Chaque fin d’année, un rendez-vous attire tous les regards en Russie : cette longue séance où le président s’assoit face au pays entier et répond, parfois pendant quatre ou cinq heures, à absolument tout. Le 19 décembre prochain, Vladimir Poutine remettra le couvert. Et cette fois, le contexte est particulièrement lourd.
Un rituel incontournable depuis plus de vingt ans
Depuis 2001, cette grande conférence de presse annuelle est devenue une institution. À quelques exceptions près – notamment quand il était Premier ministre entre 2008 et 2012 –, le chef du Kremlin n’a presque jamais manqué ce face-à-face avec la nation. L’an dernier, il avait même fusionné deux formats traditionnels : la conférence de presse classique et la célèbre « Ligne directe » avec les citoyens.
Cette année, l’exercice reprend sa forme habituelle mais conserve l’ampleur maximale. Dès 9 heures du matin (heure de Moscou), les caméras seront braquées sur lui. Journalistes accrédits, correspondants régionaux et simples Russes sélectionnés parmi des millions de questions envoyées en amont : tout le monde aura droit à la parole, ou presque.
Quatre heures minimum, souvent bien plus
Ceux qui ont déjà suivi l’événement le savent : il faut s’armer de patience. Les records dépassent parfois les quatre heures trente. Poutine alterne les sujets géopolitiques brûlants et les questions très concrètes sur les routes défoncées d’une petite ville de Sibérie ou la pénurie de médicaments dans un village reculé.
En 2023, il avait répondu à 67 questions. En 2019, le compteur avait grimpé jusqu’à 81. Chaque intervention est préparée, mais le président laisse aussi une large place à l’improvisation, ce qui donne parfois des moments inattendus, voire tendus.
2022, l’année où tout avait été annulé
Il y a une exception qui parle d’elle-même. Fin 2022, alors que l’armée russe venait d’abandonner Kherson – seule capitale régionale ukrainienne conquise depuis février –, le Kremlin avait tout simplement annulé l’exercice. Officiellement pour des raisons d’agenda. En réalité, le moment était trop délicat.
Cette absence avait été interprétée comme un aveu de faiblesse. Un an plus tard, la conférence revenait, plus longue que jamais, comme pour effacer le souvenir de cet épisode douloureux.
Un front ukrainien qui avance… lentement mais sûrement
Aujourd’hui, le tableau militaire est différent. Moscou revendique des progrès réguliers, notamment dans le Donbass. Les communiqués quotidiens du ministère de la Défense parlent de villages pris, de lignes de défense ukrainiennes enfoncées. Le prix reste élevé – les pertes sont lourdes des deux côtés –, mais la dynamique semble pencher en faveur des forces russes.
Le 19 décembre, les journalistes ne manqueront pas de demander des chiffres précis, des perspectives pour 2025, et surtout la position russe sur les éventuelles négociations. Car parallèlement aux combats, une activité diplomatique intense se déroule en coulisses, impulsée notamment par Washington.
« Le chef de l’État fera en direct le bilan de l’année écoulée et répondra aux questions des journalistes et des habitants de notre pays »
Communiqué officiel du Kremlin
L’économie russe tient bon… pour l’instant
Autre sujet brûlant : l’économie. Pendant deux ans, la Russie a surpris le monde. Malgré les sanctions occidentales parmi les plus sévères de l’histoire, le pays a maintenu une croissance positive. L’explosion des dépenses militaires et la réorientation massive des exportations d’hydrocarbures vers l’Inde et la Chine ont joué le rôle de bouée de sauvetage.
Mais les signaux d’alerte s’accumulent. L’inflation reste élevée, la Banque centrale maintient des taux directeurs très hauts, et les prévisions pour 2025 sont bien plus modestes : entre 0,5 % et 1 % de croissance du PIB seulement. L’effort de guerre commence à peser lourdement sur le budget et sur le quotidien des Russes.
Attendez-vous à des questions précises sur le prix de l’essence, les salaires, les retraites, la pénurie de main-d’œuvre dans certaines régions. Poutine devra montrer qu’il entend la grogne sans pour autant remettre en cause la stratégie globale.
Des questions qui peuvent tout faire basculer
Dans cette grande messe médiatique, tout peut arriver. Un journaliste peut poser une question embarrassante sur les pertes militaires. Un habitant d’une région sinistrée peut interpeller directement le président sur l’état des routes ou des hôpitaux. Et Poutine, connu pour sa mémoire et sa maîtrise des dossiers, répond presque toujours avec des chiffres et des noms précis.
C’est précisément cette capacité à alterner le stratégique et le très concret qui fait la force de l’exercice. Il montre qu’il contrôle tout, du front de Koursk jusqu’à la petite école qui manque de chauffage à Iakoutsk.
Un événement regardé bien au-delà des frontières
Même si l’audience principale reste russe, des millions de personnes à travers le monde suivront cette conférence. Diplomates, analystes, journalistes internationaux décortiqueront chaque mot, chaque silence, chaque inflexion de voix. Une phrase maladroite peut faire trembler les marchés. Une ouverture, même timide, sur des négociations peut changer la donne.
Le 19 décembre 2025 ne sera pas une journée comme les autres. Ce sera, une fois de plus, le moment où un seul homme parlera pendant des heures au nom de 144 millions de Russes – et où le monde entier tendra l’oreille pour comprendre vers où va vraiment le pays.
Alors, que va dire Vladimir Poutine ? Va-t-il annoncer une nouvelle phase dans le conflit ? Esquisser des conditions de paix ? Ou au contraire durcir le ton ? Réponse dans moins de trois semaines. Une chose est sûre : personne ne voudra manquer ça.









