Imaginez une mère de 44 ans qui trouve un joli flacon de parfum dans une poubelle, se vaporise le poignet et meurt quelques jours plus tard dans d’atroces souffrances. Ce n’est pas le scénario d’un thriller, mais la réalité vécue par Dawn Sturgess en juillet 2018.
Une enquête accable Vladimir Poutine sept ans après les faits
Jeudi, les conclusions d’une enquête publique indépendante britannique ont été rendues publiques. Elles sont sans appel : le président russe porte la « responsabilité morale » de la mort de cette citoyenne britannique innocente, victime collatérale de l’empoisonnement au Novitchok de l’ex-agent double Sergueï Skripal.
Le rapport, long de plusieurs centaines de pages, reconstitue minute par minute la chaîne des événements qui a conduit à ce drame absurde et tragique.
Mars 2018 : l’attentat raté contre Sergueï Skripal
Tout commence le 4 mars 2018 à Salisbury, petite ville paisible du sud-ouest de l’Angleterre. Sergueï Skripal, ancien colonel du renseignement militaire russe reconverti en agent double au service du MI6, et sa fille Ioulia, en visite depuis Moscou, s’effondrent sur un banc public.
Ils ont été contaminés par un agent neurotoxique de grade militaire : le Novitchok, substance développée à l’époque soviétique et interdite par les conventions internationales.
Miraculeusement, les Skripal survivent après des semaines en soins intensifs. Mais le poison, appliqué sur la poignée de la porte d’entrée de la maison de Sergueï Skripal, a été transporté dans un flacon déguisé en parfum de la marque Nina Ricci.
Juillet 2018 : le flacon réapparaît… et tue une innocente
Quatre mois plus tard, à Amesbury, à seulement quinze kilomètres de Salisbury, Charlie Rowley trouve un flacon de parfum apparemment neuf dans une poubelle. Il l’offre à sa compagne, Dawn Sturgess.
Le 8 juillet, elle se vaporise le produit sur les poignets. Quelques heures plus tard, elle est prise de convulsions, écume à la bouche et décède le soir même à l’hôpital. L’analyse toxicologique est formelle : le flacon contenait encore une dose massive de Novitchok.
« Dawn Sturgess est la victime innocente d’une tentative d’assassinat menée par des agents d’une organisation étatique russe dans les rues de Salisbury »
Lord Anthony Hughes, président de l’enquête publique
Le rapport pointe une « irresponsabilité incroyable »
Le président de l’enquête, l’ancien juge Anthony Hughes, n’y va pas par quatre chemins. Il parle d’une « conduite incroyablement irresponsable » des agents du GRU, de leurs supérieurs hiérarchiques et de ceux qui ont autorisé la mission.
Et il nomme explicitement Vladimir Poutine parmi ces derniers.
Le rapport établit qu’il existe « un lien direct » entre les actions des trois agents russes identifiés et la mort de Dawn Sturgess. Ces trois hommes, déjà inculpés au Royaume-Uni, sont toujours recherchés par mandat d’arrêt international.
Londres réagit immédiatement
Quelques heures à peine après la publication du rapport, le ministère britannique des Affaires étrangères convoque l’ambassadeur russe Andreï Kelin.
Dans la foulée, de nouvelles sanctions sont annoncées contre « l’intégralité » du renseignement militaire russe (GRU), déjà visé par des mesures en juillet dernier pour ses activités malveillantes en ligne.
Le Premier ministre Keir Starmer déclare :
« Les empoisonnements de Salisbury ont choqué la nation et les conclusions d’aujourd’hui rappellent avec gravité le mépris du Kremlin pour les vies d’innocents. La mort inutile de Dawn est une tragédie. »
Moscou nie toujours, sept ans après
De son côté, la Russie continue de nier toute implication. Le Kremlin qualifie régulièrement ces accusations de « russophobes » et d’« absurdes ».
Pourtant, les éléments accumulés par les enquêteurs britanniques sont accablants : traces du même de Novitchok dans la chambre d’hôtel des agents russes à Londres, vidéos de surveillance, factures, billets d’avion… Tout concorde.
Pourquoi cette affaire reste-t-elle si importante en 2025 ?
Parce qu’elle symbolise, plus que toute autre, l’utilisation d’une arme chimique sur le sol européen en temps de paix.
Parce qu’elle a provoqué la plus grande vague d’expulsions croisées de diplomates depuis la fin de la Guerre froide (plus de 150 diplomates russes expulsés par une trentaine de pays alliés).
Et parce qu’elle montre, une fois de plus, que des citoyens ordinaires peuvent payer de leur vie les règlements de comptes entre services secrets.
Dawn Sturgess n’avait rien à voir avec l’espionnage. Elle est simplement tombée sur l’arme du crime parfait qui avait échoué.
Chronologie complète des événements
- 4 mars 2018 – Empoisonnement de Sergueï et Ioulia Skripal à Salisbury
- 11 mars 2018 – Theresa May accuse officiellement la Russie et annonce des sanctions
- 30 juin 2018 – Charlie Rowley trouve le flacon à Amesbury
- 8 juillet 2018 – Décès de Dawn Sturgess
- 5 septembre 2018 – Identification publique des deux agents du GRU (Boshirov et Petrov)
- 2021-2025 – Enquête publique indépendante
- 2025 – Publication du rapport final et nouvelles sanctions
Sept années se sont écoulées, mais la douleur de la famille de Dawn Sturgess reste intacte. Et la communauté internationale continue de demander des comptes.
Au-delà des sanctions financières et diplomatiques, ce rapport constitue surtout une condamnation morale définitive : un État a délibérément mis en danger la vie de civils étrangers sur le sol d’un pays souverain.
Et pour Dawn, il est trop tard.









