Imaginez-vous à Bangkok, il est 15 h 17, la chaleur est écrasante et vous rêvez d’une bière fraîche sur une terrasse. Jusqu’à mardi dernier, c’était tout simplement impossible légalement. Depuis mercredi, tout a changé. La Thaïlande vient de franchir un cap historique en autorisant la vente d’alcool sans interruption de 11 h à minuit.
Une loi née dans les années 70 qui n’avait plus de sens
Retour dans le temps. Nous sommes dans les années 1970. Le pays veut protéger la productivité de ses fonctionnaires. L’idée est simple : interdire la vente d’alcool entre 14 h et 17 h pour éviter que les employés de l’État ne filent boire en cachette pendant les heures de bureau. À l’époque, cela semblait logique.
Cinquante ans plus tard, les mentalités ont évolué. Le télétravail existe, les horaires sont plus souples et surtout, les touristes du monde entier débarquent dans un pays célèbre pour sa vie nocturne… et se retrouvent bloqués à l’heure du goûter. Le vice-Premier ministre Sophon Saram l’avait résumé avec une pointe d’humour : « On pouvait craindre que les fonctionnaires aillent boire en douce, mais les temps ont changé ».
Six mois d’expérimentation sous haute surveillance
Attention, il ne s’agit pas d’une libéralisation totale. Le gouvernement a opté pour une période d’essai de 180 jours. Une commission spéciale va observer les effets sur la consommation, la sécurité routière et le comportement général de la population.
Le ministre de la Santé, Pattana Promphat, a justifié cette décision dans la Gazette royale en expliquant qu’elle était « conforme à la situation actuelle ». Traduction : le monde a changé, les habitudes aussi, et il est temps d’adapter la loi plutôt que de la subir.
« Les temps ont changé »
Vice-Premier ministre Sophon Saram
Que change concrètement cette nouvelle règle ?
Avant mercredi :
- Vente autorisée de 11 h à 14 h
- Interdiction totale de 14 h à 17 h
- Reprise de 17 h à minuit (ou 2 h du matin selon les zones)
Depuis mercredi :
- Vente continue de 11 h à minuit partout dans le pays
- Plus aucune coupure l’après-midi
- Les bars et supérettes peuvent servir sans interruption
À Bangkok, dans les 7-Eleven et Family Mart, de petites affiches ont commencé à apparaître dans les rayons bière. Beaucoup de clients ne se sont même pas rendu compte du changement tant la pratique était ancrée dans les habitudes.
Les Thaïlandais sont-ils prêts à boire plus… ou juste plus librement ?
Dans un bar du centre-ville, une serveuse confiait hier qu’elle avait appris la nouvelle sur TikTok. « Ça ne change quasiment rien, on n’a généralement pas beaucoup de monde à ces heures-là », explique-t-elle en essuyant un verre. Sur la terrasse, trois touristes allemands sirotent tranquillement leur Chang à 15 h 30. Eux, par contre, sont ravis.
Le bouddhisme, religion majoritaire, considère toujours l’alcool comme une source de perte de conscience et donc une transgression morale. Cette dimension spirituelle pèse encore lourd dans les débats. Pourtant, la réalité économique parle plus fort : le tourisme représente une part énorme du PIB thaïlandais.
Le lourd bilan qui fait réfléchir
Derrière la fête, il y a des chiffres glaçants. Entre 2019 et 2023, près de 34 000 personnes sont mortes sur les routes thaïlandaises dans des accidents liés à l’alcool. C’est l’un des taux les plus élevés d’Asie. L’Organisation mondiale de la santé place régulièrement le pays en haut des classements de consommation régionale.
34 000 morts en cinq ans. Ce chiffre donne le vertige et explique pourquoi la période d’essai est scrutée de très près. Si les accidents augmentent sensiblement, la mesure sera purement et simplement annulée.
Et les touristes dans tout ça ?
Pour les visiteurs étrangers, cette nouvelle est une bénédiction. Finies les files d’attente à 16 h 55 devant les supérettes, finis les regards surpris quand on demande une bière à 15 h. La Thaïlande redevient un peu plus le « pays du sourire » sans contrainte horaire absurde.
Les grandes marques locales – Singha, Chang, Leo – devraient aussi profiter de cette fenêtre supplémentaire de vente. Les bars de Khaosan Road, Patong ou Walking Street risquent de voir leur chiffre d’affaires grimper légèrement l’après-midi.
Vers une libéralisation définitive ou un retour en arrière ?
Dans six mois, la commission rendra son verdict. Plusieurs scénarios sont possibles :
- Maintien de la vente continue si les chiffres restent stables
- Retour partiel à l’ancien système en cas d’augmentation des accidents
- Nouvelle réglementation hybride (par exemple autorisation uniquement dans les zones touristiques)
Ce qui est certain, c’est que la Thaïlande vit un véritable laboratoire social en direct. Un pays profondément bouddhiste qui tente de concilier tradition, modernité et réalité économique.
En attendant le bilan officiel, les terrasses de Bangkok, Phuket ou Chiang Mai affichent déjà quelques sourires supplémentaires à l’heure où, hier encore, elles devaient rester désespérément sèches. Le pays du sourire vient peut-être de trouver une nouvelle raison de sourire… avec modération, bien sûr.









