Imaginez la femme la plus puissante du pays, hier encore saluée dans les couloirs du palais présidentiel, se retrouver aujourd’hui menacée de quinze années derrière les barreaux. C’est la réalité brutale à laquelle fait face Kim Keon Hee, ancienne première dame de Corée du Sud. Mercredi, les procureurs ont frappé fort : quinze ans de prison et une amende colossale. Le message est clair : personne n’est au-dessus des lois, pas même celle qui incarnait, il y a peu, l’image même du pouvoir.
Un réquisitoire sans concession
Devant le tribunal de Séoul, l’accusation n’a pas mâché ses mots. Kim Keon Hee, 52 ans, se serait « placée au-dessus des lois », selon les termes des procureurs. Le parquet a requis quinze années d’emprisonnement ferme et une amende de 20 millions de wons (environ 11 700 euros). Une peine lourde, à la mesure des chefs d’accusation retenus.
Arrêtée en août dernier, l’ex-première dame doit répondre de faits graves qui s’étalent sur plus d’une décennie. Manipulation de cours boursiers, corruption, violation des lois électorales : le dossier est épais et les preuves, selon l’accusation, accablantes.
La manipulation boursière de 2009-2012
L’un des volets les plus anciens concerne une entreprise de commerce automobile. Entre 2009 et 2012, Kim Keon Hee est soupçonnée d’avoir artificiellement gonflé la valeur du titre en bourse. Une opération qui aurait permis à certains proches de réaliser des profits substantiels. Les enquêteurs parlent d’une coordination précise, presque chirurgicale, pour faire grimper les cours avant de revendre au plus haut.
Ce genre de pratique, bien que technique, n’est pas rare dans certains milieux d’affaires sud-coréens. Mais quand l’une des protagonistes devient première dame dix ans plus tard, l’affaire prend une tout autre dimension politique.
Les cadeaux de luxe qui ont tout fait basculer
C’est une vidéo qui a mis le feu aux poudres. Un pasteur filme en cachette une scène où il offre un sac à main de créateur à Kim Keon Hee. La séquence, diffusée massivement, choque l’opinion publique. Dans un pays où l’image de probité des dirigeants est scrutée à la loupe, accepter des cadeaux de luxe quand on occupe la fonction de première dame est perçu comme une faute majeure.
Les enquêteurs découvriront ensuite d’autres présents : colliers en diamants, sacs haut de gamme… Des cadeaux qui, isolément, pourraient passer pour des attentions. Mis bout à bout, ils dessinent le portrait d’une première dame ayant franchi la ligne rouge de l’enrichissement personnel.
« Elle a collaboré avec une organisation religieuse, sapant ainsi la séparation entre la religion et l’État prévue par la Constitution. »
Les procureurs, lors de l’audience
L’ombre de la secte Moon
Le dossier prend une tournure encore plus explosive avec l’implication présumée de l’Église de l’Unification, plus connue sous le nom de secte Moon. Han Hak-ja, la dirigeante de ce mouvement, a vu son propre procès s’ouvrir cette semaine pour avoir versé des pots-de-vin à l’ancienne première dame.
Les liens entre certains cercles politiques conservateurs sud-coréens et cette organisation ne sont pas nouveaux. Mais voir la femme du président accusée d’avoir reçu des avantages en échange de faveurs a profondément choqué une partie de l’opinion.
Pour les procureurs, ces faits constituent une atteinte directe à la séparation entre religion et État, principe cardinal de la Constitution sud-coréenne.
L’ingérence dans les affaires du parti
Mais le parquet ne s’arrête pas là. Kim Keon Hee est également accusée d’avoir interféré dans le processus de nomination des candidats du Parti du pouvoir au peuple (PPP), l’ancien parti de son mari Yoon Suk Yeol.
Des écoutes téléphoniques, des témoignages internes : les preuves accumulées montreraient que la première dame jouait un rôle bien plus important qu’on ne l’imaginait dans les coulisses du pouvoir. Des appels pour placer tel candidat, écarter tel autre… Une mainmise qui, selon l’accusation, a « porté atteinte à l’équité des élections et au système de démocratie représentative ».
Dans un pays où la politique reste très personnalisée, l’influence d’un conjoint n’est pas rare. Mais là encore, la fonction de première dame impose une retenue que Kim Keon Hee n’aurait, selon le parquet, pas respectée.
Les mots de la défense
Face à cette avalanche d’accusations, Kim Keon Hee a tenté, lors de sa dernière audition, de se défendre. Elle a qualifié les charges retenues contre elle de « profondément injustes ». Un ton mesuré, presque résigné.
Mais dans la même phrase, elle a reconnu des « erreurs » : « Lorsque je considère mon rôle et les responsabilités qui m’ont été confiées, il semble clair que j’ai commis de nombreuses erreurs. » Des mots qui, dans le contexte sud-coréen, peuvent être interprétés comme une demi-aveu ou une tentative de sauver la face.
Un calendrier symbolique
L’audience finale s’est tenue un an, jour pour jour, après la proclamation de la loi martiale par son mari, l’ancien président Yoon Suk Yeol. Ce 3 décembre 2024, la Corée du Sud avait basculé dans la crise la plus grave depuis des décennies. Un an plus tard, c’est sa femme qui se retrouve sur le banc des accusés.
Le verdict est attendu pour le 28 janvier prochain. Une date qui sera scrutée dans tout le pays, tant ce procès dépasse le simple cadre judiciaire pour devenir un véritable règlement de comptes politique.
Les chefs d’accusation en un coup d’œil :
- Manipulation de cours boursiers (2009-2012)
- Corruption et acceptation de cadeaux de luxe
- Violation des lois électorales
- Ingérence dans les nominations du PPP
- Collusion avec une organisation religieuse
Réquisitoire : 15 ans de prison + 20 millions de wons d’amende
Ce procès s’inscrit dans une vague plus large de règlements de comptes judiciaires qui touche l’ancien pouvoir. Après la destitution de Yoon Suk Yeol, l’appareil judiciaire semble déterminé à faire la lumière sur toutes les zones d’ombre de son mandat.
Pour beaucoup d’observateurs, ce réquisitoire très sévère vise aussi à envoyer un message : la justice entend reprendre la main après des années où certains pensaient pouvoir agir en toute impunité.
Kim Keon Hee le sait : le 28 janvier, le tribunal rendra une décision qui pourrait marquer durablement l’histoire politique récente de la Corée du Sud. Quinze ans de prison ou une peine allégée ? L’issue reste incertaine, mais une chose est sûre : l’ancienne première dame ne sortira pas indemne de cette épreuve.
Et pendant ce temps, dans l’ombre, le pays continue de panser les plaies d’une crise institutionnelle sans précédent. L’histoire, elle, n’a pas fini de s’écrire.









