Imaginez la scène : des millions de téléspectateurs devant leur écran, des paillettes partout, et soudain, plusieurs pays éteignent leurs lumières parce qu’un drapeau dérange. C’est exactement le risque qui plane sur l’Eurovision 2025, organisé à Vienne au mois de mai prochain.
Une réunion décisive à Genève
Ce jeudi et vendredi, les membres de l’Union Européenne de Radio-Télévision (UER) se retrouvent à Genève pour deux jours de discussions qui s’annoncent explosives. Au cœur du débat : la participation d’Israël au concours alors que plusieurs diffuseurs exigent son exclusion ou menacent purement et simplement de ne pas venir.
Ce n’est pas la première fois que la géopolitique s’invite sur la scène de l’Eurovision, mais rarement le ton a été aussi dur. Plusieurs pays ont déjà franchi le pas : l’Islande demande officiellement l’exclusion d’Israël et l’Espagne annonce qu’elle boycottera si Tel-Aviv est présent. D’autres hésitent encore mais le font savoir bruyamment.
Qui menace de boycotter et pourquoi ?
La liste des pays mécontents s’allonge de mois en mois. L’Irlande, la Slovénie et les Pays-Bas ont été parmi les premiers à brandir la menace d’un retrait. L’Islande a franchi un cap supplémentaire en demandant l’exclusion pure et simple d’Israël avant même de décider si elle participera ou non.
La Belgique, la Suède et la Finlande étudient également la possibilité de rester à quai. En Espagne, la télévision publique a été claire : pas de représentant à Vienne tant qu’Israël sera de la partie. Le président de RTVE a même qualifié les dernières mesures prises par l’UER de « progrès » mais clairement « insuffisantes ».
« Israël a utilisé le concours à des fins politiques et n’a jamais été sanctionné pour cela. »
José Pablo López, président de RTVE
Le report de la décision : un cessez-le-feu qui change la donne ?
Initialement, une réunion extraordinaire devait avoir lieu début novembre pour voter sur la participation israélienne. Mais quelques jours après l’annonce d’un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, l’UER a préféré reporter la discussion à l’assemblée générale ordinaire des 4 et 5 décembre.
Ce report a été perçu par certains comme une tentative de calmer les esprits. Pour d’autres, il s’agit simplement d’un moyen de gagner du temps alors que la pression montait de toutes parts.
Des règles de vote renforcées… mais jugées insuffisantes
Le 21 novembre, l’UER a annoncé une modification de ses règles de vote et un renforcement des contrôles pour « détecter et prévenir toute activité de vote frauduleuse ou coordonnée ». Une réponse directe aux polémiques des dernières années où le vote du public a massivement soutenu les candidats israéliens malgré des jurys nationaux très sévères.
Cette annonce n’a convaincu personne parmi les diffuseurs mécontents. L’Islande a immédiatement réagi en maintenant sa demande d’exclusion. La Slovénie a adopté un budget qui ne prévoit pas de participation tant qu’Israël est dans la course. Même son de cloche en Espagne.
Seule l’Autriche, pays hôte, espère encore un compromis. Le diffuseur ORF souhaite accueillir « le plus de participants possibles » autour de « règles communes nouvelles ».
Pourquoi le vote du public pose problème
Ces dernières années, le décalage entre les jurys professionnels et le public a été spectaculaire. En 2024, Eden Golan avait été largement snobée par les jurys mais propulsée à la cinquième place grâce au télévote. Cette année, Yuval Raphael, survivante de l’attaque du 7 octobre 2023, a terminé deuxième, encore une fois portée par le vote populaire.
Plusieurs diffuseurs ont demandé que la lumière soit faite sur le détail de ces votes. Des soupçons de campagnes coordonnées, notamment depuis l’étranger, circulent depuis longtemps.
Le saviez-vous ? En 2024, Israël a reçu le maximum de points du public dans plusieurs pays alors que les jurys lui attribuaient souvent zéro point. Un écart jamais vu dans l’histoire récente du concours.
Des précédents qui font jurisprudence
L’Eurovision n’est pas étrangère aux exclusions pour raisons politiques. La Russie a été bannie après l’invasion de l’Ukraine en 2022. Le Belarus avait subi le même sort un an plus tôt suite à la réélection contestée d’Alexandre Loukachenko.
Ces précédents sont aujourd’hui brandis par les partisans d’une exclusion d’Israël. Pour eux, le principe est simple : dès qu’un pays utilise le concours à des fins politiques ou que sa présence crée une crise majeure, l’UER doit trancher.
Quelles issues possibles à Genève ?
Plusieurs scénarios sont sur la table :
- Le maintien d’Israël avec les nouvelles règles de vote jugées suffisantes par une majorité.
- Un vote formel sur l’exclusion d’Israël (solution réclamée par l’Islande).
- Un compromis qui satisferait tout le monde (peu probable).
- Une vague de retraits qui viderait partiellement le concours.
La directrice de la télévision slovène l’a dit clairement : si Israël est exclu lors d’un vote, son pays proposera immédiatement de participer. À l’inverse, sans exclusion, la Slovénie restera à quai.
Un concours plus politique que jamais
Ce qui est fascinant, c’est de voir à quel point l’Eurovision, souvent moqué pour ses paillettes et ses chansons légères, est devenu un miroir des tensions géopolitiques mondiales. Derrière les chorégraphies et les tenues extravagantes se cachent des débats de fond sur la neutralité, la représentation et le rôle de la culture dans les conflits.
Ce qui se décidera à Genève ces jeudi et vendredi aura des répercussions bien au-delà du simple concours. C’est tout l’équilibre fragile entre politique et divertissement qui est en jeu.
Et pendant ce temps, à Vienne, les préparatifs continuent. Les équipes autrichiennes croisent les doigts pour que le maximum de pays soient présents en mai. Mais une chose est sûre : l’Eurovision 2025, quoi qu’il arrive, entrera dans l’histoire. Soit comme l’édition qui a su dépasser les divisions, soit comme celle qui en a été victime.
Une chose est certaine : nous n’avons jamais été aussi suspendus au résultat d’une réunion de diffuseurs publics.









