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Ouzbékistan Rouvre sa Frontière avec l’Afghanistan : Une Nouvelle Ère

Le pont de l’amitié entre l’Ouzbékistan et l’Afghanistan rouvre enfin aux voyageurs après quatre ans de fermeture. Ce qui était un simple poste de marchandises limité devient un vrai couloir ouvert. Mais pourquoi maintenant, et surtout, qu’est-ce que cela annonce pour toute l’Asie centrale ? La réponse risque de vous surprendre…

Imaginez un pont métallique rouillé par le temps, témoin muet du retrait soviétique en 1989, de la déroute des soldats afghans en 2021… et qui, soudain, retrouve vie. Depuis le 23 novembre dernier, le pont Termez-Hairatan, unique point de passage entre l’Ouzbékistan et l’Afghanistan, est à nouveau ouvert aux personnes. Un événement discret dans les médias occidentaux, mais qui pourrait bien redessiner les équilibres économiques et géopolitiques d’une région entière.

Un pont qui change tout en quelques kilomètres

Jusqu’à présent, pour rejoindre Mazar-e-Sharif, grande ville du nord afghan située à seulement 75 kilomètres de la frontière ouzbèke, les voyageurs devaient faire un détour d’une journée entière via le Tadjikistan. Un non-sens géographique qui pénalisait lourdement le commerce et les échanges humains.

La Chambre de commerce et d’industrie ouzbèke l’a annoncé avec une satisfaction à peine voilée : le poste-frontière est désormais pleinement opérationnel. Camions, voitures particulières, voyageurs à pied… tout le monde peut franchir le fleuve Amou-Daria sans détour. Le régime de visa reste en vigueur, mais la barrière physique a sauté.

Qu’est-ce qui a vraiment changé depuis 2021 ?

Quand les talibans reprenaient Kaboul en août 2021, les cinq républiques d’Asie centrale avaient toutes fermé leurs frontières par crainte d’une contagion islamiste. Quatre ans plus tard, la peur semble avoir cédé la place au pragmatisme.

L’Ouzbékistan, en particulier, n’a jamais totalement rompu le contact. Le commerce, même limité, n’a jamais cessé. Une zone franche avait même été créée à Airitom pour permettre aux Afghans de venir faire leurs achats sans visa. Mais la réouverture totale marque un palier supplémentaire : on passe d’une relation de survie à une relation de partenariat.

« La réouverture facilitera grandement les opérations des entreprises exportatrices »

Chambre de commerce et d’industrie ouzbèke

Cette phrase, presque anodine, résume tout. Les exportations ouzbèkes vers l’Afghanistan n’ont cessé d’augmenter ces dernières années. Farine, huile, matériaux de construction, véhicules… Tachkent est devenu l’un des premiers fournisseurs du régime taliban, sans tambour ni trompette.

Le pont de l’amitié : symbole d’une histoire mouvementée

Construit par les Soviétiques dans les années 1980, le pont Termez-Hairatan porte bien son nom… à géométrie variable. C’est par là que l’Armée rouge s’était retirée en 1989, marquant la fin d’une décennie d’occupation. Trente-deux ans plus tard, en 2021, des centaines de soldats de l’ancienne armée afghane l’avaient franchi en sens inverse pour échapper aux talibans.

Aujourd’hui, le même ouvrage devient le symbole d’une normalisation. Les camions ouzbeks chargés de blé et de ciment roulent dans le sens sud, tandis que les marchandises afghanes – fruits secs, tapis, pierres semi-précieuses – prennent le chemin du nord.

Le pont en chiffres
Longueur : environ 700 mètres
Largeur : une voie ferrée + une route
Distance Termez – Mazar-e-Sharif : 75 km
Temps de trajet avant 2025 : 1 jour via le Tadjikistan
Temps de trajet aujourd’hui : moins de 2 heures

Pourquoi l’Ouzbékistan mise autant sur l’Afghanistan

La réponse tient en trois lettres : CPEC, TAPI, CASA-1000… Autant de projets régionaux d’infrastructures dont l’Afghanistan est la pièce manquante. L’Asie centrale regorge d’énergie (gaz turkmène, hydroélectricité tadjike et kirghize) et de matières premières. L’Afghanistan, lui, offre le chemin le plus court vers les ports pakistanais et indiens.

Pour Tachkent, ouvrir la frontière n’est pas un geste humanitaire. C’est une stratégie. Plus le commerce transite par le pont Termez-Hairatan, plus l’Ouzbékistan devient incontournable dans les nouvelles routes de la soie version XXIe siècle.

Et les talibans, dans tout ça ? Ils ont un besoin vital de céréales, d’électricité et de carburant. L’Asie centrale est leur fournisseur le plus proche et le plus fiable. Le deal est simple : stabilité contre commerce.

Et les autres pays d’Asie centrale dans tout ça ?

L’Ouzbékistan n’est pas seul. Le Turkménistan avance sur le gazoduc TAPI. Le Tadjikistan discute du projet CASA-1000 pour exporter son électricité. Même le Kazakhstan, plus distant, augmente ses exportations de blé.

  • Le commerce régional a bondi de plus de 50 % avec l’Afghanistan depuis 2022
  • Les talibans participent désormais aux sommets régionaux (comme celui de Tachkent en 2024)
  • Les craintes d’exportation du jihadisme semblent s’estomper au profit des intérêts économiques

En résumé, la région choisit la realpolitik. Et le pont Termez-Hairatan en est le symbole le plus concret.

Ce que cela signifie pour les Afghans ordinaires

Pour les habitants de Mazar-e-Sharif ou de Kunduz, la réouverture change la vie. Accéder aux marchés ouzbeks devient plus simple, moins cher. Les étudiants afghans peuvent plus facilement rejoindre les universités centrasiatiques. Les malades graves trouvent plus rapidement des hôpitaux modernes à Termez ou Samarcande.

Quant aux commerçants, ils n’ont plus à payer les pots-de-vin exorbitants du détour tadjik. Un trajet qui coûtait 300 dollars et une journée entière tombe à quelques dizaines de dollars et deux heures.

Un modèle qui pourrait inspirer ailleurs ?

Ce pragmatisme ouzbek fait tache d’huile. Plusieurs pays musulmans, de la Turquie au Qatar en passant par les Émirats, ont normalisé ou intensifié leurs relations avec Kaboul. L’argument est toujours le même : l’isolement total n’a jamais ramené la stabilité, le commerce, si.

En rouvrant ce pont, l’Ouzbékistan ne fait pas seulement du business. Il pose les bases d’une nouvelle architecture régionale où l’Afghanistan, pour la première fois depuis quarante ans, pourrait redevenir un pays de transit plutôt qu’un cul-de-sac.

Et quelque part, sur ce vieux pont de l’amitié qui grince sous le poids des camions, on entend peut-être le bruit discret d’une page qui se tourne.

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