Imaginez un ancien Premier ministre français, figure du gaullisme et voix respectée sur la scène internationale, qui entretient depuis près de vingt ans des relations étroites avec le pouvoir chinois. Conferences rémunérées, présidences d’organisations financées par Pékin, prises de position systématiquement favorables… Et si ces activités posaient question au moment où cet homme envisage sérieusement de briguer l’Élysée ? C’est l’histoire troublante qui se dessine autour de Dominique de Villepin.
Un parcours chinois entamé dès la sortie de Matignon
Dès 2007, quelques mois seulement après avoir quitté la primature, Dominique de Villepin pose les premières pierres de ce qui deviendra une longue collaboration avec la Chine. Introduit dans les réseaux d’influence par le général Christian Quesnot, ancien chef d’état-major particulier des présidents Mitterrand et Chirac, il effectue ses premiers déplacements à Pékin.
L’année suivante, en 2008, la capitale chinoise règle déjà 94 000 euros pour deux conférences dispensées par l’ex-Premier ministre. Un montant qui donne la mesure de l’intérêt porté à sa personne. Comme l’explique le général Quesnot, « il voulait exister et se rendre précieux, sinon indispensable, auprès du gouvernement central ».
Car en Chine, les affaires et la politique sont intimement liées. Être en bons termes avec le pouvoir central ouvre toutes les portes. Villepin semble l’avoir parfaitement compris.
L’Alliance internationale du tourisme de montagne, une vitrine financée par Pékin
Depuis 2017, Dominique de Villepin préside l’Alliance internationale du tourisme de montagne (IMTA), une organisation dont le financement est assuré par les autorités chinoises. Officiellement dédiée à la promotion du tourisme en zones montagneuses, elle s’inscrit pleinement dans la stratégie de soft power déployée par Pékin à travers le monde.
Cette présidence n’est pas un rôle honorifique. Elle implique des déplacements réguliers, des discours et une visibilité importante lors d’événements organisés sous l’égide du Parti communiste chinois. Des foires, des salons, des forums où l’ancien chef du gouvernement français apparaît comme un ambassadeur de choix pour la Chine sur la scène internationale.
Interrogé sur la portée réelle de cette activité, Villepin minimise : elle ne représenterait que 8 à 10 % de son chiffre d’affaires. Un argument qui peine à convaincre quand on mesure l’accumulation des engagements au fil des années.
L’APCEO, une plongée au cœur du système chinois
L’Association pour la promotion de la coopération Europe-Chine (APCEO) constitue un autre chapitre important. Dominique de Villepin en a assuré la présidence pendant plusieurs années. Là encore, l’objectif affiché est louable : favoriser les échanges et la compréhension mutuelle.
Mais derrière les beaux discours, l’association permet surtout d’entrer « dans la compréhension de l’intérieur de la Chine », comme le reconnaît lui-même l’intéressé. Traduction : nouer des contacts directs avec les élites politiques et économiques du régime.
« L’intérêt d’une association comme l’APCEO est de rentrer dans la compréhension de l’intérieur de la Chine. »
Dominique de Villepin
Une proximité qui se traduit concrètement par des invitations répétées à des événements majeurs, des rencontres avec les plus hauts dirigeants et une légitimité précieuse pour tout acteur souhaitant investir ou commercer avec la deuxième puissance mondiale.
Des félicitations répétées à Xi Jinping et un soutien sans faille aux Routes de la soie
Sur la scène publique, Dominique de Villepin ne cache pas son admiration pour le président chinois. Félicitations lors de chaque réélection, éloges sur la vision stratégique de Pékin, soutien enthousiaste au projet des nouvelles Routes de la soie : l’ancien Premier ministre aligne systématiquement ses positions sur celles du régime.
Il explique ces prises de position par les « usages diplomatiques » et par sa connaissance personnelle du président Xi Jinping. « Je connais bien le président Xi Jinping », déclare-t-il simplement, comme si cela suffisait à justifier une complaisance apparente.
Pourtant, le projet des Routes de la soie est aujourd’hui largement critiqué en Europe. Nombre d’observateurs y voient un outil d’endettement massif des pays partenaires et une manière pour Pékin d’étendre son influence géopolitique. Quand un responsable politique français de premier plan apporte publiquement son soutien à cette initiative, la question de l’indépendance se pose inévitablement.
Des rôles de conseiller auprès de fonds d’investissement chinois
Au-delà des organisations à vocation culturelle ou touristique, Dominique de Villepin a également occupé des fonctions plus directement financières. Il a ainsi été conseiller pour des fonds comme Minsheng ou Cedarlake Capital, et a participé au lancement de l’agence de notation Universal Credit Rating Group (UCRG), une structure présentée comme une alternative chinoise aux agences occidentales.
Ces activités, même si elles restent minoritaires dans son portefeuille selon ses dires, posent la question du conflit d’intérêts potentiel. Comment défendre les intérêts français quand on conseille simultanément des acteurs financiers directement liés au pouvoir chinois ?
Parallèlement, rappelons que l’ancien Premier ministre a perçu jusqu’à 800 000 euros annuels de Veolia à partir de 2007, avant une révision du contrat à 200 000 euros. Des rémunérations confortables qui montrent que ses compétences étaient très recherchées, y compris en dehors du continent asiatique.
Le général Quesnot, le passeur d’influence
Impossible d’évoquer ce parcours sans mentionner le rôle clé joué par le général Christian Quesnot. C’est lui qui, dès 2007, introduit Dominique de Villepin dans les cercles du pouvoir chinois. Ancien conseiller militaire de François Mitterrand puis de Jacques Chirac, il connaît parfaitement les arcanes de Pékin.
« Si vous n’êtes pas bien avec le pouvoir central, vous ne faites pas d’affaires en Chine. »
Général Christian Quesnot
Cette phrase résume à elle seule la philosophie qui semble avoir guidé les démarches de l’ancien Premier ministre. En Chine plus qu’ailleurs, politique et affaires forment un tout indissociable.
Des réactions politiques sévères
Quand ces activités sont révélées au grand jour, les critiques ne tardent pas. François Goulard, ancien ministre et figure des Républicains, estime qu’il est « totalement incompatible » pour une personnalité aspirant à l’Élysée d’avoir entretenu de tels liens avec une puissance étrangère.
D’autres responsables politiques, toutes tendances confondues, s’interrogent sur la légitimité d’un candidat qui a multiplié les marques d’allégeance à un régime autoritaire. Comment garantir son indépendance une fois au pouvoir ?
Dominique de Villepin balaie ces accusations d’un revers de main. Il affirme n’avoir « jamais travaillé pour des puissances étrangères » et brandit l’étendard du gaullisme : « L’indépendance, c’est la marque du gaullisme. » Un argument qui peine à convaincre quand on regarde le détail de ses engagements.
Une candidature à l’Élysée sous haute surveillance
Au moment où Dominique de Villepin laisse entendre qu’il pourrait se présenter à la présidentielle, ces révélations tombent au plus mauvais moment. Elles alimentent le soupçon d’une proximité excessive avec un régime dont les pratiques sont régulièrement dénoncées : censure, répression des minorités, expansionnisme en mer de Chine méridionale, espionnage économique…
Dans un contexte géopolitique tendu, où l’Europe cherche à affirmer sa souveraineté stratégique face à Pékin, la question n’est plus seulement personnelle. Elle concerne l’ensemble du débat public français : quelles relations voulons-nous entretenir avec la Chine ? Et surtout, quelles limites fixer à l’influence chinoise sur nos élites politiques ?
L’histoire de Dominique de Villepin illustre parfaitement les ambiguïtés d’une époque. Celle où d’anciens hauts responsables monnayent leur carnet d’adresses et leur prestige au profit de puissances étrangères, tout en conservant des ambitions nationales. Un grand écart qui devient de plus en plus difficile à tenir.
Alors que la campagne présidentielle approche, ces liens avec Pékin risquent de peser lourd dans le débat. Car les Français attendent de leurs dirigeants une chose essentielle : qu’ils servent d’abord les intérêts de la Nation. Rien que la Nation. Tout le reste est secondaire.
En résumé : Près de vingt ans de collaborations multiples avec la Chine, des rémunérations conséquentes, des prises de position alignées sur Pékin et une candidature présidentielle en préparation. L’affaire Villepin pose avec acuité la question de l’indépendance de nos responsables politiques face aux puissances étrangères.
Le temps dira si ces révélations auront un impact durable sur le parcours de Dominique de Villepin. Mais une chose est sûre : elles rappellent à tous que la transparence doit être la règle absolue pour quiconque prétend diriger le pays.









