Imaginez un enfant de huit ans qui arrive à l’école et reçoit des coups de bâton sur les doigts simplement parce qu’il ne parle pas la langue du pays. Cet enfant, ce n’était pas il y a deux siècles. C’était en Finlande, dans les années 1950. Et cet enfant appartenait au seul peuple autochtone de l’Union européenne : les Sami.
Jeudi dernier, une page d’histoire douloureuse s’est tournée à Helsinki. Une commission pour la vérité et la réconciliation a remis au gouvernement finlandais un rapport de plusieurs centaines de pages, fruit de quatre années de travail. Son message est clair : il est temps de regarder en face les blessures infligées à toute une communauté.
Un rapport qui donne enfin la parole aux Sami
Créée en 2021, la commission a recueilli près de 400 témoignages de Sami et une dizaine d’avis d’experts. Des récits souvent bouleversants, restés sous silence pendant des décennies. Des grand-mères qui pleurent encore en racontant l’internat. Des pères qui n’ont jamais pu transmettre leur langue à leurs enfants.
Ce qui frappe, c’est la violence ordinaire de l’assimilation. Contrairement à la Norvège ou à la Suède où la politique était inscrite dans la loi, en Finlande elle était plus insidieuse. Pas besoin de texte officiel quand la pratique quotidienne suffit : interdiction de parler sami à l’école, placement forcé en internat, moqueries permanentes.
Le résultat est le même : des générations coupées de leurs racines.
« On me frappait les doigts jusqu’à ce que j’apprenne le finnois »
Parmi les témoignages recueillis, celui d’une femme scolarisée au début des années 1950 résume l’horreur :
« Je ne parlais pas un seul mot de finnois. Je n’arrivais pas à suivre les cours. On me punissait à coups de bâton jusqu’à ce que j’apprenne le finnois. Ils me frappaient toujours les doigts. »
Cette phrase, lue à voix haute lors de la remise du rapport, a fait frissonner l’assemblée. Elle illustre parfaitement la brutalité d’un système qui considérait la culture sami comme un obstacle à l’unité nationale.
Aujourd’hui encore, les conséquences sont visibles. Plusieurs langues sami sont en danger critique d’extinction. Des familles entières ne parlent plus leur langue maternelle. Le traumatisme se transmet de génération en génération, comme un poison lent.
Le Premier ministre prêt à présenter des excuses officielles
À la réception du rapport, le Premier ministre Petteri Orpo n’a pas éludé la question. Devant les représentants sami et les caméras, il a déclaré :
« Il est clair, pour moi, qu’il faut présenter des excuses. »
Ces mots, prononcés publiquement, marquent une rupture. Jusqu’à présent, la Finlande était le seul pays nordique à ne pas avoir présenté d’excuses officielles à son peuple autochtone. L’Église évangélique-luthérienne, qui a joué un rôle actif dans l’assimilation, l’a fait plus tôt cette année. L’État, lui, traînait des pieds.
Mais des excuses ne suffisent pas. Le rapport propose 68 mesures concrètes pour réparer les injustices et garantir un avenir digne aux Sami.
Les 68 recommandations : un plan ambitieux pour l’avenir
Le document ne se contente pas de regarder dans le rétroviseur. Il trace une feuille de route précise. Voici les mesures les plus importantes :
- Ratification de la Convention 169 de l’OIT sur les peuples autochtones et tribaux
- Création d’une législation spécifique protégeant l’élevage traditionnel de rennes
- Mise en place d’une unité dédiée aux affaires samies au sein du cabinet du Premier ministre
- Reconnaissance officielle que la Finlande est fondée sur les terres de deux peuples : les Finlandais et les Sami
- Renforcement de l’enseignement des langues sami dans les écoles
- Mesures de soutien psychologique pour les victimes du traumatisme intergénérationnel
Ces propositions ne sont pas symboliques. Elles touchent au cœur de l’identité sami : la langue, la terre, le renne, la transmission.
Niila-Juhan Valkeapää, 21 ans : « Nous pouvons enfin raconter notre histoire »
Parmi les voix qui portent aujourd’hui, celle de Niila-Juhan Valkeapää résonne particulièrement. À seulement 21 ans, ce vice-président du Conseil des jeunes du Parlement sami de Finlande incarne l’espoir d’une génération.
« Nous pouvons maintenant, pour la première fois, officiellement raconter nos histoires, et la vérité devrait être accessible à tous. »
Pour lui, ce rapport n’est pas une fin, mais un commencement. Un outil pour que les jeunes Sami n’aient plus à rougir de leur identité. Pour qu’ils puissent être fiers de porter le gákti, le costume traditionnel, sans craindre le regard des autres.
Un peuple entre tradition et menaces contemporaines
Les Sami, environ 100 000 personnes, vivent sur un territoire immense qui couvre quatre pays : Finlande, Suède, Norvège et Russie. En Finlande, ils sont environ 10 000, principalement dans le nord, en Laponie.
Leur culture repose sur un lien intime avec la nature : l’élevage de rennes, la pêche, la cueillette, l’artisanat. Un mode de vie menacé aujourd’hui par le changement climatique et l’exploitation industrielle de l’Arctique.
Les projets miniers, éoliens, forestiers se multiplient sur leurs terres ancestrales, souvent sans consultation réelle. Le rapport pointe du doigt cette nouvelle forme de colonisation : l’extractivisme vert qui sacrifie les droits autochtones au nom de la transition énergétique.
Pourquoi ce rapport arrive maintenant
La création de la commission en 2021 n’est pas un hasard. Elle s’inscrit dans un mouvement mondial de reconnaissance des crimes historiques contre les peuples autochtones. Canada, Australie, Nouvelle-Zélande ont ouvert la voie avec leurs propres commissions vérité et réconciliation.
En Europe, les pays nordiques, souvent cités en modèle de respect des droits humains, doivent aussi faire leur examen de conscience. La Norvège et la Suède ont déjà franchi des étapes importantes. La Finlande était en retard.
Ce rapport tombe aussi au moment où la jeunesse sami se mobilise comme jamais. Sur les réseaux, dans les manifestations, dans les instances politiques, une nouvelle génération refuse le silence.
Et maintenant ?
Le Premier ministre a promis de soumettre le rapport au Parlement. Reste à savoir si les engagements seront tenus. Les Sami ont déjà connu trop de promesses non tenues.
Mais pour la première fois, ils ont un document officiel qui dit la vérité. Une vérité douloureuse, mais libératrice.
Comme l’a résumé Hannele Pokka, présidente de la commission :
« On nous a parlé de choses restées sous silence pendant des décennies, des expériences véritablement douloureuses et difficiles. »
Aujourd’hui, le silence est brisé. Reste à transformer les mots en actes. Pour que les enfants sami d’aujourd’hui et de demain puissent grandir en sachant qui ils sont. Sans honte. Sans peur.
Parce qu’une nation qui refuse de regarder son passé condamne son avenir à le répéter.
À retenir : La Finlande est à un tournant historique. Le rapport sur les Sami n’est pas qu’un exercice de mémoire. C’est une chance de construire, enfin, un pays qui reconnaît pleinement ses deux peuples fondateurs.









