Imaginez-vous coincé des heures sur une autoroute grecque, klaxon bloqué, sous un soleil de plomb, avec devant vous une muraille interminable de tracteurs. C’est la réalité que vivent depuis plusieurs jours des milliers d’automobilistes entre Athènes et Thessalonique. Et la situation risque de s’aggraver très vite.
Une Colère qui Monte depuis des Années
Ce n’est pas un caprice passager. Les agriculteurs grecs crient leur ras-le-bol après des mois, voire des années, de promesses non tenues et de coups durs successifs. Entre la fraude gigantesque aux subventions européennes et l’épidémie de variole ovine qui a décimé leurs troupeaux, beaucoup se sentent au bord du gouffre.
Le gouvernement, lui, tente de calmer le jeu tout en brandissant la menace de la fermeté. Mais sur le terrain, la tension est palpable.
Des Tracteurs Partout et une Frontière dans le Viseur
Depuis dimanche, l’autoroute Pathe, artère vitale du pays, est coupée à plusieurs endroits. Les tracteurs, parfois ornés de drapeaux noirs en signe de deuil, forment des barrages infranchissables. Mercredi, les manifestants ont même poussé jusqu’à une dizaine de kilomètres de la frontière bulgare avant d’être stoppés par les forces anti-émeute.
Et ils ne comptent pas s’arrêter là. La menace de fermer complètement le poste-frontière de Promachonas plane. Déjà, des files interminables de camions s’étirent des deux côtés de la ligne.
Pour les agriculteurs, ces actions coup de poing sont le seul moyen d’être entendus. « On ne partira pas tant qu’on n’aura pas de réponses concrètes », répètent-ils à l’envi.
Une Fraude qui Plombe les Paiements
Au cœur de la crise : une enquête européenne sur une fraude massive aux subventions de la Politique Agricole Commune (PAC). Des individus auraient détourné plus de 30 millions d’euros en déclarant des terres fictives ou en gonflant artificiellement la taille de leurs troupeaux.
Résultat ? Les versements légitimes sont gelés le temps des vérifications. Des agriculteurs honnêtes se retrouvent sans un centime alors qu’ils comptaient sur ces aides pour survivre.
« Avant, je touchais environ 6 000 euros par an pour mes 60 hectares de coton. Cette année, je n’ai même pas eu 1 000 euros à cause du scandale. »
Aris Lioutas, cultivateur de coton et syndicaliste
Comme lui, beaucoup dénoncent une injustice flagrante : les petits payent pour les erreurs (ou les malversations) des autres.
La Variole Ovine, Coup de Grâce pour les Éleveurs
À cela s’ajoute un drame sanitaire sans précédent. Une épidémie de variole du mouton a entraîné l’abattage obligatoire de plus de 400 000 bêtes. Pour de nombreux éleveurs, c’est toute une vie de travail qui est partie en fumée en quelques jours.
Les indemnisations promises tardent à arriver. Et surtout, les autorités refusent toujours d’autoriser la vaccination, arguant qu’il n’existe aucune preuve scientifique de son efficacité.
Sur le bord de la route, un jeune de 18 ans, Giorgos Nikolis, dont la famille cultive des tomates industrielles, ne décolère pas :
« Des gens ont tout perdu en une journée à cause de cette maladie. Le secteur primaire est en train de mourir, et personne ne semble s’en rendre compte. »
Le Gouvernement Entre Fermeté et Promesses
Face à l’escalade, le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a haussé le ton lors du conseil des ministres. Il a mis en garde contre les « actions extrêmes » qui, selon lui, nuisent à l’image des agriculteurs et pénalisent d’autres catégories de la population.
Mais il a aussi tenté d’apaiser les esprits en assurant que les agriculteurs légitimes ne perdraient pas un euro une fois l’enquête terminée. Mieux : ils toucheront même plus de 500 millions d’euros supplémentaires par rapport à 2024.
Des paroles qui peinent à convaincre sur le terrain. Beaucoup y voient une énième promesse en l’air.
Des Revenus en Chute Libre
Derrière les tracteurs et les barrages, il y a des familles entières qui ne savent plus comment joindre les deux bouts. Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
- Subventions en baisse constante depuis 2014
- Prix de vente des produits agricoles au plus bas
- Coûts de production qui explosent (engrais, carburant, énergie)
- Pertes colossales liées à la variole ovine
Christos Trikalianis, 65 ans, cultivateur de maïs, résume le sentiment général :
« J’ai reçu 700 euros nets il y a quelques jours. Quand on sait que certains touchaient des millions sans avoir une seule bête… c’est une insulte. »
La colère est d’autant plus vive que beaucoup soupçonnent des personnalités politiquement connectées d’avoir profité du système.
Et Maintenant ?
La situation est explosive. Les agriculteurs promettent de durcir le mouvement si aucune avancée concrète n’est annoncée rapidement. Fermeture définitive de la frontière ? Blocage des ports ? Des aéroports ? Tout est sur la table.
Le gouvernement, lui, marche sur des œufs. Réprimer trop fort risquerait d’enflammer davantage la situation. Céder trop vite pourrait être perçu comme une faiblesse.
Une chose est sûre : cette crise n’est pas qu’agricole. Elle révèle les failles profondes d’un modèle qui, pour beaucoup de paysans grecs, les condamne à disparaître.
Sur l’autoroute, sous les drapeaux noirs qui claquent au vent, une question revient sans cesse : jusqu’à quand tiendra le barrage ? Et surtout, qui cédera le premier ?
À retenir :
– Des milliers de tracteurs bloquent toujours l’autoroute principale
– Menace sérieuse sur la frontière avec la Bulgarie
– Fraude de plus de 30 millions d’euros aux subventions
– Plus de 400 000 animaux abattus à cause de la variole
– Revenus en chute libre et sentiment d’abandon général
La Grèce retient son souffle. Et l’Europe regarde, car ce qui se joue sur ces routes du nord pourrait bien faire tâche d’huile ailleurs.









