Imaginez vivre dans un village tranquille du Sud-Liban et recevoir, en plein après-midi, un message vous ordonnant de quitter votre maison dans l’heure qui vient parce que des bombes vont tomber. C’est exactement ce qui est arrivé jeudi aux habitants de Jbaa et Mahrouna.
Une nouvelle escalade brutale un an après la trêve
Jeudi après-midi, l’armée israélienne a diffusé un communiqué aussi clair que glaçant : des frappes aériennes allaient très prochainement viser des « infrastructures terroristes » du Hezbollah dans plusieurs zones du Liban-Sud. Deux villages ont été explicitement nommés avec cartes à l’appui et un périmètre de sécurité de 300 mètres autour de chaque cible.
Le message, signé par le colonel Avichay Adraee, porte-parole arabophone de Tsahal, ne laissait place à aucune ambiguïté : « Pour votre sécurité, éloignez-vous immédiatement ». Des milliers de personnes ont dû choisir entre rester chez elles au risque de leur vie ou tout abandonner sur un simple avertissement.
Un cessez-le-feu déjà très fragilisé
Il y a tout juste un an, en novembre 2024, un accord de cessez-le-feu avait été arraché après des mois de guerre ouverte. Cet accord, soutenu par les États-Unis et la France, prévoyait notamment le retrait des forces du Hezbollah au nord du Litani et le déploiement exclusif de l’armée libanaise dans le Sud.
Mais dès les premières semaines, les deux parties se sont mutuellement accusées de violations. Israël affirme que le Hezbollah tente de reconstruire discrètement ses positions et de réintroduire des armes dans la zone tampon. Beyrouth, de son côté, dénonce des survols quotidiens de drones et des incursions terrestres israéliennes.
« Les forces israéliennes vont bientôt attaquer des infrastructures terroristes du Hezbollah à travers le sud du Liban afin de contrer ses tentatives illégales de rétablir ses activités dans la région »
Colonel Avichay Adraee, porte-parole de l’armée israélienne
Des discussions historiques… suivies de bombes
Le timing de cette annonce est particulièrement troublant. La veille seulement, mercredi, des responsables civils libanais et israéliens s’étaient rencontrés pour la première fois depuis plus de quarante ans dans le cadre du mécanisme de surveillance de la trêve. Cette réunion, qualifiée d’« historique » par certains observateurs, s’était déroulée dans une « atmosphère positive » selon les termes mêmes de Benjamin Netanyahu.
Moins de vingt-quatre heures plus tard, les avions de chasse israéliens se préparaient déjà à décoller. Ce décalage brutal illustre parfaitement la méfiance abyssale qui sépare les discours diplomatiques des réalités militaires sur le terrain.
Le désarmement du Hezbollah : une ligne rouge israélienne
Depuis la fin de la guerre de 2024, Israël répète inlassablement la même exigence : le Hezbollah doit être totalement désarmé au sud du Litani. Pour Tel-Aviv, il ne s’agit pas d’une option négociable mais d’une condition vitale pour la sécurité du nord d’Israël.
Benjamin Netanyahu l’a redit mercredi soir avec une fermeté sans appel : tant que cette condition ne sera pas remplie, l’État hébreu se réserve le droit d’agir unilatéralement pour « protéger ses citoyens ».
Du côté libanais, on considère cette exigence comme irréaliste et humiliante. Le Hezbollah, parti politique majeur et force armée intégrée à la société chiite, refuse catégoriquement de rendre ses armes tant qu’Israël occupera toujours la ferme de Chebaa et les collines de Kfarchouba, territoires libanais selon Beyrouth.
Des frappes même pendant la visite papale
Ce qui rend la situation encore plus explosive, c’est qu’Israël n’a même pas hésité à frapper pendant des moments symboliquement sensibles. La semaine dernière, pendant la visite historique du pape Léon XIV au Liban – la première d’un souverain pontife depuis plus de dix ans – les bombardiers israéliens ont continué leurs missions.
Le 23 novembre, une frappe ciblée dans la banlieue sud de Beyrouth a éliminé Haitham Ali Tabatabai, considéré comme le nouveau chef militaire du Hezbollah après l’assassinat de Hassan Nasrallah en 2024. Cette opération, menée en pleine journée, a provoqué la colère de toute la classe politique libanaise, toutes confessions confondues.
Les États-Unis, arbitre ou complice ?
Washington joue un rôle central mais ambigu dans ce dossier. Officiellement, les États-Unis appellent les deux parties à respecter scrupuleusement l’accord de cessez-le-feu. En pratique, ils ferment les yeux sur les opérations israéliennes dès lors qu’elles sont présentées comme « défensives » ou « préventives ».
Cette position donne à Israël une marge de manœuvre considérable. Tant que les frappes restent « ciblées » et accompagnées d’avertissements à la population, elles sont tacitement acceptées par l’administration américaine, qui continue de fournir armes et renseignements à son allié.
Que se passe-t-il maintenant sur le terrain ?
À l’heure où ces lignes sont écrites, des colonnes de civils quittent les zones visées. Les routes du Sud sont embouteillées, les écoles servent de refuges improvisés, et l’angoisse est palpable.
Le Hezbollah, pour sa part, reste étrangement silencieux depuis l’annonce israélienne – signe soit de retenue stratégique, soit de préparation d’une riposte qui pourrait être dévastatrice.
Une chose est sûre : chaque nouvelle frappe éloigne un peu plus la perspective d’une paix durable entre les deux pays. Et chaque évacuation forcée creuse le fossé de la haine entre deux peuples qui, pourtant, partagent la même terre.
À retenir :
- Israël a annoncé des frappes imminentes sur Jbaa et Mahrouna
- Évacuation ordonnée dans un rayon de 300 mètres autour des cibles
- Le cessez-le-feu de novembre 2024 est plus que jamais menacé
- Première rencontre directe Israël-Liban depuis 40 ans… suivie de nouvelles bombes
- Le désarmement du Hezbollah reste la condition sine qua non d’Israël
Le Liban-Sud retient son souffle. Et le monde regarde, une nouvelle fois, ce petit pays au bord du gouffre, pris en étau entre les ambitions régionales de l’Iran, les impératifs sécuritaires d’Israël et l’impuissance de la communauté internationale.
La question n’est plus de savoir si la prochaine guerre aura lieu, mais quand elle éclatera. Et surtout, à quel prix pour les civils qui n’ont rien demandé à personne.









