Imaginez la scène : un président fraîchement élu, face à des journalistes étrangers, qui découvre en direct l’existence de six de ses concitoyens retenus prisonniers depuis plus d’une décennie dans le pays voisin. Ce n’est pas le scénario d’un thriller politique, c’est ce qui s’est réellement passé cette semaine à Séoul.
Un aveu qui fait l’effet d’une bombe
Mercredi, lors d’une conférence de presse, Lee Jae-myung a été interrogé sur le sort de six Sud-Coréens détenus en Corée du Nord. Sa réponse a glacé l’assistance : « C’est la première fois que j’entends parler de ça ».
Le silence qui a suivi était lourd. Devant les visages stupéfaits, le président s’est tourné vers son conseiller à la sécurité nationale, Wi Sung-lac, qui a confirmé l’existence de ces détenus. Un moment capté par toutes les caméras et qui tourne en boucle sur les réseaux.
Moins de vingt-quatre heures plus tard, la présidence publiait un communiqué officiel pour tenter de rattraper la situation. Mais le mal était fait.
Qui sont ces six oubliés de la diplomatie ?
Ils sont six. Six Sud-Coréens arrêtés entre 2013 et 2016, principalement accusés d’espionnage ou d’activités religieuses clandestines. Parmi eux, des missionnaires chrétiens et d’anciens transfuges nord-coréens revenus au Nord pour des raisons diverses.
En Corée du Nord, l’espionnage est passible de la peine de mort. Ces personnes vivent donc sous une menace permanente depuis près de dix ans, dans l’un des régimes les plus fermés et répressifs au monde.
« Dans la situation actuelle, où le dialogue intercoréen et les échanges sont suspendus depuis une longue période, les souffrances de nos concitoyens, provoquées par la division, continuent »
Communiqué de la présidence sud-coréenne, jeudi
Ce communiqué, publié en urgence, promet que le gouvernement « œuvrera pour s’occuper de cette question » dans le cadre d’une reprise rapide du dialogue avec Pyongyang. Des mots qui sonnent comme une tentative de calmer l’opinion publique.
Un couac qui révèle un malaise plus profond
Cette méconnaissance du président n’est pas anodine. Elle illustre à quel point le sort de ces détenus est passé au second plan ces dernières années, éclipsé par les grandes manœuvres géopolitiques, les essais de missiles et les provocations militaires.
Pendant cinq ans, sous la présidence conservatrice de Yoon Suk-yeol, les relations avec le Nord ont atteint leur plus bas historique. Envoi de drones, largage de tracts de propagande, exercices militaires conjoints avec les États-Unis… Autant d’actions qui ont refermé toutes les portes du dialogue.
Résultat : le dossier des détenus est resté lettre morte. La dernière fois que Séoul avait officiellement évoqué leur cas avec Pyongyang, c’était en 2018. Le Nord avait répondu que « les autorités compétentes » examinaient la question. Depuis ? Plus rien.
Lee Jae-myung veut tourner la page… mais à quel prix ?
Depuis son arrivée au pouvoir en juin, le nouveau président progressiste a multiplié les gestes d’apaisement. Il est même allé jusqu’à présenter ses excuses pour l’envoi de drones et de tracts ordonné par son prédécesseur.
Cette stratégie de la main tendue contraste fortement avec la ligne dure des conservateurs. Mais elle soulève aussi des questions : jusqu’où Lee Jae-myung est-il prêt à aller pour obtenir la libération de ces six citoyens ? Et surtout, pourquoi ce dossier semble-t-il lui avoir totalement échappé jusqu’à présent ?
La division coréenne, une plaie toujours ouverte
Il ne faut jamais oublier le contexte : Nord et Sud sont toujours techniquement en guerre. Le conflit de 1950-1953 s’est terminé par un armistice, pas par un traité de paix. Soixante-douze ans plus tard, la péninsule reste coupée en deux par la zone démilitarisée la plus lourdement armée au monde.
Dans ce climat, chaque geste, chaque parole compte. L’aveu d’ignorance du président sud-coréen risque d’être perçu à Pyongyang comme un manque de considération pour ses propres prisonniers – un argument que le régime nord-coréen ne manquera pas d’exploiter.
À retenir : Six Sud-Coréens croupissent depuis 10 ans dans les prisons nord-coréennes. Leur président vient seulement de découvrir leur existence en public. Un couac qui en dit long sur les priorités diplomatiques et les souffrances oubliées de la division.
Cette affaire met cruellement en lumière une réalité douloureuse : tant que la péninsule restera divisée, des familles continueront de vivre dans l’angoisse, séparées par une frontière hermétique, et des citoyens pourront disparaître dans les méandres d’un régime totalitaire sans que leurs dirigeants ne s’en émeuvent outre mesure.
Le chemin vers la réconciliation s’annonce encore long et semé d’embûches. Et pour ces six détenus, chaque jour passé dans l’oubli est un jour de trop.









