Imaginez une maison ordinaire dans une petite ville du sud-ouest de la France. Derrière les volets clos, une adolescente de dix-huit ans passe ses journées enfermée dans sa chambre, entourée de livres et de dessins. Un matin de novembre 2019, elle est retrouvée en train de convulser. Six jours plus tard, elle est morte. Cause officielle : une dose massive d’un médicament pour le cœur, dix fois supérieure à la normale. Sa mère crie au suicide. L’accusation, elle, parle d’empoisonnement délibéré. Et l’histoire ne s’arrête pas là.
Un verdict très attendu à Mont-de-Marsan
Ce mercredi, après presque deux semaines d’audience, les jurés et les magistrats de la cour d’assises des Landes se retirent pour délibérer. Au centre du box, Maylis Daubon, 53 ans, attend le verdict le plus lourd de sa vie. Elle risque la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir administré à ses deux filles des substances de nature à entraîner la mort. Elle nie farouchement. Pour elle, sa fille aînée, Enea, s’est donné la mort. Point final.
Mais les éléments accumulés par l’enquête dessinent un tableau bien plus sombre : des médicaments cachés dans un emballage de suppositoires, des ordonnances douteuses, des analyses révélant des substances interdites chez la cadette encore mineure… Et surtout, une mère décrite comme théâtrale, victimisante, parfois mythomane.
13 novembre 2019 : le jour où tout bascule
Enea, 18 ans, vit recluse depuis plus d’un an. Déscolarisée, elle souffre de troubles psychologiques. Un infirmier passe chaque jour lui administrer ses traitements. Ce matin-là, elle est retrouvée inconsciente dans son lit, en arrêt cardio-respiratoire. Les pompiers parviennent à la ranimer sur place, mais six jours plus tard, à l’hôpital, son cœur s’arrête définitivement.
Le taux de Propranolol retrouvé dans son sang est astronomique. Ce bêta-bloquant, prescrit un an plus tôt contre des migraines, n’aurait jamais dû se trouver à la maison en 2019 : aucune ordonnance récente. Pourtant, il a fallu au moins une cinquantaine de cachets pour atteindre ce niveau létal.
Comment une jeune fille fragile a-t-elle pu se procurer et avaler autant de comprimés ? La question hante les enquêteurs dès le premier jour.
Une mère omniprésente dans le parcours médical de ses filles
Dès 2018, Maylis Daubon traîne sa fille aînée chez plus de trente médecins différents. Migraines, troubles du sommeil, douleurs en tout genre : les consultations s’enchaînent. Les prescriptions aussi. L’accusation parle d’une véritable « chasse aux médicaments ».
Une experte toxicologue auditionnée à la barre est formelle : cette surmédication répétée a plongé Enea dans une vulnérabilité chimique extrême. Son cerveau, saturé de substances, aurait pu perdre tout libre arbitre. Dans cet état, une suggestion extérieure – même subtile – aurait suffi à la pousser à un geste fatal.
« On peut imaginer qu’un tiers ait pu lui suggérer des actes qu’elle n’aurait jamais commis en temps normal »
L’expert toxicologue à l’audience
Des cachets de Propranolol sont découverts chez la mère, dissimulés dans un emballage de suppositoires, et d’autres dans le vaisselier du salon. Des incohérences dans ses déclarations, des soupçons de falsification d’ordonnances… Tout semble accuser Maylis Daubon. Pourtant, elle pleure, gémit, baisse la tête et répète inlassablement la même phrase : « Je suis une mère qui pose problème, je le sais, mais jamais je n’aurais fait ça ».
La cadette aussi victime de surmédication
Lorsque la mère est mise en examen en 2022, puis incarcérée, les soupçons se renforcent l’année suivante. Des analyses capillaires réalisées sur la fille cadette, Luan, révèlent la présence massive de Zopiclone, un somnifère puissant réservé aux adultes. À l’époque des faits, Luan était mineure.
Or, qui bénéficiait de nombreuses prescriptions de ce médicament ? Sa mère. Aujourd’hui âgée de 22 ans, Luan monte à la barre pour défendre farouchement l’accusée. Elle parle d’une enfance « heureuse mais compliquée », évoque le divorce douloureux et les violences qu’elle impute à son père. Jamais elle ne met en cause sa mère.
Un père effacé et une vengeance supposée
Yannick Reverdy, ancien international français de handball, a divorcé de Maylis Daubon en 2009. Après la séparation, il perd tout contact avec ses filles. À l’audience, il livre une version radicale : sa ex-épouse aurait utilisé les enfants comme « outil de vengeance » pour le punir de l’avoir quittée.
Des experts psychiatres vont dans le même sens. Ils décrivent une mère exerçant une emprise totale sur ses filles, une emprise destinée à s’aggraver avec l’âge et doublée d’une volonté claire d’éliminer la figure paternelle.
Le spectre du syndrome de Münchhausen par procuration
Une psychologue de la protection de l’enfance relance à la barre l’hypothèse du syndrome de Münchhausen par procuration. Ce trouble rare pousse certains parents à provoquer ou exagérer des maladies chez leur enfant pour attirer l’attention, la compassion ou jouer les héros auprès du corps médical.
La défense balaie cette piste d’un revers de main. Mais les dizaines de consultations, les diagnostics parfois contradictoires, les hospitalisations à répétition collent étrangement au tableau clinique.
Des accusations encore plus graves
Le dossier ne s’arrête pas à l’empoisonnement. En prison, Maylis Daubon aurait tenté de soudoyer des codétenues pour faire assassiner son ex-mari. Des « ragots de prison », répond-elle avec mépris. L’accusation, elle, y voit la preuve d’une personnalité prête à tout pour effacer ceux qui la gênent.
Une défense qui s’appuie sur la fragilité d’Enea
Look gothique, passion pour les films sombres, lectures introspectives : le portrait dressé d’Enea est celui d’une adolescente tourmentée, en rupture avec le monde extérieur. Pour la défense, le suicide est l’explication la plus logique. Pourquoi chercher plus loin ?
Mais comment expliquer alors la présence de tous ces médicaments à la maison ? Comment une jeune fille sans ordonnance a-t-elle pu se procurer une telle quantité de Propranolol ? Et surtout, pourquoi sa sœur cadette présentait-elle des traces massives d’un autre médicament interdit aux mineurs ?
Un délibéré sous haute tension
Depuis l’ouverture du procès le 24 novembre, la salle d’audience de Mont-de-Marsan retient son souffle. D’un côté, une mère qui clame son innocence jusqu’aux larmes. De l’autre, un dossier accablant : expertises, cachettes de médicaments, témoignages accablants.
Ce mercredi, les jurés devront trancher entre deux versions irréconciliables :
- Le suicide d’une adolescente fragile dans un contexte familial explosif,
- Ou l’acte d’une mère prête à tout pour garder le contrôle absolu sur ses enfants, quitte à les sacrifier.
Dans les deux cas, une famille est détruite. Dans les deux cas, une vérité définitive semble hors d’atteinte. Le verdict qui tombera dans les prochaines heures ne mettra peut-être fin qu’à une partie du cauchemar.
Derrière les murs du palais de justice, une question continue de hanter tous ceux qui ont suivi cette affaire : jusqu’où une mère peut-elle aller par amour… ou par emprise ?









