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Arrestation d’Ayachi Hammami : La Tunisie Basculée dans l’Autoritarisme

L’avocat Ayachi Hammami, figure historique de la gauche tunisienne, vient d’être jeté en prison seulement quelques jours après sa condamnation à 5 ans. Il dénonce une décision « politique » de Kais Saied. Mais jusqu’où ira cette vague d’arrestations qui frappe les opposants ? La suite est glaçante…

Imaginez un homme de 65 ans, costume impeccable, qui a passé sa vie à défendre les droits humains sous les dictatures de Bourguiba et Ben Ali, se faire arrêter sans même pouvoir exercer son dernier recours juridique. C’est exactement ce qui est arrivé mardi à Ayachi Hammami, avocat respecté et figure emblématique de l’opposition de gauche en Tunisie.

Cette arrestation, brutale et précipitée, intervient quatre jours seulement après celle de la poétesse et opposante Chaïma Issa. Elle illustre parfaitement la mécanique de répression qui s’est installée depuis l’été 2021 et le coup de force institutionnel du président Kais Saied.

Un verdict confirmé, une liberté volée

Condamné en première instance à huit ans de prison, Ayachi Hammami avait vu sa peine réduite à cinq ans en appel la semaine dernière. Il comparaissait libre dans le cadre du méga-procès dit du « complot contre la sûreté de l’État ». Une quarantaine d’opposants, politiciens, avocats et militants étaient jugés aux côtés de lui pour des accusations d’« atteinte à la sécurité intérieure et extérieure » et d’« adhésion à un groupe terroriste ».

Normalement, la loi accorde dix jours pour former un pourvoi en cassation. Mais mardi, les autorités n’ont pas attendu. Elles ont procédé à l’arrestation immédiate de l’avocat, comme l’a confirmé son défenseur, Me Amine Bouker : « Ils ne lui ont pas laissé le temps de casser l’appel ».

« C’est une décision politique prise par Kais Saied et son gouvernement d’emprisonner des dizaines et dizaines de Tunisiens »

Ayachi Hammami, dans une vidéo préparée avant son arrestation

Une vidéo testament diffusée sur Facebook

Conscient du risque imminent, Ayachi Hammami avait enregistré une vidéo qu’il a programmée pour publication en cas d’arrestation. Ses mots sont durs et sans concession.

Il y dénonce une réponse exclusivement répressive aux problèmes structurels du pays : éducation en crise, transports défaillants, santé en souffrance. Pour lui, le pouvoir choisit la stigmatisation de ceux qui osent critiquer plutôt que la résolution des vrais problèmes.

À 65 ans, celui qui fut brièvement ministre chargé des droits humains en 2020 se retrouve derrière les barreaux pour avoir simplement exercé son droit à la critique politique.

Un parcours de résistant devenu cible du régime

Ayachi Hammami n’est pas un inconnu. Militant dès les années de plomb sous Bourguiba, il a continué son combat sous Ben Ali. Avocat des prisonniers politiques, défenseur des libertés, il incarnait une certaine idée de la gauche tunisienne attachée aux droits fondamentaux.

Son passage éclair au gouvernement en 2020, six mois seulement, montre qu’il n’a jamais été un extrémiste mais un homme de dialogue. Pourtant, depuis 2021, il est devenu l’une des cibles privilégiées du pouvoir.

La mécanique d’une répression tous azimuts

L’arrestation d’Ayachi Hammami s’inscrit dans une longue série. Depuis les mesures exceptionnelles de juillet 2021, qui ont vu Kais Saied dissoudre le Parlement et s’octroyer les pleins pouvoirs, les ONG tunisiennes et internationales alertent sur un recul dramatique des libertés.

Avocats, journalistes, militants associatifs, responsables politiques : personne ne semble à l’abri. Deux outils juridiques sont particulièrement utilisés :

  • Le chef d’accusation de « complot contre la sûreté de l’État », vague et pratique pour neutraliser toute opposition.
  • Le décret-loi 54 sur les « fausses informations », qui permet d’incarcérer quiconque critique trop bruyamment le président ou sa politique.

Des dizaines de personnes croupissent aujourd’hui en prison pour ces motifs. Parmi elles, des figures aussi diverses que Rached Ghannouchi, leader d’Ennahdha, ou des jeunes blogueurs.

Chaïma Issa, arrestation symbolique quatre jours plus tôt

Le timing n’est pas anodin. Quatre jours avant Ayachi Hammami, c’est Chaïma Issa, poétesse et membre du Front de salut national, qui a été arrêtée en pleine manifestation dans le centre de Tunis.

Cette militante connue pour son verbe incisif et ses prises de position courageuses contre la dérive autoritaire représente une autre facette de l’opposition : celle des femmes et des artistes qui refusent de se taire.

Son arrestation lors d’un rassemblement pacifique montre que même l’espace public n’est plus sûr pour ceux qui contestent le pouvoir.

Le berceau du Printemps arabe en danger

Il y a quatorze ans, la Tunisie déclenchait le Printemps arabe. Des millions de personnes dans le monde arabe regardaient ce petit pays comme un modèle de transition démocratique réussie.

Aujourd’hui, beaucoup s’interrogent : que reste-t-il de cette révolution ? La Constitution de 2014, l’une des plus progressistes du monde arabe, a été remplacée par un texte taillé sur mesure pour Kais Saied en 2022.

Le Parlement est affaibli, la justice est sous pression, les médias indépendants sont menacés. Et surtout, des centaines de familles vivent dans l’angoisse de voir un proche arrêté pour ses opinions.

Une société civile qui résiste malgré tout

Malgré la peur, la société civile tunisienne reste mobilisée. Syndicats, associations de magistrats, organisations de défense des droits humains continuent de documenter, d’alerter, de manifester quand c’est possible.

Les avocats, en première ligne, paient un lourd tribut. Plusieurs d’entre eux sont aujourd’hui derrière les barreaux pour avoir simplement défendu leurs clients ou exercé leur liberté d’expression.

Cette solidarité professionnelle est l’un des derniers remparts face à l’arbitraire.

Vers une normalisation de l’arbitraire ?

Ce qui frappe dans l’affaire Ayachi Hammami, c’est la banalisation de l’exception. Ce qui aurait été impensable il y a quelques années – arrêter un avocat respecté sans respecter les délais légaux – devient presque routine.

Le message envoyé est clair : personne n’est à l’abri, pas même ceux qui ont consacré leur vie à la défense des droits. Et surtout pas ceux qui osent encore dire que le roi est nu.

En emprisonnant des figures comme Ayachi Hammami ou Chaïma Issa, le pouvoir ne fait pas que neutraliser des opposants. Il cherche à décourager toute une génération de continuer le combat pour la démocratie.

Un avenir incertain pour la Tunisie

Quatorze ans après la révolution, la Tunisie se trouve à la croisée des chemins. Le pays qui avait montré qu’une dictature pouvait être renversée pacifiquement risque de redevenir un État où critiquer le président vaut la prison.

L’arrestation d’Ayachi Hammami n’est pas qu’un fait divers judiciaire. C’est un symptôme alarmant d’une dérive qui, si elle n’est pas stoppée, pourrait enterrer durablement les espoirs nés en 2011.

Dans les rues de Tunis, dans les facultés, dans les cafés, nombreux sont ceux qui se posent la même question : jusqu’où ira cette répression ? Et surtout, qui sera le prochain ?

À retenir : L’arrestation d’Ayachi Hammami, intervenue sans respect des délais légaux, marque une étape supplémentaire dans la consolidation d’un pouvoir qui n’accepte plus la contradiction. Derrière les barreaux, ce ne sont pas seulement des individus qui sont enfermés, mais une partie de l’âme de la révolution tunisienne.

La communauté internationale observe, parfois silencieuse, parfois critique. Mais dans les faits, la Tunisie continue de glisser vers un autoritarisme que beaucoup pensaient définitivement révolu.

L’histoire jugera. En attendant, des hommes et des femmes comme Ayachi Hammami paient le prix fort pour avoir cru que la liberté d’expression était définitivement acquise.

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