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Meta Suspend Deux Militantes du Massacre en Tanzanie

Deux voix puissantes qui montraient au monde les corps ensanglantés et les blessés des manifestations tanzaniennes viennent d’être réduites au silence par Meta. L’une vit aux États-Unis, l’autre est connue de tous… et leurs comptes Instagram ont disparu. Pourquoi maintenant ? La suite va vous glacer le sang.

Imaginez poster une photo d’un jeune homme baignant dans son sang sur une chaussée de Dar es Salaam et, quelques heures plus tard, voir votre compte de plusieurs millions d’abonnés purement et simplement effacé. C’est exactement ce qui est arrivé à deux femmes qui tentaient, depuis des semaines, d’alerter le monde sur la vague de violence qui a suivi les élections, selon de nombreux observateurs, frauduleuses élections tanzaniennes d’octobre dernier.

Une répression qui ne veut pas être vue

Depuis le 29 octobre, la Tanzanie traverse l’une des crises les plus graves de son histoire récente. Des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour contester des résultats électoraux jugés truqués. La réponse des forces de l’ordre a été d’une brutalité extrême : tirs à balles réelles, arrestations massives, disparitions.

L’opposition et les organisations de défense des droits humains avancent un bilan terrifiant : plus de 1 000 morts en quelques jours seulement. Les autorités, elles, refusent toujours de communiquer le moindre chiffre officiel et ont même coupé l’accès à internet pendant plusieurs jours pour limiter la diffusion des images.

Mange Kimambi, la caisse de résonance des victimes

Mange Kimambi n’est pas une journaliste. Installée aux États-Unis, cette influenceuse tanzanienne compte pourtant plus de 2,5 millions d’abonnés sur Instagram. Depuis début novembre, elle recevait des centaines de photos et vidéos directement envoyées par des Tanzaniens sur son numéro WhatsApp.

Des corps inertes sur le bitume. Des blessés graves. Des familles en pleurs. Elle publiait tout, presque en temps réel. Pour elle, c’était la seule façon de contourner le black-out imposé par le gouvernement.

« Je reçois ces images directement des gens sur le terrain. Si je ne les montre pas, personne ne saura »

Jeudi dernier, son compte Instagram a été désactivé. Son numéro WhatsApp aussi. Dans la foulée, elle a publié une lettre ouverte au président américain pour demander de l’aide.

Maria Sarungi Tsehai, l’autre voix bâillonnée

Maria Sarungi Tsehai est une figure bien connue en Tanzanie. Ancienne porte-parole du principal parti d’opposition, elle anime depuis des années une page très suivie où elle dénonce corruption et atteintes aux libertés.

Son compte Instagram a lui aussi disparu, mais uniquement visible depuis la Tanzanie. Depuis l’étranger, il, il est toujours accessible. Le blocage est donc géolocalisé.

Sur X, elle n’a pas mâché ses mots :

« Regardez Meta et Instagram et leur rôle dans la dissimulation du massacre en Tanzanie en supprimant nos comptes. C’est une attaque directe contre les défenseurs des droits humains. »

La réponse officielle de Meta

Contactée, la maison-mère de Facebook et Instagram a donné deux justifications distinctes.

Pour Mange Kimambi : la suspension relève de la « politique contre la récidive ». En clair, des publications répétées de contenus graphiques violant les standards de la communauté.

Pour Maria Sarungi Tsehai : la désactivation fait suite à « une demande des régulateurs tanzaniens ».

Le porte-parole a tout de même ajouté que l’entreprise « croit que la liberté d’expression est un droit fondamental ». Une phrase qui, dans ce contexte, sonne particulièrement creuse.

Un précédent inquiétant

Ce n’est pas la première fois que des plateformes américaines se retrouvent au cœur de crises politiques africaines. Mais le cas tanzanien marque une étape supplémentaire : un État autoritaire qui obtient directement la censure de contenus gênants auprès d’une entreprise privée.

Début novembre déjà, le procureur général tanzanien avait publiquement réclamé l’arrestation de Mange Kimambi et, si nécessaire, son extradition depuis les États-Unis. Quelques semaines plus tard, son principal canal de diffusion est coupé.

Coïncidence ? Difficile à croire.

Quand les réseaux sociaux deviennent complices

Le plus troublant reste le timing. Au moment où les images de la répression commençaient à circuler massivement hors de Tanzanie, où des appels internationaux se multipliaient pour demander une enquête indépendante, les deux comptes les plus actifs sont neutralisés.

Certains y voient une forme de censure déguisée. D’autres rappellent que les règles des plateformes interdisent effectivement la publication répétée de contenus violents, même lorsqu’ils servent à dénoncer des atrocités.

Mais alors, comment informer quand les victimes n’ont plus que leur téléphone pour crier leur douleur ?

Vers une prise de conscience internationale ?

La lettre de Mange Kimambi adressée directement à Donald Trump, même si elle peut sembler désespérée, a au moins le mérite de remettre la question sur la table : jusqu’où les géants du numérique sont-ils prêts à collaborer avec des régimes accusés de crimes graves ?

En attendant, des milliers de Tanzaniens continuent d’envoyer photos et vidéos à d’autres comptes, plus petits, plus discrets. La machine à témoigner ne s’est pas totalement arrêtée.

Mais pour combien de temps ?

À retenir : Deux des principales sources d’information indépendante sur la crise tanzanienne ont été réduites au silence par Meta, l’une au nom des règles internes, l’autre sur demande directe des autorités. Dans un contexte où le gouvernement refuse tout bilan officiel et bloque internet, cette double suspension pose la question du rôle des plateformes dans la couverture des crises autoritaires.

La situation en Tanzanie reste extrêmement tendue. Des témoignages continuent de filtrer malgré les obstacles. Et chaque jour sans réaction internationale forte risque de faire basculer un peu plus le pays dans l’oubli médiatique.

Car c’est bien cela le plus effrayant : quand plus personne ne peut montrer, le monde finit souvent par détourner les yeux.

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