Et si votre pays vous condamnait, vous emprisonnait, vous interdisait de filmer… et que malgré tout vous décidiez d’y retourner ? C’est exactement le choix que vient de faire Jafar Panahi. À 65 ans, Palme d’or, Ours d’or, figure majeure du cinéma mondial, il pourrait vivre tranquillement à l’étranger. Pourtant, il l’a dit clairement : il rentrera en Iran. Peu importe la peine qui l’attend.
Un cinéaste qui refuse l’exil
Depuis le Festival international du film de Marrakech, Jafar Panahi a brisé le silence. « Bien qu’on m’en ait donné l’opportunité, y compris lors des années les plus difficiles, je n’ai jamais envisagé de quitter mon pays pour être un réfugié », a-t-il déclaré en farsi, les mots traduits immédiatement en anglais pour le public international.
Sa voix était calme, presque sereine. Pourtant, derrière chaque phrase se cache une vie de combats, de prisons, d’interdictions. « Je n’ai qu’un seul passeport », a-t-il ajouté en levant légèrement la main, comme pour montrer l’objet invisible qui le lie à jamais à l’Iran. « C’est le passeport de mon pays et j’ai l’intention de le garder ».
« Le pays où l’on vit est le meilleur endroit pour vivre, peu importe les problèmes, les difficultés »
Jafar Panahi
Une nouvelle condamnation en plein vol vers les Oscars
Le timing est cruel. Alors que son dernier film Un simple accident représente la France dans la course aux Oscars du meilleur film étranger, l’Iran frappe à nouveau. Un an de prison ferme. Deux ans d’interdiction de voyage. Interdiction d’appartenir à tout groupe politique ou social. L’annonce est tombée comme un couperet, signée par son avocat Me Mostafa Nili, qui a immédiatement annoncé faire appel.
Mais Panahi, lui, ne semble pas surpris. Il a déjà vécu pire. Il sait que ces condamnations font partie du décor depuis plus de quinze ans. Et pourtant, il continue. Il tourne. Il parle. Il voyage – quand on l’autorise enfin à sortir du territoire après quinze années d’interdiction.
Cette fois, il a pu se rendre à Cannes en mai dernier. Il a reçu une ovation debout. Et maintenant, il parcourt le monde pour défendre son film. Los Angeles, Marrakech, partout où on l’invite. Mais il le répète : ce n’est qu’une parenthèse. Il rentrera.
Un passé déjà marqué par la prison et la grève de la faim
Ce n’est pas la première fois que Jafar Panahi défie le système par le corps et par l’esprit. En 2010, il passe 86 jours en prison. En 2022-2023, sept mois supplémentaires. C’est durant ce dernier séjour qu’il entame une grève de la faim. Une grève sèche. Quatre jours sans eau ni nourriture. Le monde entier retient son souffle. Il finit par être libéré, affaibli mais debout.
Ces épreuves n’ont jamais brisé sa détermination. Au contraire. Elles ont nourri son cinéma. Taxi Téhéran, tourné clandestinement dans une voiture, remporte l’Ours d’or à Berlin en 2015. Il ne peut pas venir chercher le prix. Sa nièce le représente. Il filme sa réaction depuis l’Iran, en cachette. Le film devient un symbole mondial de résistance douce.
Chronologie d’une résistance
- 2010 – 86 jours de prison
- 2010-2025 – Interdiction de filmer et de quitter le territoire (15 ans)
- 2015 – Ours d’or pour Taxi Téhéran
- 2022-2023 – 7 mois de prison + grève de la faim
- 2025 – Palme d’or à Cannes pour Un simple accident
- Décembre 2025 – Nouvelle condamnation à 1 an de prison
« Un simple accident » : un film qui dérange
Son dernier opus n’est pas un film anodin. Tourné en secret, Un simple accident suit cinq Iraniens qui croient reconnaître leur ancien geôlier de la prison d’Evin. Ce qu’ils vont faire de cette rencontre est terrifiant de vérité. Le film parle de mémoire, de vengeance, de pardon impossible. Il parle surtout de la brutalité du système et de l’arbitraire qui ronge la société iranienne depuis des décennies.
En choisissant ce film pour représenter la France aux Oscars – ironie du sort –, le monde du cinéma envoie un message clair : l’art de Panahi dépasse les frontières. Il appartient à l’humanité entière. Mais pour le régime iranien, c’est une provocation supplémentaire.
« Les problèmes auxquels l’Iran est confronté ces jours-ci sont des problèmes temporaires »
Jafar Panahi, Marrakech 2025
Cette phrase résonne comme un espoir têtu. Ou comme une forme de déni nécessaire pour continuer à vivre et créer dans un pays où chaque image peut valoir une condamnation.
Pourquoi rentrer quand on peut rester libre ailleurs ?
C’est la question que tout le monde pose. Des festivals lui ouvrent grand les bras. Des universités veulent l’inviter. Des fondations sont prêtes à l’accueillir. Il suffirait de demander l’asile politique quelque part en Europe ou aux États-Unis. Beaucoup l’ont fait avant lui.
Mais Panahi refuse. « Mon pays est l’endroit où je peux respirer, où je peux trouver une raison de vivre et où je puise la force de créer », explique-t-il. Il ne s’agit pas de patriotisme béat. C’est plus profond. C’est une question d’identité. D’oxygène artistique. Sans l’Iran, ses rues, ses visages, ses contradictions, il ne serait plus lui-même.
Il l’a déjà prouvé : même assigné à résidence, même interdit de filmer, il trouve des moyens. Une caméra cachée dans un taxi. Un téléphone portable. Une histoire racontée à demi-mot. L’interdiction nourrit sa créativité au lieu de l’étouffer.
Un symbole plus grand que lui
Au-delà de l’homme, c’est tout un pan du cinéma iranien qui se joue ici. La Nouvelle Vague iranienne, dont Panahi est l’un des derniers grands représentants encore actifs dans le pays, a toujours marché sur le fil du rasoir. Kiarostami, Makhmalbaf, et maintenant Panahi : ils ont montré qu’on pouvait faire un cinéma immense avec trois fois rien, à condition d’avoir une liberté intérieure absolue.
Son retour annoncé est donc un message. Aux artistes iraniens qui doutent. Aux jeunes cinéastes qui se demandent s’il faut rester ou partir. À la communauté internationale qui applaudit dans les festivals mais ferme parfois les yeux sur la répression quotidienne.
En rentrant, Panahi dit : on peut résister de l’intérieur. On peut continuer à créer même quand tout semble perdu. C’est un acte politique autant qu’artistique.
Et maintenant ?
Il terminera sa tournée. Il défendra Un simple accident jusqu’au bout. Peut-être ira-t-il jusqu’aux Oscars en février. Et puis, un jour, il prendra un vol pour Téhéran. On l’attendra à l’aéroport. Peut-être sera-t-il arrêté dès la passerelle. Peut-être passera-t-il entre les mailles du filet encore quelques mois.
Mais une chose est sûre : il rentrera. Parce que pour Jafar Panahi, la liberté n’est pas là où l’on pose sa valise. Elle est là où l’on décide de rester debout.
Et quelque part, dans une salle obscure de Téhéran ou d’ailleurs, un jeune réalisateur regardera ce choix. Et comprendra qu’un film, parfois, peut valoir plus que mille discours.









