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Nickel Indonésien : Le Prix Humain de Nos Batteries

« Le nickel de votre voiture électrique vient des larmes et du sang des Hongana Manyawa », accuse une jeune défenseure indigène venue jusqu’en France. Ce qu’elle a révélé sur la plus grande mine du monde glace le sang…

Imaginez que chaque fois que vous branchez votre voiture électrique, quelqu’un, à l’autre bout du monde, perde son eau potable, sa forêt sacrée et jusqu’à son avenir. C’est l’accusation terrible portée par les représentants du peuple Hongana Manyawa contre l’extraction massive de nickel en Indonésie, notamment dans la gigantesque mine de Weda Bay où opère le groupe français Eramet.

Le nickel qui fait pleurer un peuple entier

Ils l’appellent le « peuple de la forêt ». Les Hongana Manyawa vivent depuis toujours sur l’île de Halmahera, dans l’archipel des Moluques. Leur territoire, un joyau de biodiversité, abrite aujourd’hui la plus grande mine de nickel au monde. Et pour eux, ce minerai si précieux pour nos batteries et notre acier inoxydable n’est rien d’autre qu’un poison.

« Ce nickel vient des larmes, du corps et du sang des Hongana Manyawa », témoigne Dewi Anakoda, jeune défenseure menacée de mort dans son pays pour avoir osé parler. Elle a traversé la planète jusqu’à Paris pour alerter : derrière la transition énergétique tant vantée se cache parfois une réalité brutale.

Une mine tentaculaire de 47 000 hectares

La concession de Weda Bay Nickel s’étend sur une surface équivalente à près de 70 000 terrains de football. Officiellement, l’actionnaire majoritaire est le géant chinois Tsingshan, mais c’est bien Eramet, groupe français dont l’État détient 27 %, qui réalise l’extraction proprement dite.

Sur place, le paysage est méconnaissable. Des explosions résonnent jour et nuit. Les excavatrices géantes labourent la terre rouge. Des rivières autrefois cristallines charrient désormais une boue épaisse qui recouvre tout sur son passage. Le gibier a fui. Les sources sont polluées. La forêt, qui n’était pas seulement un habitat mais une part même de l’identité spirituelle des Hongana Manyawa, disparaît à vue d’œil.

« Avant, la forêt nous protégeait. Nous mangions et nous abritions grâce à elle. Aujourd’hui, nos rivières ne sont plus potables et nous ne pouvons plus chasser »

Ngigoro, ancien membre du peuple Hongana Manyawa

Le paradoxe cruel de la transition verte

Le nickel est devenu l’or vert de la décennie. On le retrouve dans 17 % de la production mondiale sous forme de batteries lithium-ion, et la demande devrait tripler d’ici 2035 selon les prévisions d’Eramet lui-même. L’Indonésie, avec 62 % de la production mondiale, est en première ligne.

Mais à quel prix ? Plus on roule en voiture électrique, plus on alimente, bien malgré soi, cette chaîne de destruction, dénoncent les défenseurs indigènes. Le message est glaçant : la transition énergétique occidentale risque de se faire sur le dos de populations parmi les plus vulnérables de la planète.

Dewi Anakoda le dit sans détour : « Plus vous utilisez votre véhicule électrique, plus vous tuez. » La phrase choque. Elle est volontairement choc. Parce qu’elle oblige à regarder en face ce que l’on préfère souvent ignorer.

40 % du territoire déjà affecté, 60 % encore menacés

Selon les estimations de l’ONG Survival International, près de la moitié du territoire ancestral des Hongana Manyawa est déjà touchée par l’activité minière. Le reste pourrait suivre rapidement. L’exploitation à Weda Bay n’a réellement commencé qu’en 2019. En quelques années seulement, l’impact est déjà colossal.

Et pourtant, Eramet assure promouvoir « les meilleures pratiques » environnementales et sociétales. L’entreprise conteste toute pollution de l’eau et parle d’une « relation transparente et constructive » avec les communautés locales. Des mots qui sonnent bien loin des témoignages recueillis sur le terrain.

Un voyage jusqu’en Europe pour faire entendre leur voix

C’est un périple de plusieurs milliers de kilomètres qu’ont entrepris Dewi Anakoda et d’autres représentants. Après Paris, où ils ont rencontré des responsables gouvernementaux français et des dirigeants d’Eramet, direction l’Allemagne. Objectif : interpeller directement les grands constructeurs automobiles qui achètent ce nickel.

Ils demandent une chose simple, mais révolutionnaire : que l’on cesse d’extraire sur leur terre. Que la France retire son investissement. Que les marques automobiles refusent ce minerai taché, selon eux, de souffrances humaines et environnementales.

Le fonds norvégien a déjà tranché

Un signal fort est venu début septembre : le fonds souverain norvégien, le plus important du monde, a purement et simplement exclu Eramet de ses investissements. Motif officiel : risques graves de violations des droits des populations autochtones et dommages environnementaux irréversibles liés aux activités indonésiennes du groupe.

Quand l’un des investisseurs les plus regardants de la planète prend une telle décision, cela fait forcément réfléchir.

Derrière les chiffres, des vies brisées

On parle beaucoup de tonnes extraites (2,3 millions en 2024 pour l’Indonésie), de pourcentages de marché (17 % de la production mondiale pour Weda Bay en 2023), de croissance attendue. Mais derrière ces chiffres froids, il y a des familles qui ne peuvent plus boire l’eau de leur rivière. Des enfants qui grandissent au milieu du vacarme des explosifs. Des anciens qui voient disparaître en quelques années ce qui avait structuré leur culture pendant des siècles.

La forêt n’était pas qu’un décor pour les Hongana Manyawa. Elle était leur pharmacie, leur supermarché, leur église, leur histoire. Tout cela s’efface sous les chenilles des machines.

« La forêt n’est pas seulement leur domicile, elle fait partie de leur vie »

Dewi Anakoda

Et pendant ce temps, dans nos villes européennes, on célèbre l’arrivée de nouveaux modèles électriques « zéro émission ». Zéro émission locale, certes. Mais les émissions de CO2 ne sont qu’une partie de l’histoire. Il y a aussi les émissions de conscience.

Une responsabilité partagée

La question n’est pas simple. Personne ne nie l’urgence climatique ni la nécessité de sortir des énergies fossiles. Mais peut-on vraiment parler de transition juste si elle repose sur l’écrasement de peuples entiers ? Peut-on accepter que le « propre » de demain soit construit sur le « sale » d’aujourd’hui, ailleurs, loin des regards ?

Les Hongana Manyawa ne demandent pas la lune. Ils demandent juste qu’on les laisse vivre. Qu’on respecte leur droit fondamental à exister sur la terre de leurs ancêtres. C’est peu, et c’est immense à la fois.

Leur combat nous renvoie à nos choix de consommateurs, aux politiques de nos États, aux stratégies de nos entreprises. Il nous oblige à nous demander : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour sauver la planète… sans sauver aussi ceux qui l’habitent ?

À retenir : Le nickel indonésien représente aujourd’hui 62 % de la production mondiale. Une part croissante alimente nos batteries de voitures électriques. Mais sur l’île de Halmahera, des communautés entières paient ce progrès de leur santé, de leur culture et de leur survie.

La prochaine fois que vous admirerez le silence d’une voiture électrique, peut-être entendrez-vous, très loin, le grondement des excavatrices et la plainte d’une forêt qui meurt. C’est le son de notre contradiction. Celle d’un monde qui veut se sauver… mais qui, pour l’instant, sacrifie encore certains de ses enfants.

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