Imaginez un dîner privé à Bruxelles, en plein cœur de l’Europe, où trois dirigeants décident peut-être de l’avenir financier de l’Ukraine. Ce n’est pas le scénario d’un thriller politique, c’est ce qui se prépare ce vendredi.
Un dîner qui peut tout changer pour Kiev
Le chancelier allemand Friedrich Merz a tout annulé. Son déplacement officiel en Norvège ? Reporté. La raison est simple : il se rend en Belgique pour un repas en tête-à-tête avec le Premier ministre belge Bart De Wever et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. L’ordre du jour est clair : faire bouger les lignes sur l’utilisation des avoirs russes gelés en Europe.
Pourquoi une telle urgence ? Parce que l’Europe s’est engagée à trouver un financement stable pour l’Ukraine sur les deux prochaines années, surtout alors que le soutien américain pourrait faiblir. Et le nerf de la guerre, ce sont ces centaines de milliards d’euros immobilisés depuis 2022.
235 milliards d’euros en attente, dont 210 chez Euroclear
Le chiffre donne le tournis : environ 235 milliards d’euros d’actifs russes sont gelés dans l’Union européenne depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine.
La particularité ? Près de 90 % de cette somme, soit environ 210 milliards d’euros, est détenue par la société belge Euroclear, basée à Bruxelles. Autrement dit, la Belgique détient la clé d’un trésor de guerre qui pourrait changer la donne pour Kiev.
Merz l’a rappelé lui-même : « Je ne veux pas persuader le Premier ministre belge, je veux le convaincre que la voie que nous proposons est la bonne pour aider l’Ukraine. » La nuance est importante. On ne parle pas de bras de fer, mais d’une discussion franche entre partenaires.
La proposition de la Commission européenne décryptée
Mardi, l’exécutif européen a mis sur la table un plan ambitieux : mobiliser les profits exceptionnels générés par ces avoirs gelés, et potentiellement les actifs eux-mêmes sous forme de prêt garanti, pour financer l’Ukraine à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d’euros par an.
L’Allemagne s’est portée volontaire pour être l’un des États garants de ces opérations. En clair, Berlin est prête à prendre une partie du risque juridique et financier pour que le mécanisme voie le jour.
Mais tout repose sur un accord politique unanime au Conseil européen. Et pour l’instant, la Belgique freine des quatre fers.
Pourquoi la Belgique résiste-t-elle encore ?
Plusieurs raisons expliquent la prudence belge. D’abord, Euroclear craint des représailles russes sur les marchés financiers. Ensuite, le gouvernement précédent (libéral-socialiste) était très réticent à l’idée de confisquer purement et simplement des actifs privés, même appartenant à la Banque centrale russe.
Avec l’arrivée de Bart De Wever à la tête du gouvernement, certains espéraient un assouplissement. Le leader nationaliste flamand est connu pour ses positions pro-ukrainiennes fermes. Pourtant, jusqu’à présent, Bruxelles maintient sa ligne : oui aux profits exceptionnels, non à la confiscation directe des principaux.
C’est précisément ce point que Merz veut faire évoluer lors de ce dîner.
Un sommet européen sous haute tension en décembre
Le chancelier allemand l’a martelé : le sommet des 18 et 19 décembre sera la dernière occasion cette année pour trouver un accord global sur le financement de l’Ukraine.
Au-delà des avoirs russes, les Vingt-Sept doivent se mettre d’accord sur un paquet de 50 milliards d’euros de prêts et subventions, sur la réforme du budget européen, et sur la création éventuelle d’un instrument financier dédié à la défense ukrainienne.
Autant de dossiers où l’unanimité est requise. Et où la Belgique, par sa position sur Euroclear, peut tout bloquer ou tout débloquer.
Un précédent qui fait réfléchir
L’Europe a déjà franchi un cap en décidant, à l’été 2024, de transférer à l’Ukraine les intérêts générés par les avoirs gelés – environ 3 milliards d’euros par an. Un premier pas significatif, mais largement insuffisant face aux besoins estimés à plus de 40 milliards annuels.
Aujourd’hui, la Commission propose d’aller plus loin en utilisant les actifs eux-mêmes comme garantie pour émettre des obligations ou accorder des prêts massifs. Une opération complexe juridiquement, mais qui pourrait rapporter jusqu’à 20 ou 30 milliards d’euros par an selon les scénarios.
Les arguments allemands pour convaincre
Friedrich Merz arrive avec plusieurs cartes en main :
- La garantie allemande sur une partie des risques juridiques
- Le soutien affiché de la majorité des États membres
- L’urgence stratégique alors que les États-Unis pourraient réduire leur aide
- La nécessité de montrer à Poutine que l’Europe reste unie
Autant d’éléments qui pourraient faire pencher la balance du côté belge.
Et si la Belgique disait oui ?
Un accord ouvrirait la voie à une aide financière sans précédent pour l’Ukraine : reconstruction, achat d’armes, soutien budgétaire direct. Un signal fort envoyé à Moscou que l’Europe est prête à tenir sur la durée.
À l’inverse, un nouveau blocage belge pourrait retarder sine die ce mécanisme et forcer les Européens à trouver d’autres solutions, plus coûteuses pour leurs budgets nationaux.
Ce dîner privé de vendredi pourrait donc entrer dans les livres d’histoire comme le moment où l’Europe a choisi de franchir un nouveau cap dans son soutien à l’Ukraine… ou comme celui où elle a raté une occasion historique.
Une chose est sûre : rarement un repas entre dirigeants aura porté autant d’enjeux. À suivre de très près.









