui bondit des graves aux aigus comme un chamois sur les rochers. Ce n’est pas un effet sonore de film : c’est le yodel, ce chant sans paroles qui fait vibrer les Alpes depuis des générations. Et dans quelques jours, du 8 au 13 décembre 2025, il pourrait entrer au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO.

Le yodel suisse veut sa place parmi les trésors de l’humanité

La Suisse a déposé en 2024 une candidature solitaire – fait rare – pour faire reconnaître le yodel comme tradition vivante digne de figurer sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Environ 12 000 yodleuses et yodleurs pratiquent encore activement ce chant dans le pays.

780 clubs de yodel existent aujourd’hui à travers la Confédération. Des chorales villageoises aux formations plus modernes, ils perpétuent une pratique qui dépasse largement le simple folklore touristique.

D’où vient vraiment ce cri des montagnes ?

Les origines précises restent floues, enveloppées dans la brume des légendes orales. On raconte qu’autrefois les bergers utilisaient le yodel pour communiquer d’une montagne à l’autre, bien avant l’invention du téléphone portable de randonnée.

Le yodel tel qu’on le connaît s’est véritablement codifié aux XIXe et XXe siècles. Il s’est nourri d’influences croisées entre le Tyrol, le sud de l’Allemagne et la Suisse romande et alémanique. Des mélodies populaires se sont peu à peu structurées autour de cette technique vocale unique.

« À l’origine, c’était un moyen de communication d’une montagne à l’autre »

Markus Egli, chef de chœur à Lucerne

Une technique vocale hors du commun

Le yodel repose sur un passage brutal et maîtrisé entre la voix de poitrine (grave, chaude) et la voix de tête (aiguë, cristalline). Ce saut demande des années d’entraînement. Les aigus, en particulier, représentent le plus grand défi technique.

Yvonne Eichenberger, soprano de 35 ans dans une chorale lucernoise, explique que la maîtrise parfaite nécessite un travail quotidien. Le corps entier vibre, du diaphragme jusqu’au sommet du crâne.

Max Britschgi, 79 ans et près de cinquante ans de pratique, ajoute une dimension presque spirituelle : quand il yodle, il se sent « connecté aux montagnes ». L’habit traditionnel – chemise blanche, gilet brodé, chapeau de feutre – renforce ce lien avec la nature et les ancêtres.

Pourquoi la Suisse a-t-elle choisi de faire cavalier seul ?

Le yodel existe aussi en Autriche et dans le sud de l’Allemagne. Pourtant, Berne a préféré déposer une candidature nationale plutôt que multinationale. Un choix stratégique : la pratique suisse possède ses propres répertoires, ses concours, ses festivals et même une formation universitaire.

Depuis 2018, la Haute école de musique de Lucerne propose en effet un master en yodel, unique au monde. Les étudiants y apprennent non seulement la technique vocale mais aussi l’histoire, l’arrangement et même la création contemporaine du genre.

Un rayonnement qui dépasse largement les frontières alpines

Avec les vagues d’émigration du XIXe siècle, le yodel a voyagé jusqu’aux États-Unis. Il s’est fondu dans la musique bluegrass et surtout dans la country. Des stars comme Jimmie Rodgers ou Hank Williams ont popularisé cette technique auprès de millions d’auditeurs.

Aujourd’hui, le yodel continue d’évoluer. Certains artistes suisses osent des expériences audacieuses : fusion avec le jazz, la pop, le rock ou même… le reggaeton ! Le « yodelton » d’un créateur vaudois en est l’exemple le plus détonant.

Le saviez-vous ? En Suisse, on organise tous les trois ans la Fête fédérale de yodel. La dernière, en 2022 à Bâle, a réuni plus de 12 000 chanteurs et 180 000 spectateurs sur quatre jours.

L’enjeu de la relève

Comme beaucoup de traditions, le yodel souffre d’un vieillissement de ses pratiquants. Les chorales comptent encore de nombreux septuagénaires passionnés, mais les jeunes se font plus rares.

La candidature UNESCO est perçue comme un formidable coup de projecteur. Markus Egli le dit sans détour : « C’est important pour l’avenir. » Une reconnaissance mondiale pourrait attirer une nouvelle génération, séduite par la modernité cachée derrière l’habit traditionnel.

Dans certaines écoles de musique, on commence déjà à enseigner le yodel dès l’âge de huit ans. Des ateliers « découverte » se multiplient dans les festivals. Le master de Lucerne forme chaque année une poignée d’ambassadeurs capables d’enseigner à leur tour.

Que se passera-t-il en décembre 2025 ?

Du 8 au 13 décembre 2025, le comité intergouvernemental de l’UNESCO examinera une quarantaine de candidatures, dont celle du yodel suisse. Si elle est acceptée, la Suisse rejoindra la France (baguette, fête de l’ours dans les Pyrénées), la Belgique (culture de la bière) ou le Vietnam (art du xòe) sur cette prestigieuse liste.

L’inscription n’apporte pas d’argent direct, mais elle offre une visibilité exceptionnelle et surtout un devoir moral de transmission. Les États s’engagent à mettre en place des mesures de sauvegarde concrètes.

« Ce chant fait partie de notre culture, de l’identité de la Suisse »

Max Britschgi, yodleur depuis près de 50 ans

Alors, le yodel franchira-t-il le cap ? Réponse dans quelques jours. Une chose est sûre : qu’il soit ou non couronné par l’UNESCO, il continuera de résonner dans les vallées, porté par des milliers de gorges prêtes à faire vibrer l’air pur des Alpes.

Parce qu’un yodel, finalement, ce n’est pas seulement une technique vocale. C’est un bout d’âme alpine qui refuse de se taire.

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