Imaginez la scène : une ancienne figure majeure de la diplomatie européenne, habituée aux sommets internationaux et aux poignées de main avec les chefs d’État, se retrouve pendant plus de dix heures entre les mains de la police fédérale belge. Federica Mogherini, que beaucoup considéraient comme intouchable, a dû s’expliquer sur des soupçons graves de corruption et de fraude. L’affaire éclabousse le très prestigieux Collège d’Europe, cette pépinière de futurs hauts fonctionnaires bruxellois.
Un interrogatoire marathon à Bruges
C’est à Bruges, ville emblématique où siège le Collège d’Europe, que tout s’est joué mardi dernier. Federica Mogherini a été entendue pendant près de dix heures par les enquêteurs. À l’issue de cette longue audition, elle a été remise en liberté sans aucune restriction de déplacement.
Son avocate, Me Mariapaola Cherchi, s’est voulue rassurante : l’interrogatoire s’est déroulé « dans une totale transparence et dans la sérénité ». Des mots choisis avec soin, alors que l’enquête du parquet européen se poursuit et que trois personnes, dont l’ex-Haute Représentante, sont officiellement inculpées.
De quoi est-elle exactement soupçonnée ?
Le cœur du dossier concerne l’attribution, en 2021-2022, d’un important contrat de formation de futurs diplomates européens. Ce marché public a été décroché par le Collège d’Europe, établissement que Federica Mogherini dirige depuis cinq ans. Les enquêteurs cherchent à savoir si cet appel d’offres a été faussé en faveur de l’institution brugeoise.
Les chefs d’inculpation sont lourds : fraude et corruption dans le cadre de marchés publics, conflit d’intérêts, violation du secret professionnel. Des accusations qui, si elles étaient prouvées, pourraient sérieusement entacher la réputation d’intégrité de l’Union européenne.
« Le Collège d’Europe a toujours respecté les normes les plus élevées d’intégrité et d’équité »
Federica Mogherini, dans un communiqué officiel
Qui sont les trois inculpés ?
Au-delà de Federica Mogherini, deux autres personnalités de haut rang sont dans le viseur de la justice :
- Cesare Zegretti, co-directeur du Collège d’Europe en charge des formations et des projets
- Stefano Sannino, haut responsable de la Commission européenne, qui a annoncé quitter prématurément ses fonctions dès l’annonce de son inculpation
Tous trois ont été libérés après audition, le juge d’instruction estimant qu’il n’existait aucun risque de fuite. Un signe que l’enquête, bien qu’avancée, n’a pas encore réuni tous les éléments nécessaires pour des mesures plus coercitives.
Le Collège d’Europe, une institution au-dessus de tout soupçon ?
Créé en 1949, le Collège d’Europe est souvent présenté comme l’ENA à la sauce européenne. Situé entre Bruges et Natolin (Pologne), il forme chaque année des centaines d’étudiants destinés à intégrer les institutions européennes. Beaucoup de commissaires, de députés et de hauts fonctionnaires y ont étudié.
Diriger cette institution représente donc un poste à la fois prestigieux et influent. Federica Mogherini y a été nommée rectrice en 2020, un an après avoir quitté ses fonctions de Haute Représentante de l’Union pour la politique étrangère et de sécurité.
Le fait qu’un contrat de formation ait été attribué à l’établissement qu’elle dirige pose évidemment la question du conflit d’intérêts. Même si rien n’est prouvé à ce stade, la concomitance des faits interroge.
Le rôle central du parquet européen
Cette enquête est menée sous l’égide du tout jeune parquet européen (EPPO), créé en 2021 précisément pour protéger les intérêts financiers de l’Union. Basé au Luxembourg, il dispose de pouvoirs étendus dans les 22 États membres participants, dont la Belgique.
L’affaire Mogherini constitue l’un des premiers dossiers très médiatisés traités par cette institution. Elle pourrait devenir un test grandeur nature de l’indépendance et de l’efficacité du parquet européen face aux personnalités influentes.
Une défense résolument offensive
De son côté, Federica Mogherini ne compte pas se laisser faire. Dès le lendemain de son audition, elle a publié un communiqué affirmant sa « pleine confiance » dans la justice et réaffirmant l’intégrité du Collège d’Europe.
Son avocate insiste sur le climat « serein » de l’interrogatoire et sur l’absence de mesures restrictives. Un message clair : sa cliente n’a rien à se reprocher et entend le démontrer.
Quelles conséquences possibles ?
Si l’enquête aboutissait à une condamnation, les répercussions seraient considérables :
- Atteinte grave à l’image de l’Union européenne et de ses institutions
- Remise en question du système d’attribution des marchés publics européens
- Conséquences sur la carrière de plusieurs hauts responsables
- Possible crise de confiance envers le Collège d’Europe et ses anciens élèves
Même en cas de non-lieu, l’affaire laissera des traces. Dans le microcosme bruxellois, les rumeurs vont déjà bon train et les regards se font plus suspicieux.
Un dossier qui n’en est qu’à ses débuts
Pour l’instant, l’enquête se poursuit. De nouvelles auditions, perquisitions ou expertises pourraient intervenir dans les prochaines semaines. Le parquet européen, connu pour sa discrétion, ne communiquera probablement que lorsque des éléments décisifs seront réunis.
Une chose est sûre : cette affaire marque un tournant. Elle rappelle que personne, même parmi les plus hauts responsables européens, n’est à l’abri d’une enquête pour corruption. Dans une Union qui se veut exemplaire en matière de transparence, le dossier Mogherini sera scruté à la loupe.
Et pendant que Bruges, la romantique, devient le théâtre d’un thriller judiciaire européen, l’ancienne cheffe de la diplomatie attend, confiante selon ses proches, que la vérité éclate. La suite promet d’être passionnante.









