Imaginez une cérémonie qui, presque à chaque fois, annonce les futurs lauréats des Oscars, mais en version plus brute, plus libre, plus audacieuse. Les Spirit Awards, c’est exactement cela : le rendez-vous incontournable du cinéma indépendant américain. Et cette année, un film sort déjà du lot avant même que les votes ne commencent.
Peter Hujar’s Day, le phénomène qui bouscule tout
Mercredi, les nominations des Spirit Awards sont tombées et un titre revient en boucle : Peter Hujar’s Day. Cinq citations, dont celles, ultra-covoitées, de meilleur film et meilleur réalisateur. Un score qui place immédiatement ce biopic intimiste au sommet de la hiérarchie indie 2026.
Le film retrace une journée décisive de 1977 dans la vie du photographe culte Peter Hujar, à travers une longue conversation avec son amie Susan Sontag (bien que le film se concentre surtout sur une autre confidente). Tourné en noir et blanc granuleux, presque documentaire, il capture l’essence du downtown new-yorkais : lofts crasseux, cigarettes qui ne s’éteignent jamais, rires nerveux et une menace diffuse – le sida n’a pas encore de nom mais plane déjà.
Ce n’est pas un biopic classique. Pas de grandes scènes dramatiques, pas de flashbacks spectaculaires. Juste deux êtres humains qui parlent, rient, se disputent, se dévoilent. Et pourtant, la critique américaine est unanime : c’est l’un des grands films de l’année.
Cinq nominations qui en disent long
Quand un film indépendant décroche cinq nominations aux Spirit Awards, on sait déjà qu’il va marquer la saison. Voici le détail :
- Meilleur film
- Meilleur réalisateur
- Meilleure performance principale (acteur non nommé ici mais clairement au centre)
- Meilleur scénario
- Meilleure photographie (évidemment, quand on parle de Peter Hujar)
À titre de comparaison, Moonlight en avait obtenu six en 2017 avant de tout rafler aux Oscars. Spotlight, Birdman, Nomadland… la liste des films passés par les Spirit avant de triompher à Hollywood est impressionnante. Peter Hujar’s Day marche clairement dans leurs pas.
Les quatre challengers à quatre nominations chacun
Derrière le leader, cinq films se tiennent dans un mouchoir de poche avec quatre nominations chacun. Et chacun représente une facette différente du cinéma indépendant actuel.
Train Dreams (Netflix) adapte la nouvelle culte de Denis Johnson. L’histoire d’un ouvrier du début du XXe siècle confronté à la disparition progressive du monde qu’il a connu. Visuellement époustouflant, le film alterne séquences muettes dignes du cinéma des origines et moments de violence brute. Nommé en meilleur film et meilleur réalisateur, il pourrait créer la surprise.
Blue Sun Palace suit deux immigrants chinois à New York après un drame. Premier long-métrage de Constance Tsang, il impressionne par sa délicatesse et sa lumière presque picturale. Les catégories meilleur premier film et meilleur premier scénario semblent déjà lui tendre les bras.
Sorry, Baby d’Eva Victor mélange comédie noire et trauma avec une audace rare. Une étudiante en école d’art doit gérer les conséquences d’une agression. Drôle, cruel, parfois insoutenable. Quatre nominations dont meilleure réalisatrice et meilleur scénario.
Lurker plonge dans la psyché d’une jeune actrice en pleine ascension. Theodore Pellerin, dans un rôle non genré, livre une performance qui fait déjà parler. Thriller psychologique tendu comme un câble.
Enfin, One of Them Days, comédie déjantée sur deux amies qui doivent trouver l’argent du loyer en une journée, offre à la chanteuse SZA sa première nomination comme révélation de l’année. Face à Keke Palmer, elle vole littéralement chaque scène.
SZA : de la scène aux écrans, le grand saut
On connaissait Solána Imani Rowe pour ses albums qui ont bouleversé le R&B contemporain. On la découvre maintenant actrice. Dans One of Them Days, elle incarne une jeune femme fauchée, drôle, touchante, capable de passer de la colère aux larmes en une seconde.
« Je n’ai jamais pris de cours de théâtre. J’ai juste joué moi-même dans une situation que tout le monde a vécue : être à découvert le 30 du mois. »
SZA, en interview récente
Sa nomination dans la catégorie « Breakthrough Performance » n’est pas une surprise pour ceux qui ont vu le film. Elle est même pressentie comme favorite.
Pourquoi les Spirit Awards comptent autant
Budget maximum autorisé : 30 millions de dollars. C’est la seule règle (très souple) des Spirit Awards. Tout le reste est permis. Résultat : une liberté créative que les gros studios ne peuvent plus se permettre.
Depuis dix ans, le palmarès parle de lui-même :
- 2015 → Spotlight (puis Oscar du meilleur film)
- 2016 → Moonlight (Oscar)
- 2017 → Get Out (scénario original aux Oscars)
- 2018 → The Rider
- 2019 → The Farewell
- 2020 → Nomadland (Oscar)
- 2021 → Everything Everywhere All At Once (7 Oscars !)
Sur les dix derniers meilleurs films récompensés aux Spirit, six ont fini meilleur film aux Oscars. Un ratio impressionnant.
La cérémonie aura lieu le 15 février 2026 à Los Angeles, exactement un mois avant les Oscars (prévus le 15 mars). Les votes définitifs se clôturent le 5 mars. Autant dire que les prochains mois vont être passionnants à suivre.
Ce qu’il faut retenir de cette édition 2026
Un film en noir et blanc sur un photographe des années 70 domine les nominations. Une superstar du R&B se révèle actrice accomplie. Des premiers films ultra-prometteurs trustent les catégories révélation. Et Netflix place une adaptation littéraire ambitieuse dans la course.
Tous les ingrédients sont réunis pour une saison indie mémorable. Reste à savoir qui, le 15 février, repartira avec la fameuse statuette en forme de tente plantée sur une plage de Santa Monica – symbole parfait de ce cinéma libre, fragile et tellement vivant.
Une chose est sûre : avant même que les Oscars ne commencent à distribuer leurs bulletins, le cinéma indépendant américain nous a déjà offert ses plus beaux cadeaux de l’année.
Rendez-vous le 15 février pour savoir si Peter Hujar’s Day entrera dans la légende des Spirit Awards… et peut-être, un mois plus tard, dans celle des Oscars.









