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Venezuela : Citgo Vendue de Force par Washington ?

Un tribunal américain vient d’autoriser la vente forcée de Citgo, joyau pétrolier vénézuélien, à un fonds spéculatif. Caracas crie au vol et promet de ne jamais reconnaître l’opération. Mais qui va vraiment toucher les milliards ? L’affaire sent le pétrole… et la géopolitique brûlante.

Imaginez : une entreprise qui pèse entre dix et quarante milliards de dollars, l’une des plus grandes raffineries américaines, qui change de mains sans que son propriétaire légitime n’ait son mot à dire. C’est exactement ce qui est en train de se passer avec Citgo, la filiale américaine du géant pétrolier vénézuélien PDVSA. Et Caracas hurle au vol d’État.

Une vente aux enchères qui fait trembler Caracas

Le juge Leonard Stark, siégeant dans le Delaware, vient d’autoriser la cession de Citgo à une filiale du fonds Elliott Investment Management. L’opération découle d’une longue procédure judiciaire lancée par de nombreux créanciers qui réclament près de vingt milliards de dollars au Venezuela. Pour eux, Citgo représente le dernier actif saisissable à portée de main.

Depuis 2019 et les sanctions américaines, la compagnie est administrée par un conseil nommé par l’opposition vénézuélienne reconnue à l’époque par Washington. Un détail qui change tout : l’entreprise échappe de facto au gouvernement de Nicolas Maduro depuis six ans.

La réaction immédiate et virulente du pouvoir chaviste

À peine la décision connue, la vice-présidente Delcy Rodríguez est apparue à la télévision d’État pour lire un communiqué cinglant. « Le Venezuela rejette fermement cette décision de vente forcée » a-t-elle déclaré, ajoutant que le pays « ne reconnaîtra jamais » cette opération.

« Nous ne reconnaîtrons ni aujourd’hui, ni demain, ni jamais la prétendue vente de Citgo »

Delcy Rodríguez, vice-présidente du Venezuela

Elle n’a pas hésité à pointer du doigt l’opposition, et particulièrement Maria Corina Machado, accusée d’avoir mal géré l’entreprise pendant toutes ces années. Le ton est monté d’un cran : le président du Parlement, Jorge Rodríguez (homonyme mais frère de la vice-présidente), a même proposé de retirer la nationalité vénézuélienne à six dirigeants opposants pour « vol » de Citgo.

L’opposition promet de se battre jusqu’au bout

De l’autre côté, Horacio Medina, président du conseil de surveillance nommé par l’opposition, ne baisse pas les bras. Interrogé, il a affirmé qu’un appel serait déposé avec « toute l’énergie possible ». Pour lui, la valeur réelle de Citgo tourne autour de dix milliards de dollars, même si certaines estimations grimpent jusqu’à quarante milliards.

Cette divergence d’évaluation n’est pas anodine : elle conditionne le montant que les créanciers pourront finalement récupérer. Plus la valeur est haute, plus ils toucheront… et moins il restera pour d’éventuels recours futurs.

Un dernier obstacle : l’aval du Trésor américain

Rien n’est encore totalement acté. L’Office de contrôle des actifs étrangers (OFAC) du Département du Trésor des États-Unis doit encore donner son feu vert définitif. Tant que cette autorisation n’est pas délivrée, la transaction reste suspendue.

Ce détail technique offre une fenêtre, certes étroite, pour d’éventuelles manœuvres diplomatiques ou juridiques. Caracas mise visiblement dessus pour faire capoter l’opération.

Le contexte géopolitique explose en arrière-plan

Le timing n’est évidemment pas anodin. Lundi, le président américain a réuni son Conseil de sécurité nationale pour évoquer précisément la situation vénézuélienne. Dans la foulée, des navires de guerre et des forces militaires ont été déployés en mer des Caraïbes, officiellement pour lutter contre le narcotrafic.

À Caracas, on y voit une tout autre intention : préparer le terrain à un renversement de Nicolas Maduro et s’assurer le contrôle direct des immenses réserves pétrolières du pays. L’accusation est ancienne, mais elle resurgit avec force à chaque nouvelle escalade.

En chiffres :
– Près de 20 milliards de dollars de créances exigées
– Valeur estimée de Citgo : entre 10 et 40 milliards selon les sources
– 3 grandes raffineries aux États-Unis (Lake Charles, Lemont, Corpus Christi)
– 4 000 stations-service sous la marque Citgo
– 6 ans sous contrôle de l’opposition (depuis 2019)

Citgo, un actif stratégique au cœur de la tempête

Pour comprendre l’ampleur du drame, il faut revenir sur ce que représente réellement Citgo. Ce n’est pas une simple filiale : c’est l’un des joyaux du raffinage américain, avec trois immenses raffineries capables de traiter plus de 800 000 barils par jour. Un réseau de distribution puissant, des terminaux, des pipelines… Un empire pétrolier en plein territoire états-unien.

Perdre Citgo, pour le Venezuela, c’est perdre son principal levier sur le marché américain et une source de revenus colossale. C’est aussi voir disparaître le dernier lien direct avec le premier importateur historique de son pétrole.

Les créanciers : qui sont les grands gagnants ?

Derrière la procédure se cachent des acteurs très divers : des entreprises expropriées sous Hugo Chávez, des détenteurs d’obligations PDVSA 2020, des victimes d’expropriations, mais aussi des fonds vautours spécialisés dans le rachat de dettes décotées. Elliott Investment Management, dirigé par le milliardaire Paul Singer, est connu pour ses méthodes particulièrement agressives.

Le fonds a déjà obtenu gain de cause contre l’Argentine il y a quelques années, récupérant des sommes colossales après des années de bataille judiciaire. Le Venezuela semble être la nouvelle cible.

Et maintenant ? Trois scénarios possibles

Premier scénario : l’OFAC valide rapidement la transaction. Citgo change de mains dans les prochains mois, Caracas crie mais ne peut rien faire. Les créanciers se partagent le gâteau.

Deuxième scénario : Washington bloque ou retarde l’opération pour garder une carte dans la négociation globale avec Maduro (pétrole contre allègement de sanctions, par exemple).

Troisième scénario : un accord de dernière minute entre factions vénézuéliennes et créanciers, sous pression américaine, qui évite la vente pure et simple mais impose une gouvernance partagée ou un remboursement échelonné.

Pour l’instant, aucun de ces chemins ne semble privilégié. L’incertitude est totale.

Un précédent dangereux pour les États pétroliers

Au-delà du cas vénézuélien, cette affaire fait jurisprudence. Elle montre qu’un État peut perdre le contrôle d’actifs stratégiques situés à l’étranger simplement parce qu’un tribunal étranger le décide. Demain, d’autres pays endettés pourraient voir leurs raffineries, leurs tankers ou leurs immeubles saisis de la même manière.

La souveraineté sur les ressources naturelles, pilier du discours chaviste depuis vingt-cinq ans, vient de prendre un sérieux coup.

Et pendant ce temps, les pompes Citgo continuent de tourner, imperturbables, quelque part entre Houston et Chicago. Mais pour combien de temps encore sous pavillon vénézuélien ? La réponse, dans les prochaines semaines, risque de faire trembler toute l’Amérique latine.

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