Imaginez-vous coincé depuis des mois, voire des années, dans une bande de terre de 365 kilomètres carrés, sans pouvoir en sortir. Et soudain, une annonce tombe : la porte pourrait enfin s’ouvrir. C’est exactement ce qu’ont ressenti des milliers de familles à Gaza mercredi lorsqu’Israël a déclaré que le passage de Rafah allait prochainement permettre leur sortie vers l’Égypte. Joie fugace. Quelques heures plus tard, Le Caire démentait tout accord. Retour à la case départ, ou presque.
Une annonce israélienne qui surprend tout le monde
Mercredi, l’organisme israélien chargé des affaires civiles dans les territoires palestiniens a diffusé une information pour le moins inattendue. Selon lui, le poste-frontière de Rafah, fermé depuis de longs mois, rouvrira « dans les prochains jours » mais uniquement pour permettre aux résidents de la bande de Gaza de quitter le territoire en direction de l’Égypte.
Cette décision serait prise « conformément à l’accord de cessez-le-feu » et sur directive du plus haut niveau politique israélien. L’ouverture serait coordonnée, assure-t-on, avec l’Égypte et l’Union européenne. Sur le papier, tout semble clair et concerté.
Le Caire monte immédiatement au créneau
Mais très vite, la réponse égyptienne tombe, ferme et sans ambiguïté. Non, il n’existe aucun accord pour une ouverture à sens unique. Si le passage de Rafah doit rouvrir, ce sera dans les deux sens, pour entrer et pour sortir, comme le prévoit le plan américain porté par le président Donald Trump.
« Si un accord est conclu pour ouvrir le passage, celui-ci se fera dans les deux directions pour entrer et sortir de la bande de Gaza, conformément au plan du président américain Donald Trump »
Services d’information de l’État égyptien
Le ton est posé, mais le message est clair : l’Égypte refuse catégoriquement l’idée d’un exode forcé ou d’une sortie sans retour. Elle se place en gardienne de la dignité palestinienne et rappelle qu’elle n’acceptera jamais de devenir le réceptacle d’une population chassée de chez elle.
Pourquoi Rafah est-il si stratégique ?
Pour comprendre l’ampleur du différend, il faut se replonger dans la géographie et dans l’histoire récente. Le poste-frontière de Rafah se trouve à l’extrême sud de la bande de Gaza, là où la terre palestinienne touche le désert du Sinaï égyptien. C’est la seule porte de sortie qui n’est pas directement contrôlée par Israël.
Depuis 2007 et la prise de pouvoir du Hamas à Gaza, ce passage a toujours été soumis à des restrictions drastiques. L’Égypte, qui craint les infiltrations djihadistes dans le Sinaï, le ferme régulièrement. Israël, de son côté, voit en Rafah une menace sécuritaire permanente.
En mai 2024, l’armée israélienne avait même pris le contrôle du côté palestinien du terminal, affirmant qu’il servait à faire transiter des armes. Depuis, il est resté hermétiquement clos la plupart du temps.
Le précédent de janvier 2025
Il y a pourtant eu une brève éclaircie. Lors de la trêve de deux mois intervenue début 2025, Rafah avait rouvert temporairement. D’abord pour laisser sortir quelques centaines de personnes, essentiellement pour des raisons médicales urgentes. Ensuite, des camions d’aide humanitaire avaient pu pénétrer dans l’enclave.
Cette parenthèse avait redonné un peu d’espoir. Les images de familles franchissant la frontière, même en nombre limité, avaient fait le tour du monde. Mais dès la fin de la trêve, tout était retombé dans le silence et l’immobilité.
Que dit réellement le plan Trump ?
L’annonce israélienne fait référence au plan de paix américain présenté par Donald Trump. Ce plan, rappelons-le, envisageait notamment une reconstruction massive de Gaza, mais aussi des déplacements de population sous certaines conditions. Des clauses qui avaient immédiatement été dénoncées comme une forme de transfert forcé par les Palestiniens et par de nombreux pays arabes.
L’Égypte, en brandissant cette fois le plan Trump pour justifier une ouverture bidirectionnelle, retourne habilement l’argument. Elle montre qu’elle est prête à coopérer, mais uniquement dans un cadre équilibré et respectueux du droit des Palestiniens à rester sur leur terre s’ils le souhaitent.
Une crise humanitaire qui ne faiblit pas
Derrière les déclarations politiques, la réalité sur le terrain reste dramatique. Deux ans après l’attaque du 7 octobre 2023 et la guerre qui a suivi, Gaza est exsangue. L’électricité est rationnée, parfois inexistante. Les hôpitaux fonctionnent au compte-gouttes. Le carburant manque cruellement.
L’ONU et toutes les grandes organisations humanitaires répètent depuis des mois que l’ouverture permanente de Rafah est une condition sine qua non pour éviter une catastrophe encore plus grande. Les camions d’aide s’entassent côté égyptien, prêts à entrer, mais bloqués par l’absence d’accord durable.
Les vraies intentions derrière l’annonce israélienne
Alors, pourquoi Israël fait-il cette annonce maintenant ? Plusieurs hypothèses circulent. La première, et la plus cynique, voudrait que l’on cherche à vider progressivement Gaza de sa population pour rendre irréversible la situation sur le terrain. Une sortie sans retour organisée sous couvert humanitaire.
Une autre lecture, plus nuancée, y voit une tentative de pression sur le Hamas et sur les négociateurs qataris et égyptiens qui tentent de prolonger le cessez-le-feu actuel. En agitant le spectre d’une ouverture unilatérale, on forcerait peut-être la main des médiateurs.
Enfin, certains observateurs estiment qu’il s’agit simplement d’une ballon d’essai. Une manière de tester les réactions, de voir jusqu’où l’Égypte est prête à aller dans son refus, et de préparer l’opinion publique israélienne à une éventuelle nouvelle phase du conflit si les négociations échouent.
L’Égypte entre marteau et enclume
Pour Le Caire, la situation est particulièrement délicate. Refuser l’ouverture, c’est être accusé de participer au blocus de Gaza. Accepter une sortie à sens unique, c’est ouvrir la porte à un scénario que tous les pays arabes redoutent : la transformation du Sinaï en nouvelle terre d’accueil forcé des Palestiniens, et la fin définitive du rêve d’un État en Cisjordanie et à Gaza.
Le président égyptien marche sur une corde raide. Il doit maintenir de bonnes relations avec Washington et avec Israël, tout en préservant sa crédibilité dans la rue arabe. Chaque décision sur Rafah est scrutée, disséquée, commentée.
Et maintenant ?
À l’heure où ces lignes sont écrites, la situation reste figée. L’Union européenne, pourtant mentionnée comme partenaire dans l’annonce israélienne, n’a pas réagi officiellement. Du côté palestinien, on oscille entre méfiance et espoir prudent.
Une chose est sûre : tant que les deux parties continueront à parler de Rafah sans se mettre d’accord sur les termes exacts de son ouverture, des milliers de familles resteront prisonnières d’une bande de terre devenue, malgré le cessez-le-feu, une immense prison à ciel ouvert.
La porte de Rafah reste fermée. Pour l’instant.









