Imaginez que l’on redessine les frontières de votre quartier juste avant une élection, en veillant à diluer votre voix parce que vous votez « mal ». C’est exactement ce que des milliers d’électeurs latino-américains et afro-américains du Texas dénoncent depuis des mois. Et jeudi, la plus haute juridiction du pays vient de leur répondre : la nouvelle carte reste valide.
Une décision à 6 voix contre 3 qui fait trembler le paysage politique
Par un vote strictement partisan, les six juges conservateurs de la Cour suprême ont renversé la suspension prononcée en première instance. Le Texas pourra donc bel et bien utiliser, pour les élections de mi-mandat de novembre 2026, le découpage adopté en août par son Parlement à majorité républicaine.
Ce nouveau tracé, voulu et défendu publiquement par Donald Trump, vise à consolider la fragile majorité républicaine à la Chambre des représentants. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’opération s’annonce efficace : jusqu’à cinq circonscriptions supplémentaires pourraient basculer durablement dans le camp conservateur.
Le gerrymandering, cette vieille pratique toujours vivace
Le gerrymandering consiste à manipuler les limites des circonscriptions pour avantager un parti. Depuis des décennies, républicains et démocrates s’y adonnent sans retenue. En 2019 déjà, la Cour suprême avait jugé qu’elle n’avait pas à s’immiscer dans le gerrymandering purement partisan. En revanche, elle reste ferme : le découpage fondé sur la race demeure interdit.
C’est précisément sur ce terrain que le combat se joue aujourd’hui. Des associations d’électeurs minoritaires ont apporté des preuves selon lesquelles certaines zones à forte population latino ou afro-américaine, où Kamala Harris avait triomphé en 2024, ont été délibérément fragmentées et rattachées à des bastions républicains pour « noyer » leur vote.
« Il existe des preuves significatives que le Texas a tracé la carte de 2025 sur des bases raciales »
Le tribunal de première instance, novembre dernier
Pourquoi la majorité conservatrice a-t-elle tranché ainsi ?
Le raisonnement des six juges conservateurs repose sur un argument de procédure et de calendrier. Selon eux, le tribunal de première instance a créé une « confusion considérable » en suspendant la carte à quelques mois des élections. Ils estiment qu’il était trop tard pour bouleverser les règles du jeu et que l’ingérence judiciaire risquait de semer le chaos.
En clair : même si des soupçons sérieux de discrimination raciale pèsent, il vaut mieux laisser les Texan voter avec cette carte plutôt que de tout remettre en cause à la dernière minute. Un choix pragmatique pour les uns, une capitulation devant le fait accompli pour les autres.
La colère d’Elena Kagan et des juges progressistes
La dissenting opinion rédigée par la juge Elena Kagan est d’une rare virulence. Elle accuse la majorité de fermer les yeux sur une violation manifeste des principes constitutionnels.
« La Cour annonce aujourd’hui que le Texas pourra conduire les élections de l’année prochaine avec une carte dont le tribunal de première instance a déterminé qu’elle violait nos instructions fréquemment répétées sur l’utilisation de critères raciaux dans le découpage électoral »
Juge Elena Kagan
Pour les trois juges progressistes, cette décision crée un précédent dangereux : un État pourrait désormais tracer des cartes discriminatoires en pariant sur le fait que, le temps que la justice réagisse, il sera trop tard pour les modifier.
Le Texas n’est pas seul : la riposte démocrate en Californie
Face à la manoeuvre texane, les démocrates n’ont pas attendu. En novembre, un référendum en Californie a validé un redécoupage qui, selon les estimations, pourrait rapporter cinq sièges supplémentaires aux démocrates dans cet État déjà très bleu.
Les républicains californiens, soutenus par le ministère de la Justice, ont immédiatement saisi les tribunaux. Ironie de l’histoire : ils utilisent exactement les mêmes arguments que les minorités texanes… mais cette fois contre les démocrates.
En résumé, les deux grands partis se livrent à une guerre sans merci des cartes électorales, chacun accusant l’autre de tricher pendant que la Cour suprême semble de plus en plus réticente à trancher sur le fond.
Quelles conséquences pour les élections de 2026 ?
Avec cette décision, les républicains partent avec un avantage structurel non négligeable à la Chambre des représentants. Les démocrates, eux, misent sur la Californie et sur une mobilisation accrue des minorités pour compenser.
Mais au-delà des chiffres, c’est la confiance dans le système électoral qui en prend un coup. Quand les frontières des circonscriptions sont dessinées non pas pour représenter équitablement la population, mais pour garantir un résultat, la démocratie représentative sort affaiblie.
Et pendant que les tribunaux se renvoient la balle, des millions d’Américains ont le sentiment que leur vote pèse de moins en moins. Le découpage électoral, cette arme légale mais redoutable, continue de remodeler le Congrès bien avant que le moindre bulletin ne soit déposé dans l’urne.
2026 s’annonce déjà comme un scrutin sous haute tension. Et les cartes, plus que jamais, risquent de déterminer qui détiendra le pouvoir à Washington.









