Imaginez une sonnerie qui retentit au milieu d’un cours de mathématiques, un élève qui décroche discrètement sous son pupitre, un professeur qui perd le fil… Cette scène, quotidienne dans des milliers de classes à travers le monde, pourrait bientôt appartenir au passé au Chili.
Mardi, le Parlement chilien a franchi un pas décisif : l’interdiction totale de l’utilisation des téléphones portables dans l’ensemble des établissements scolaires, du primaire au secondaire, publics comme privés. Une mesure qui entrera en vigueur dès mars prochain et qui place le pays andin dans le peloton de tête des nations qui disent stop à la tyrannie du smartphone en classe.
Une loi adoptée à une écrasante majorité
Le texte a été validé par la Chambre des députés avec un soutien massif, transcendant largement les clivages politiques. Soutenu par le gouvernement de Gabriel Boric, ce projet de loi traduit une prise de conscience collective : le téléphone portable n’est plus un simple outil, il est devenu une source majeure de distraction et d’inquiétude.
Le ministre de l’Éducation, Nicolas Cataldo, n’a pas mâché ses mots : l’usage des smartphones dans les salles de classe représente « un fléau qui échappe à tout contrôle » et constitue « l’une des principales pandémies affectant nos enfants ».
« L’utilisation des téléphones portables chez les jeunes est associée au développement de dépendances et nuit gravement au processus pédagogique en classe. »
Diego Schalper, député et co-auteur du projet
Qu’est-ce qui change concrètement en mars ?
L’interdiction concerne l’ensemble de l’établissement scolaire : salles de cours, couloirs, cour de récréation. Chaque école devra toutefois établir son propre règlement intérieur pour préciser les modalités (casiers, pochettes verrouillées, remise à l’entrée, etc.).
Des exceptions sont prévues : les élèves porteurs de besoins éducatifs particuliers, les situations d’urgence ou les impératifs médicaux (suivi glycémie, asthme sévère, etc.) pourront conserver leur appareil.
En résumé, le téléphone devra rester éteint et hors de portée pendant toute la journée scolaire, sauf cas très précis.
Un consensus rare au-delà des partis
Ce qui frappe, c’est le large consensus. La députée d’opposition Marcia Raphael a tenu à préciser que cette loi « n’est pas contre la technologie » mais vise avant tout à « promouvoir la concentration, les performances, la vie en communauté et la santé émotionnelle » des élèves.
Un discours qui fait écho à celui de nombreux parents et enseignants chiliens, épuisés par la bataille permanente contre les écrans.
Le Chili s’inscrit dans une tendance mondiale
Le Chili n’est pas pionnier, mais il rejoint un mouvement global qui s’accélère. En Amérique latine, le Brésil a promulgué une loi similaire en janvier sous la présidence de Lula, interdisant les portables même dans les cours de récréation.
En Europe, la Finlande – longtemps référence mondiale en matière d’éducation – a mis en place l’interdiction dès août dernier. La Corée du Sud, l’Italie et la France ont déjà leurs propres restrictions depuis plusieurs années.
En France, la loi de 2018 peine parfois à être appliquée, malgré les dispositifs « portable en pause » (casiers, mallettes, pochettes verrouillées). Le Chili semble vouloir aller plus loin dans la rigueur.
Des chiffres qui donnent le vertige
Selon le dernier rapport de l’Unesco, fin 2024, 40 % des systèmes éducatifs publics dans le monde ont déjà interdit, totalement ou partiellement, les smartphones à l’école. C’est dix points de plus qu’un an auparavant.
Cette progression fulgurante traduit une inquiétude partagée : les études se multiplient pour démontrer l’impact négatif des écrans sur la concentration, le sommeil, l’anxiété et même les résultats scolaires.
40 % des pays ont banni les smartphones à l’école en 2024
+10 points en un an seulement
Source : Unesco
Pourquoi une telle urgence ?
Les arguments avancés sont multiples. Distraction permanente, cyberharcèlement facilité, addiction aux réseaux sociaux, baisse de la qualité du sommeil, augmentation des troubles anxieux… la liste est longue.
Dans les classes, les professeurs passent un temps fou à rappeler à l’ordre, à confisquer des appareils, à gérer les conflits liés aux publications sur les réseaux. Une énergie qui n’est plus consacrée à l’enseignement.
Les élèves, eux, avouent souvent ne plus parvenir à se concentrer plus de quelques minutes sans vérifier leurs notifications. Le smartphone est devenu un prolongement de la main.
Et les adolescents, qu’en pensent-ils ?
Les réactions sont contrastées. Certains y voient une atteinte à leur liberté, d’autres – et ils sont plus nombreux qu’on ne le croit – reconnaissent être soulagés à l’idée de ne plus subir la pression permanente des groupes WhatsApp ou des stories Instagram pendant les heures de cours.
Une lycéenne interviewée récemment confiait : « Quand tout le monde a son téléphone, on se sent obligé de répondre tout de suite. Sans, on respire enfin. »
Une mesure qui va au-delà de la simple interdiction
Derrière la loi, il y a aussi la volonté de réapprendre à vivre ensemble. Retrouver le plaisir de discuter dans la cour, de lever la main pour poser une question, de regarder son professeur dans les yeux plutôt que son écran.
Certains établissements prévoient déjà des activités spécifiques pour « déconnecter » : clubs de lecture, théâtre, sport intensif pendant les pauses. L’idée est de remplacer le vide laissé par le smartphone par du lien humain.
Les défis de la mise en œuvre
Tous les regards sont tournés vers mars. Comment les établissements vont-ils s’organiser ? Qui va financer les casiers sécurisés ? Comment gérer les résistances des parents qui souhaitent joindre leur enfant à tout moment ?
Le ministère de l’Éducation promet un accompagnement financier et pédagogique. Des formations seront dispensées aux équipes éducatives pour transformer cette contrainte en véritable projet d’établissement.
Vers un modèle chilien exportable ?
Ce qui se passe au Chili est observé de près par d’autres pays d’Amérique latine et au-delà. Le consensus politique large, la rapidité de mise en œuvre et l’absence d’exceptions trop larges pourraient faire école.
Dans un monde où la technologie avance à pas de géant, paradoxalement, la solution pour protéger nos enfants semble être… de la mettre entre parenthèses quelques heures par jour.
Le Chili vient peut-être de montrer la voie : parfois, débrancher, c’est reconnecter à l’essentiel.
Le Chili dit stop aux smartphones à l’école.
Une décision courageuse qui pourrait inspirer le monde entier.
Et chez nous, serons-nous capables de suivre ?









