Imaginez un ancien chef de gouvernement, habitué à diriger le pays pendant six années mouvementées, se retrouver aujourd’hui sous la menace directe d’un procès pénal. C’est exactement ce qui arrive en ce moment à Mateusz Morawiecki, figure emblématique du parti national-conservateur Droit et Justice (PiS).
Une procédure qui peut changer la face politique polonaise
Jeudi, le procureur général polonais a franchi un cap symbolique majeur. Il a officiellement demandé au Parlement (la Diète) d’examiner la possibilité de traduire l’ex-Premier ministre et deux de ses anciens ministres devant le Tribunal d’État, une juridiction spéciale réservée aux plus hauts responsables de l’État.
Les trois hommes visés sont Mateusz Morawiecki, Mariusz Blaszczak (ex-ministre de l’Intérieur puis de la Défense) et Jan Ardanowski (ex-ministre de l’Agriculture). L’accusation principale ? Avoir abusé de leurs pouvoirs en exerçant des fonctions officielles de manière illégale.
L’élection présidentielle par correspondance, le dossier brûlant
Au cœur du dossier se trouve une décision prise en pleine pandémie de Covid-19. En 2020, le gouvernement PiS alors au pouvoir avait voulu organiser l’élection présidentielle exclusivement par correspondance, sans vote physique dans les bureaux.
Problème : selon le parquet actuel, aucune base légale solide ne permettait une telle organisation. Mateusz Morawiecki aurait personnellement ordonné cette opération, contourné le Parlement et forcé l’administration à préparer des millions d’enveloppes électorales qui, finalement, ne serviront jamais.
Le coût de l’opération avoisinait les 70 millions de zlotys (environ 16 millions d’euros) et l’élection fut finalement reportée puis organisée de façon classique. Pour les procureurs, il s’agit d’un détournement de fonds publics et d’un abus de pouvoir caractérisé.
« Personne n’est au-dessus des lois »
Waldemar Zurek, ministre de la Justice et procureur général
Le chemin vers le Tribunal d’État expliqué simplement
En Pologne, un ancien Premier ministre bénéficie d’une immunité. Pour le juger pour des actes commis dans l’exercice de ses fonctions, il faut suivre une procédure très précise :
- Le procureur général saisit le Parlement
- La Diète vote (à la majorité absolue) pour autoriser ou non la mise en accusation
- En cas de vote positif, les accusés sont renvoyés devant le Tribunal d’État
- Ce tribunal peut prononcer des peines allant jusqu’à 10 ans de prison et une interdiction définitive d’exercer des fonctions publiques
Pour Mateusz Morawiecki, la peine maximale encourue dans ce dossier précis est de trois ans de prison ferme.
Mariusz Blaszczak et Jan Ardanowski dans le même bateau
Mariusz Blaszczak, fidèle parmi les fidèles de Jarosław Kaczyński, est accusé d’avoir lui aussi abusé de ses pouvoirs à plusieurs reprises pendant ses passages rue Beauvau puis au ministère de la Défense.
Jan Ardanowski, ancien ministre de l’Agriculture connu pour ses positions parfois critiques vis-à-vis de la ligne dure du PiS, se voit reprocher à la fois des abus de pouvoir et des manquements graves à ses devoirs de ministre.
Un contexte de règlement de comptes assumé
L’arrivée au pouvoir de la coalition pro-européenne emmenée par Donald Tusk en décembre 2023 s’est accompagnée d’une promesse claire : faire la lumière sur les huit années de gouvernement PiS et traduire en justice ceux qui auraient franchi la ligne rouge.
Depuis un an, les procédures s’enchaînent. Commissions d’enquête parlementaires, perquisitions, mises en examen… L’ancien ministre de la Justice Zbigniew Ziobro fait déjà face à 26 chefs d’accusation, dont certains pouvant le mener jusqu’à 25 ans de prison (notamment pour l’achat illégal du logiciel espion Pegasus avec des fonds destinés aux victimes).
Le cas Morawiecki est cependant d’une tout autre ampleur : c’est la première fois qu’un ancien Premier ministre polonais risque réellement d’être jugé pour ses décisions politiques.
Réactions immédiates du côté du PiS
Le parti Droit et Justice crie à la vengeance politique. Jarosław Kaczyński a qualifié la procédure de « coup d’État judiciaire » orchestré par Donald Tusk pour éliminer l’opposition.
Mateusz Morawiecki, de son côté, a publié une longue vidéo sur les réseaux sociaux où il affirme n’avoir fait qu’appliquer l’état d’urgence sanitaire et protéger la santé des Polonais en organisant une élection sûre.
Et maintenant ? Les scénarios possibles
- La Diète refuse la levée d’immunité → l’affaire est classée pour le moment
- La Diète accepte → procès devant le Tribunal d’État dans les prochains mois
- En cas de condamnation → inéligibilité à vie et possible peine de prison
Le vote à la Diète s’annonce extrêmement serré. La coalition au pouvoir dispose d’une majorité fragile et certains députés centristes ou agrariens pourraient hésiter à voter une mesure aussi lourde de conséquences.
Quoi qu’il arrive, cette affaire marque un tournant. La Pologne entre dans une phase de confrontation judiciaire sans précédent entre l’ancien et le nouveau pouvoir.
À retenir : pour la première fois depuis la chute du communisme, un ancien Premier ministre polonais pourrait être jugé pour des décisions prises au sommet de l’État. L’issue de ce dossier dira beaucoup sur la maturité démocratique du pays et sur sa capacité à tourner la page des années PiS sans basculer dans la revanche pure et simple.
L’histoire est en train de s’écrire sous nos yeux. Et elle risque de durer encore de longs mois, voire années. Affaire à suivre, évidemment.
(Article mis à jour le 4 décembre 2025 – 3128 mots)









