Imaginez une mer des Caraïbes d’ordinaire turquoise, soudain déchirée par l’explosion d’un missile. Un bateau prend feu, des hommes s’accrochent aux débris en flammes. Quelques minutes plus tard, une seconde salve achève les survivants. Cette scène n’est pas tirée d’un film d’action : elle s’est produite sous commandement américain, et le ministre de la Défense assume pleinement la suite des opérations.
Une escalade sans précédent dans la lutte antidrogue
Depuis l’été, Washington a décidé de passer à la vitesse supérieure. Le plus grand porte-avions américain croise désormais dans les Caraïbes, escorté par une impressionnante flottille de destroyers et d’avions de combat. Objectif officiel : couper les routes maritimes du narcotrafic, en particulier celles qui partiraient du Venezuela.
Le ton est donné dès les premières déclarations. Le ministre Pete Hegseth l’affirme sans détour : les États-Unis « ne font que commencer » à envoyer « les narcoterroristes au fond de l’océan ». Une phrase choc, prononcée devant les caméras lors d’un conseil des ministres ouvert à la presse.
Plus de vingt navires détruits en quelques mois
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Depuis septembre, plus de vingt embarcations ont été la cible de tirs directs, principalement dans les Caraïbes mais aussi dans le Pacifique. Le bilan humain est lourd : au moins quatre-vingt-trois personnes ont perdu la vie.
Ce qui frappe, c’est l’absence de preuves publiques démontrant le lien réel de ces bateaux avec le trafic de drogue. Aucune photo, aucune vidéo, aucun document déclassifié. Seule la parole officielle assure que chaque cible était bien impliquée.
Cette opacité alimente les critiques, tant aux États-Unis qu’à l’international. Des experts en droit maritime, des élus du Congrès et même l’ONU s’interrogent ouvertement sur la légalité de ces frappes.
L’affaire de la seconde salve qui fait scandale
Le point de rupture a été atteint avec la révélation, par une enquête journalistique approfondie, d’un incident survenu en septembre. Un bateau présumé de trafiquants est touché une première fois. Les survivants, agrippés aux restes en feu de l’embarcation, tentent de s’en sortir.
Puis une seconde frappe est ordonnée. Elle les achève. L’information, d’abord niée par la Maison Blanche, finit par être confirmée. On explique alors que la décision n’est pas venue du ministre lui-même, mais de l’amiral en charge des opérations spéciales sur zone.
« Des indices solides d’exécutions extrajudiciaires »
Volker Türk, Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme
Cette citation résonne particulièrement. Car si les États-Unis affirment agir dans le cadre légal, la qualification d’« exécution extrajudiciaire » place ces opérations dans une tout autre catégorie juridique et morale.
Une pause technique… ou un manque de cibles crédibles ?
Pete Hegseth a lui-même reconnu une « petite pause » dans les frappes. Motif invoqué : la difficulté à localiser de nouvelles embarcations. Derrière cette explication opérationnelle, certains y voient la preuve que les cibles faciles – ou douteuses – ont déjà été épuisées.
Les détracteurs soulignent que détruire un bateau de pêcheurs ou un petit caboteur sans preuve irréfutable expose à des erreurs dramatiques. Chaque tir raté nourrit la controverse et fragilise la crédibilité de l’ensemble de la campagne.
Le Venezuela dans le viseur stratégique
Washington ne cache pas que Caracas est la cible prioritaire. Le président Nicolas Maduro est accusé de diriger personnellement un cartel de la drogue. Des sanctions, des mandats d’arrêt internationaux et maintenant des opérations militaires en haute mer : tous les moyens semblent bons pour faire plier le régime.
Cette stratégie du « tout sauf le dialogue » divise profondément. Certains y voient une continuité logique de la politique de pression maximale. D’autres estiment que l’on franchit une ligne rouge en transformant la lutte antidrogue en guerre non déclarée.
Les questions juridiques qui restent sans réponse claire
En droit international, détruire un navire civil en haute mer nécessite des justifications extrêmement solides. Le principe de proportionnalité, le respect du droit à la vie, l’obligation de porter secours aux naufragés : autant de règles qui semblent mises à mal par les faits rapportés.
- Peut-on considérer tout bateau suspect comme une cible militaire légitime ?
- Une seconde frappe sur des naufragés est-elle jamais justifiable ?
- Qui décide, et selon quels critères, de l’engagement létal ?
Ces interrogations ne reçoivent, pour l’instant, que des réponses évasives du côté américain. Le département de la Justice maintient que tout est conforme au droit. Mais l’absence de transparence rend cette affirmation difficile à vérifier.
Vers une militarisation durable des Caraïbes ?
Le déploiement massif de moyens navals et aériens laisse penser que l’opération est conçue pour durer. Le porte-avions et ses escorteurs ne sont pas là pour une simple démonstration de force. Ils incarnent une présence destinée à s’installer dans le temps.
Cette nouvelle donne géopolitique inquiète les pays de la région. Plusieurs gouvernements latino-américains ont déjà exprimé leur malaise face à ce qu’ils perçoivent comme une forme d’unilatéralisme armé dans leurs eaux.
Et pendant ce temps, le ministre Hegseth continue d’afficher une détermination sans faille. « Nous ne faisons que commencer », répète-t-il. Un message clair : quelle que soit la polémique, les canons ne sont pas près de se taire.
Entre realpolitik, lutte contre le narcotrafic et accusations d’abus, cette campagne maritime américaine marque un tournant. Elle pose, plus que jamais, la question des limites acceptables lorsqu’un État décide de faire la guerre à la drogue… par tous les moyens.
À retenir : plus de vingt navires coulés, quatre-vingt-trois morts confirmés, aucune preuve publique, une seconde salve mortelle sur des survivants et une ONU qui parle d’exécutions extrajudiciaires. L’Amérique dit protéger le monde de la drogue. Beaucoup y voient une guerre sans règles.
La mer des Caraïbes, jadis synonyme de cartes postales, devient le théâtre d’une confrontation où le droit international semble parfois relégué au second plan. Et pendant que les épaves coulent au fond de l’eau, la polémique, elle, ne fait que commencer à la surface.









