Imaginez un pays qui commence enfin à respirer après des années d’asphyxie financière, et qui, du jour au lendemain, se retrouve submergé par des torrents de boue. C’est exactement ce qu’a vécu le Sri Lanka la semaine dernière.
Un cyclone qui change tout
Le cyclone Ditwah n’était pas censé être historique. Pourtant, les pluies qu’il a déversées ont transformé rivières et collines en armes mortelles. En quelques jours, l’île a vécu sa pire catastrophe naturelle la plus grave depuis le tsunami de 2004.
Le dernier bilan officiel fait état d’au moins 465 morts et de plus de 1,5 million de sinistrés. Des centaines de personnes restent encore portées disparues. Des villages entiers ont été rayés de la carte par des glissements de terrain.
Un coût astronomique pour un pays exsangue
Mercredi, le gouvernement a livré une estimation qui donne le vertige : il faudra entre 6 et 7 milliards de dollars pour tout reconstruire. Des routes, des ponts, des écoles, des hôpitaux, des milliers de maisons… Tout ou presque a été emporté ou gravement endommagé.
Pour mettre ce chiffre en perspective, rappelons que le plan de sauvetage du FMI obtenu en 2023 ne représentait « que » 2,9 milliards de dollars. Le coût de cette seule catastrophe représente donc plus du double de l’aide internationale reçue pour sortir de la crise de 2022.
« Notre estimation initiale indique qu’il faudra 6 à 7 milliards de dollars pour la reconstruction »
Prabath Chandrakeerthi, commissaire général aux services essentiels
Des aides immédiates, mais insuffisantes face à l’ampleur
Face à l’urgence, le gouvernement a débloqué des compensations rapides :
- 2,5 millions de roupies (environ 7 500 euros) par famille dont la maison a été complètement détruite
- 25 000 roupies (75 euros) pour le nettoyage des habitations touchées
Ces montants, bien que bienvenus, restent symboliques quand on sait qu’une maison correcte coûte plusieurs dizaines de milliers d’euros à reconstruire dans l’île.
L’état d’urgence a été déclaré et un appel à l’aide internationale lancé sans délai. Car le pays n’a tout simplement pas les moyens de faire face seul.
Un timing tragique
Le Sri Lanka sort à peine de la pire crise économique de son histoire. En 2022, le pays s’était retrouvé en défaut de paiement, avec une inflation à trois chiffres, des pénuries de carburant, de médicaments et même de nourriture. La population avait forcé le président d’alors à fuir le pays.
Depuis, une fragile reprise s’était dessinée grâce au plan FMI et à une austérité draconienne. La Banque mondiale parlait encore en octobre d’une reprise « inégale et incomplète » mais « encourageante ».
Le cyclone Ditwah vient tout balayer. Routes coupées, cultures anéanties, tourisme (première source de devises) paralysé dans plusieurs régions… Le choc est multiple.
« Nous avons été frappés par ce désastre alors que nous sortons tout juste de la crise économique, c’est le plus grand défi auquel peut être confronté un gouvernement »
Le président Anura Kumara Dissanayake
Anura Kumara Dissanayake face à l’épreuve du feu
Élu en 2024, le nouveau président est le premier de gauche de l’histoire du pays. Il était arrivé au pouvoir sur la colère contre l’austérité et la corruption des élites.
Aujourd’hui, il doit gérer une catastrophe naturelle d’ampleur inédite tout en maintenant les engagements pris auprès du FMI. Un exercice d’équilibriste particulièrement périlleux.
Les prochaines semaines diront si le gouvernement parviennent à mobiliser suffisamment d’aide internationale sans renier leurs promesses de justice sociale.
Colombo respire, le centre reste isolé
Dans les faubourgs nord de la capitale, l’eau commence doucement à se retirer. Les habitants nettoient la boue, comptent les pertes, tentent de reprendre une vie normale.
Mais plus au nord et dans le centre du pays, l’accès reste impossible par la route. Des ponts emportés, des routes englouties, des villages toujours coupés du monde. L’acheminement de l’aide reste extrêmement compliqué.
Vers une solidarité internationale massive ?
Le Sri Lanka a déjà connu la générosité du monde après le tsunami de 2004. Des milliards avaient afflué, parfois mal utilisés, parfois détournés, mais l’île s’était relevée.
Aujourd’hui, la situation est différente : le pays traîne encore une dette colossale et une image abîmée auprès de certains créanciers. Obtenir 6 à 7 milliards supplémentaires ne sera pas simple.
Pourtant, les images des enfants sur les toits, des familles entières sinistrées, des cercueils alignés pourraient déclencher une vague de solidarité comparable.
Le monde regardera si les dons seront aussi rapides et massifs que l’urgence l’exige.
Car au-delà des chiffres, ce sont 22 millions de personnes qui retiennent leur souffle, espérant que 2025 ne sera pas l’année où tout aura été définitivement emporté.









