Imaginez rouler tranquillement sur une route côtière à 150 kilomètres de la capitale. Tout à coup, une moto vous double à vive allure et une pluie de balles s’abat sur votre pare-brise. C’est exactement ce qui est arrivé mardi à Rafael Belaunde, candidat à la présidentielle péruvienne du 12 avril prochain.
Le visage couvert de sang, la chemise tachée, l’image a immédiatement envahi les réseaux sociaux et les chaînes de télévision. Pourtant, miracle ou chance insolente, l’homme de 50 ans s’en sort avec seulement des blessures superficielles causées par les éclats de verre. Trois impacts de balle ont été relevés sur le véhicule. Aucun blessé par projectile.
Une attaque qui glace le Pérou entier
Cette tentative d’assassinat n’est pas un fait divers isolé. Elle s’inscrit dans une spirale de violence qui asphyxie le pays depuis plusieurs années et qui semble atteindre désormais le cœur même de la politique.
Que s’est-il passé exactement à Cerro Azul ?
Les faits se sont déroulés dans la petite localité de Cerro Azul, station balnéaire habituellement calme au sud de Lima. Selon le général Oscar Arriola, chef de la police nationale, les assaillants ont agi depuis une moto. Méthode classique des sicaires sud-américains : rapidité, discrétion, fuite facile dans le trafic.
Le véhicule du dirigeant du parti Liberté populaire a été touché à trois reprises. Le pare-brise a littéralement explosé sous les impacts. Les éclats ont provoqué des coupures au visage, d’où les images impressionnantes qui ont fait le tour du pays en quelques minutes.
Rafael Belaunde lui-même a déclaré aux enquêteurs n’avoir reçu aucune menace préalable. Un détail qui intrigue autant qu’il inquiète : l’attaque semble donc avoir été préparée dans le plus grand secret.
« C’est un mauvais début de campagne… Il faut rejeter fermement cette attaque par balles dont Rafael Belaunde a été victime »
Pedro Cateriano, fondateur de Liberté populaire et ancien ministre
Un contexte explosif à quelques mois du scrutin
Le Pérou traverse l’une des crises sécuritaires les plus graves de son histoire récente. Extorsions, assassinats sur commande, règlements de comptes : la criminalité organisée a pris une ampleur jamais vue.
Les transporteurs, les commerçants, les entrepreneurs vivent sous la menace permanente. Ceux qui refusent de payer le « cupo » – la taxe imposée par les bandes – sont souvent exécutés en pleine rue. Des quartiers entiers de Lima sont devenus des zones de non-droit.
Cette violence a déjà provoqué des manifestations massives. Les jeunes, les chauffeurs de bus, les petits commerçants ont défilé par dizaines de milliers pour crier leur ras-le-bol. Sans grand résultat jusqu’à présent.
La chute éclair de Dina Boluarte
Face à l’impuissance du gouvernement face à cette vague criminelle, le Congrès a fini par agir. Le 10 octobre dernier, dans un processus express et très controversé, la présidente Dina Boluarte a été destituée.
C’est José Jeri, président du Parlement et figure de la droite, qui assure désormais l’intérim jusqu’à l’investiture du prochain président en juillet 2026. Une transition qui intervient dans un climat de défiance totale envers les institutions.
Qui est Rafael Belaunde, la cible du jour ?
À 50 ans, Rafael Belaunde n’est pas un inconnu dans le paysage politique péruvien. Petit-fils de Fernando Belaunde Terry – président emblématique qui a dirigé le pays à deux reprises (1963-1968 et 1980-1985) –, il porte un nom chargé d’histoire.
Fondateur avec Pedro Cateriano du parti Liberté populaire, il incarne une droite modérée et libérale. Pour l’instant, les sondages ne le placent pas en tête : les favoris restent Rafael López Aliaga, l’ancien maire de Lima, et Keiko Fujimori, éternelle candidate et fille de l’ex-président Alberto Fujimori.
Mais cette attaque pourrait paradoxalement changer la donne. Quand un candidat est victime d’une tentative d’assassinat, l’opinion publique a souvent tendance à se mobiliser autour de lui.
La criminalité organisée s’invite-t-elle en politique ?
La grande question qui hante désormais tous les états-majors : les cartels et les bandes criminelles cherchent-ils à influencer directement le résultat des élections ?
Dans plusieurs pays d’Amérique latine, le phénomène n’est pas nouveau. Au Mexique, plus de 30 candidats ont été assassinés lors des dernières élections. En Équateur, un candidat présidentiel a été abattu en pleine rue en 2023.
Le Pérou semblait jusqu’à présent épargné par ce niveau de violence politique. Cette attaque contre Rafael Belaunde pourrait marquer un tournant terrifiant.
Les réactions ne se sont pas fait attendre
Dès les premières heures, les condamnations ont afflué de tous les bords politiques. Même ses adversaires directs ont exprimé leur solidarité.
Pedro Cateriano a été l’un des premiers à réagir publiquement, qualifiant l’événement de « mauvais début de campagne » tout en soulignant que « les délinquants n’ont pas atteint leur objectif ».
La police, elle, a promis une enquête approfondie. Mais dans un pays où l’impunité règne souvent, beaucoup doutent que les commanditaires soient un jour identifiés.
Vers une campagne sous haute tension
À quatre mois du scrutin, cette attaque pose une question cruciale : les candidats vont-ils pouvoir faire campagne librement ? Va-t-on assister à une militarisation des meetings et des déplacements ?
Déjà, plusieurs voix s’élèvent pour demander une protection renforcée pour tous les candidats déclarés, quel que soit leur bord politique.
Car si Rafael Belaunde a eu de la chance cette fois-ci, rien ne dit que le prochain ne paiera pas de sa vie son engagement politique.
Le Pérou se trouve à un carrefour dangereux. Entre une criminalité qui défie l’État et une classe politique discréditée, le pays risque de basculer dans une zone d’ombre dont il mettra des années à sortir.
Une chose est sûre : l’image de Rafael Belaunde, visage ensanglanté mais debout, risque de marquer durablement cette campagne électorale hors norme.
Et peut-être, paradoxalement, de transformer une tentative d’assassinat en tremplin politique inattendu.









