InternationalPolitique

Neutralité Autrichienne : L’Ukraine Met le Feu aux Poudres

70 ans de neutralité constitutionnelle, 80 % des Autrichiens y tiennent encore comme à leur identité… Pourtant Vienne vote sanctions et aide à Kiev, augmente massivement son budget défense et parle ouvertement d’OTAN. La neutralité autrichienne est-elle en train de vivre ses derniers instants ?

Imaginez un pays qui a bâti toute son identité d’après-guerre sur un seul mot : neutralité. Un mot gravé dans la Constitution, célébré chaque 26 octobre comme une seconde fête nationale. Et puis, en quelques mois, ce mot commence à vaciller sous les coups de boutoir d’une guerre à moins de 800 kilomètres de ses frontières.

La neutralité autrichienne face à l’ouragan ukrainien

L’Autriche n’a pas attendu février 2022 pour débattre de sa neutralité. Le sujet ressurgit à chaque crise majeure. Mais cette fois, le ton a changé. Le pays alpin, longtemps présenté comme le « pont entre l’Est et l’Ouest », se retrouve face à un choix existentiel : rester fidèle à son statut ou s’adapter à une Europe où la neutralité semble appartenir à une autre époque.

1955 : la neutralité, prix de la liberté

Remontons le temps. Mai 1955, le Traité d’État autrichien est signé. Les quatre puissances occupantes acceptent de quitter le territoire à une condition : l’Autriche s’engage à la neutralité permanente. Cinq mois plus tard, le 26 octobre, le Parlement vote la loi constitutionnelle. L’article 1 est clair : le pays ne rejoindra jamais d’alliance militaire et n’autorisera aucune base étrangère sur son sol.

Pour les Autrichiens, c’est plus qu’un texte juridique. C’est le symbole de la souveraineté retrouvée après dix-sept ans d’occupation et sept années de nazisme. La neutralité devient un élément central de l’identité nationale, au même titre que Mozart ou les montagnes.

« Liberté rime avec neutralité »

Aujourd’hui encore, près de huit Autrichiens sur dix considèrent ce statut comme une composante essentielle de leur identité, selon les derniers sondages.

2022-2025 : le grand basculement

L’invasion russe de l’Ukraine a tout changé. Vienne a immédiatement condamné Moscou, voté toutes les sanctions européennes et participé aux aides financières à Kiev. Des gestes qui, pour beaucoup, dépassent largement le cadre d’une neutralité classique.

Une diplomate européenne basée à Vienne le résume sans détour : le pays, géographiquement proche du théâtre des opérations, « commence à être moins naïf ».

Le budget de la défense illustre cette évolution. Longtemps parmi les plus faibles d’Europe (0,6 % du PIB il y a quelques années), il est passé à 0,95 % en 2024. L’objectif affiché : atteindre les 2 % en 2032, soit le seuil recommandé par l’OTAN. Coïncidence ? Beaucoup n’y croient pas.

Les voix qui crient à la trahison

Tout le monde ne suit pas le mouvement. L’extrême droite, incarnée par le FPÖ, dénonce une « trahison » pure et simple. Le parti, régulièrement en tête des sondages, promet de revenir à une neutralité stricte et refuse toute aide militaire à l’Ukraine.

En 2023, une initiative citoyenne baptisée « Les Voix pour la neutralité » voit le jour. Son porte-parole, Andreas Wimmer, accuse le gouvernement de se soumettre aux « directives de l’UE et de l’OTAN » plutôt qu’à la loi constitutionnelle.

« Nous pourrions redevenir un lieu de négociations, comme pendant la Guerre froide. Malheureusement, l’Autriche ne le fait plus »

Andreas Wimmer

Une neutralité qui a déjà beaucoup évolué

Il faut dire que la neutralité autrichienne n’a jamais été figée. L’adhésion à l’Union européenne en 1995 a déjà porté un coup sérieux au concept. En intégrant la politique étrangère et de sécurité commune, Vienne a accepté de participer à des opérations de maintien de la paix et, indirectement, à des sanctions.

L’ancien diplomate Franz Cede parle d’une neutralité « érodée » qui ressemble aujourd’hui à « un avocat : mou à l’extérieur autour d’un petit noyau dur ».

Contrairement à la Suisse, qui conserve une neutralité plus rigide, l’Autriche a toujours su adapter son statut aux réalités du moment. Mais jamais autant qu’aujourd’hui.

Et l’OTAN dans tout ça ?

Le tabou vole en éclats. En juillet dernier, la ministre libérale des Affaires européennes et constitutionnelles, Beate Meinl-Reisinger, déclare dans la presse allemande que « la neutralité seule ne nous protège plus » face à une Russie « de plus en plus agressive ».

Elle n’exclut pas un débat sur une éventuelle adhésion à l’OTAN. Un scénario impensable il y a seulement trois ans.

« Un tel débat peut être très fructueux »

Beate Meinl-Reisinger

Elle tempère toutefois : il n’existe pour l’instant ni majorité parlementaire ni soutien populaire. Mais le simple fait que la question soit posée publiquement marque une rupture historique.

Vienne, capitale diplomatique en sursis ?

L’un des grands avantages de la neutralité a toujours été de faire de Vienne un lieu privilégié pour la diplomatie internationale. L’un des quatre sièges principaux de l’ONU, l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’OPEP… La liste est longue.

Le maire de Vienne, Michael Ludwig, ne manque jamais de le rappeler avec fierté. Mais si l’Autriche se rapprochait trop nettement de l’Occident, cette position de « terrain neutre » pourrait s’effriter. Moscou a déjà menacé de revoir sa participation à certaines organisations si Vienne franchissait la ligne rouge.

Vers un référendum ou un statu quo coûteux ?

Plusieurs scénarios se dessinent. Certains appellent à un référendum pour trancher définitivement la question. D’autres estiment qu’une neutralité « à la carte » est possible : rester hors OTAN mais renforcer massivement la défense nationale et la coopération avec les partenaires européens.

Ce qui est certain, c’est que le statu quo devient intenable. Entre la menace russe à l’Est, la pression américaine et européenne à l’Ouest, et une population encore très attachée à son mythe fondateur, l’Autriche marche sur une corde raide.

La Finlande et la Suède ont choisi l’OTAN en quelques mois. L’Autriche, elle, hésite encore. Mais pour combien de temps ?

La réponse, dans les années à venir, pourrait redessiner non seulement la politique étrangère autrichienne, mais toute l’architecture de sécurité européenne.

En résumé : 70 ans après son adoption, la neutralité autrichienne n’est plus un dogme intouchable. La guerre en Ukraine a accéléré un mouvement déjà en marche : augmentation massive du budget défense, soutien actif à Kiev, débat public sur l’OTAN. L’Autriche d’aujourd’hui doit choisir entre préserver son mythe fondateur ou s’adapter à un monde où la neutralité armée n’existe presque plus.

Une chose est sûre : le 26 octobre prochain, quand les Autrichiens fêteront leur fête nationale, le mot « neutralité » aura un goût un peu plus amer qu’auparavant.

Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.