Imaginez : dans moins de deux ans, plus une seule molécule de gaz russe ne pourra légalement entrer en Europe si elle vient de Russie. Ni par gazoduc, ni par méthanier. C’est la décision que viennent de prendre, dans la nuit du 2 au 3 décembre 2025, les négociateurs du Parlement européen et des États membres.
Un accord trouvé après des mois de tractations tendues, entre ceux qui voulaient frapper fort et tout de suite, et ceux qui demandaient du temps pour ne pas mettre en péril leur sécurité énergétique.
Un calendrier précis et implacable
Le compromis est clair, daté, et ne laisse aucune place au doute.
Pour le gaz naturel liquéfié (GNL), les contrats de longue durée seront interdits dès le 1er janvier 2027. C’est la mesure la plus rapide, alignée sur les promesses répétées d’Ursula von der Leyen de faire payer à Moscou son agression contre l’Ukraine.
Les contrats courts de GNL, eux, seront bloqués à partir du 25 avril 2026.
Pour le gaz qui arrive par gazoduc – le plus sensible politiquement –, les contrats longs expireront au plus tard le 30 septembre 2027, avec une application définitive au 1er novembre 2027 si les stocks européens sont jugés suffisants.
Quant aux contrats courts par pipeline, ils seront interdits dès le 17 juin 2026.
Pourquoi ces dates précisions calendaires ?
Parce que certains États, notamment ceux de l’Est, dépendent encore fortement des livraisons russes via gazoducs. Le texte intègre donc une clause de sécurité : l’interdiction définitive pour les gazoducs ne s’appliquera qu’à condition que les réserves de l’Union soient jugées adéquates.
Une soupape de sécurité, mais aussi un message : l’Europe ne plaisante plus.
La force majeure : le joker juridique des entreprises
L’un des points les plus malins de l’accord : les entreprises européennes pourront rompre leurs contrats avec Gazprom ou autres fournisseurs russes en invoquant la force majeure.
Concrètement, elles diront : « Ce n’est pas moi qui romps le contrat, c’est l’Union européenne qui m’interdit d’importer. » Un argument en béton devant n’importe quel tribunal arbitral.
Les entreprises pourront légalement justifier la rupture en mentionnant l’interdiction décidée par l’UE.
Cette disposition protège les groupes européens de poursuites coûteuses qui auraient pu atteindre des dizaines de milliards d’euros.
Une loi, pas une sanction : le contournement génial des veto
La Commission a choisi de passer par une proposition législative plutôt que par de nouvelles sanctions. Pourquoi ? Parce que les sanctions nécessitent l’unanimité des 27. Or, la Hongrie et la Slovaquie, proches de Moscou, menaçaient de bloquer toute mesure.
En optant pour la voie législative classique du marché intérieur, Bruxelles n’a besoin que d’une majorité qualifiée. Viktor Orbán et son allié slovaque ne peuvent plus rien faire.
Un coup politique magistral.
L’étonnante persistance du GNL russe
Quatre ans après le début de la guerre, on pourrait croire que l’Europe a déjà tourné la page du gaz russe. Erreur.
Si les livraisons par gazoduc ont été divisées par dix depuis 2021 (de 45 % à moins de 8 % aujourd’hui), le GNL russe, lui, a explosé.
Chiffres clés 2024 :
• Russie = 20 % des importations européennes de GNL
• Soit environ 20 milliards de mètres cubes
• Deuxième fournisseur derrière les États-Unis (45 %)
Pourquoi cette paradoxale augmentation ? Parce que le GNL est transporté par bateau. Il n’y avait, jusqu’à présent, aucune interdiction formelle. Les méthaniers russes ont donc continué à accoster tranquillement dans les ports espagnols, français, belges ou néerlandais.
Cette situation ubuesque prendra fin dans treize mois pour les contrats longs.
Quelles conséquences concrètes pour les Européens ?
À court terme, peu de changements. Les contrats actuels courent encore. Mais dès 2026, le marché va se tendre.
Les fournisseurs alternatifs (Qatar, États-Unis, Australie, Algérie, Norvège) vont devoir augmenter massivement leurs livraisons. Les prix du GNL mondial risquent de grimper temporairement.
Certaines usines très consommatrices d’énergie, notamment en Allemagne et en Italie, surveillent la situation avec angoisse.
Un message politique plus que jamais clair
Au-delà de l’aspect technique, cette décision est avant tout un signal envoyé à Moscou : l’Europe est prête à payer le prix de sa liberté énergétique, même si cela prend du temps.
Près de quatre ans après le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, l’Union montre qu’elle n’a pas oublié. Et qu’elle est capable de décisions irréversibles.
Le robinet russe se fermera. Définitivement.
Il ne reste plus qu’un ultime vote formel au Parlement et au Conseil. Mais personne ne doute de l’issue. L’Europe vient d’écrire une page importante de son indépendance énergétique.
Et vous, pensez-vous que ce calendrier est réaliste ? Ou trop ambitieux ?









