Ils avaient à peine 11 ou 12 ans quand leurs parents les ont arrachés à la France pour les plonger au cœur du prétendu « califat » de l’État islamique. Aujourd’hui, à 22 ou 23 ans, ils vivent toujours dans l’enfer des camps kurdes ou des prisons irakiennes. Et ils veulent rentrer.
Leur histoire n’est pas banale : parmi eux figure le fils de celui qui, le 14 novembre 2015, avait revendiqué au nom de Daech les attentats du Bataclan et des terrasses parisiennes. Un nom qui, dix ans après, fait encore frissonner.
Une procédure pour forcer la main de l’État
Fin novembre, le tribunal administratif de Paris a examé leurs requêtes. Objectif : contraindre le ministère des Affaires étrangères à réexaminer leurs dossiers de rapatriement, refusés en 2024 pour des raisons de « sécurité » et de « complexité sur le terrain ».
Leur avocate, Me Marie Dosé, ne mâche pas ses mots : ces jeunes majeurs « n’ont rien choisi ». Emmenés enfants dans une zone de guerre, ils ont grandi entre bombardements, propagande et, pour certains, blessures graves. Elle parle d’urgence vitale.
« Ce sont des Français qui crient à l’aide dans le désert syrien depuis des années. »
Me Marie Dosé, avocate des trois jeunes
Qui sont ces trois jeunes Français ?
Youssef Boudouaia, Adem Clain et Amza Benabed. Trois prénoms, trois parcours brisés dès l’enfance.
- Youssef Boudouaia souffre de crises d’épilepsie quotidiennes et d’un lourd handicap après des blessures de guerre.
- Adem Clain est le fils de Fabien Clain, la voix française de la revendication des attentats du 13-Novembre.
- Amza Benabed a été transféré en Irak où il risque la peine de mort, ou à tout le moins la prison à perpétuité.
Ils ne se connaissaient pas forcément avant la Syrie. Mais ils partagent le même statut : citoyens français, mineurs au moment des faits, aujourd’hui majeurs et toujours détenus loin de chez eux.
Un refus jugé « arbitraire » par le rapporteur public
Point crucial de l’audience : le rapporteur public – dont les conclusions sont souvent suivies – a estimé que le refus de rapatrier Youssef Boudouaia et Adem Clain était arbitraire. Un mot lourd de sens dans une procédure administrative.
Pour Amza Benabed, la situation est encore plus critique. La France a validé son transfert vers l’Irak, où les procès de présumés membres de Daech sont expéditifs. Son avocate y voit une manière détournée de « le condamner à mort ».
Les arguments du Quai d’Orsay
Face à ces demandes, l’État reste sur une ligne dure : la situation en Syrie et en Irak reste « particulièrement complexe et dangereuse ». Les opérations de rapatriement sont présentées comme quasi-impossibles à organiser en toute sécurité.
Pourtant, en septembre 2025, la France a bien rapatrié dix enfants et trois femmes. Preuve que, quand la volonté politique existe, des solutions sont trouvées.
Le paradoxe français
Depuis 2019, Paris a rapatrié par bribes : enfants orphelins ou très jeunes, parfois avec leurs mères. Mais les jeunes majeurs, eux, restent abandonnés. Comme si, en passant le cap des 18 ans, ils perdaient soudain tout droit à la clémence.
Le poids du nom de famille
Adem Clain porte un patronyme maudit. Son père, Fabien Clain, toulousain converti, était l’une des figures les plus connues du djihad français. Mort en 2019 dans un bombardement, il laisse derrière lui une ombre immense.
Mais Adem avait 12 ans quand il a été emmené. Il n’a jamais combattu, jamais porté d’arme. Doit-on le punir éternellement pour les crimes de son père ?
La question divise profondément l’opinion. D’un côté, les familles de victimes du 13-Novembre, pour qui le simple nom de Clain est insupportable. De l’autre, des magistrats, des avocats et des associations qui rappellent que la responsabilité pénale est individuelle.
Que dit le droit ?
La France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme pour son refus systématique de rapatrier ses ressortissants. En 2022, la CEDH avait déjà ordonné le réexamen de dossiers d’enfants.
- Article 3 de la Convention européenne : interdiction des traitements inhumains ou dégradants.
- Article 8 : droit au respect de la vie privée et familiale.
- Principe constitutionnel français : la France doit protéger ses nationaux en danger à l’étranger.
Pourtant, l’exécutif traîne des pieds. Entre realpolitik et peur du retour de djihadistes, le sujet reste explosif.
Et demain ?
La décision du tribunal administratif est attendue d’ici mi-décembre 2025. Si les juges suivent le rapporteur public, l’État sera contraint de réexaminer les dossiers. Voire d’organiser des rapatriements.
Mais même en cas de victoire judiciaire, rien ne garantit que ces jeunes seront accueillis à bras ouverts. Contrôle judiciaire renforcé, bracelet électronique, placement en centre de déradicalisation… leur retour, s’il a lieu, sera sous haute surveillance.
Et la question de fond restera entière : jusqu’où un État doit-il aller pour sauver ses enfants, même quand ils portent les stigmates du pire ?
| Nom | Âge au départ | Situation actuelle | Pathologie / Risque |
|---|---|---|---|
| Youssef Boudouaia | 11 ans | Camp kurde (Syrie) | Épilepsie sévère, handicap |
| Adem Clain | 12 ans | Camp kurde (Syrie) | Fils du revendicateur du Bataclan |
| Amza Benabed | 12 ans | Prison en Irak | Risk peine de mort ou perpétuité |
Cette affaire n’est pas isolée. Des dizaines d’autres jeunes Français, emmenés enfants dans la zone irako-syrienne, attendent encore. Certains ont passé plus de dix ans loin de tout, dans des conditions que l’ONU qualifie régulièrement de « catastrophiques ».
Le temps presse. Les camps kurdes se vident peu à peu, les autorités locales menacent de libérer les détenus étrangers. Et chaque mois qui passe rend plus difficile une éventuelle réinsertion.
Derrière les débats juridiques et politiques, il y a des vies brisées dès l’enfance. Des vies que la France, un jour ou l’autre, devra bien regarder en face.









