Imaginez : vous atterrissez à 9 heures du matin à Montpellier, vous avez déjà vos billets retour pour dimanche après-midi, et entre-temps vous remplissez vos valises avec 500 paquets de cigarettes achetés en promotion. C’est exactement ce qu’ont fait trois ressortissants algériens le 28 novembre dernier… jusqu’à ce que la police ne les accueille un peu trop chaleureusement.
Un aller-retour express qui sent le soufre
Les faits sont simples, presque trop beaux pour être honnêtes. Trois hommes, tous de nationalité algérienne, débarquent d’un vol matinal. Leurs passeports sont tamponnés le jour même. Dans leurs bagages : rien d’anormal à l’aller. Mais à peine quelques heures plus tard, les voilà contrôlés avec une quantité industrielle de tabac.
Cinq cents paquets. Pas dix, pas cinquante. Cinq cents. De quoi remplir plusieurs valises XL et faire rougir n’importe quel douanier. Le tout acheté, selon leurs dires, pour « profiter des promotions dans les centres commerciaux de l’Odysseum ou d’Auchan ».
Leur explication ? Un week-end shopping éclair. Arrivée vendredi, courses le samedi, départ dimanche. Une organisation millimétrée… qui pose tout de même quelques questions.
Quand le « tourisme promotionnel » devient suspect
Car voyager plusieurs milliers de milliers de kilomètres juste pour bénéficier de prix plus bas sur les Marlboro et les Camel, cela relève soit d’une passion dévorante pour les bonnes affaires, soit d’un calcul économique bien plus juteux.
En Algérie, le prix moyen d’un paquet de cigarettes tourne autour de 300 à 400 dinars (2 à 3 euros) dans le circuit officiel, mais le marché parallèle explose avec des produits de contrebande vendus jusqu’à 600-700 dinars. En France, même avec les taxes parmi les plus élevées d’Europe, certaines marques restent parfois moins chères en promotion qu’au marché noir algérien.
Le différentiel, même faible, devient énorme quand on multiplie par 500, puis par 10 ou 20 voyages par an. Et c’est là que l’histoire prend une tout autre dimension.
Des passeports qui racontent une autre histoire
Les enquêteurs n’a pas mis longtemps à éplucher les historiques de voyage des trois individus. Et là, surprise : les tampons s’enchaînent à une cadence impressionnante. France-Algérie, Algérie-France, parfois tous les quinze jours, parfois toutes les trois semaines.
Des allers-retours si fréquents qu’ils en deviennent presque routiniers. Un rythme incompatible avec un simple tourisme ou même des visites familiales classiques. On parle ici d’une logistique quasi professionnelle.
« Ils avaient des billets aller-retour réservés depuis plusieurs semaines, avec toujours le même schéma : arrivée vendredi matin, départ dimanche après-midi. C’est une organisation rodée », confie une source proche du dossier.
Un trafic connu mais difficile à enrayer
Ce type de « go-fast aérien » low-cost n’est pas nouveau. Depuis plusieurs années, des réseaux utilisent les vols réguliers entre l’Algérie et les grandes villes françaises (Marseille, Lyon, Lille, Toulouse, Montpellier…) pour acheminer du tabac en quantité.
Les mules prennent un billet aller-retour pas cher (parfois moins de 150 euros), remplissent leurs valises au maximum autorisé (souvent deux bagages de 23 kg en soute), passent les contrôles douaniers à l’arrivée en France sans déclarer, puis reviennent avec le maximum de cartouches possibles.
La législation française autorise 200 cigarettes par personne en provenance d’un pays hors Union européenne (soit 1 cartouche). Au-delà, c’est de la contrebande caractérisée. Avec 500 paquets pour trois, on est très loin du simple dépassement.
Pourquoi Montpellier ?
La ville n’est pas choisie au hasard. L’aéroport Montpellier-Méditerranée propose des liaisons directes avec plusieurs villes algériennes (Alger, Oran, Constantine) via Air Algérie ou ASL Airlines. Les vols sont fréquents, les prix compétitifs, et les contrôles, selon certains habitués, parfois moins stricts qu’à Roissy ou Orly.
De plus, l’aire urbaine offre de nombreux hypermarchés avec des opérations promotionnelles régulières sur le tabac, surtout en fin de mois. Un vrai paradis pour qui veut maximiser son « rendement ».
Relâchés, mais pas blanchis
Après leur interpellation, les trois hommes ont été placés en garde à vue. Mais faute d’éléments suffisants pour une détention provisoire immédiate (pas d’antécédents en France, pas de flagrant délit de revente), ils ont été remis en liberté sous contrôle judiciaire.
Cela ne signifie pas la fin de l’affaire. L’enquête se poursuit, notamment sur la régularité de leurs voyages, leurs éventuels complices en France et en Algérie, et le circuit de revente une fois le tabac arrivé à destination.
Les douanes et la police judiciaire travaillent main dans la main pour tenter de démanteler ce qui ressemble de plus en plus à un réseau structuré.
Un phénomène qui coûte cher à l’État
La contrebande de tabac représente un manque à gagner colossal pour les finances publiques. Entre les taxes non perçues et la concurrence déloyale faite aux buralistes, on parle de plusieurs centaines de millions d’euros chaque année.
Et ce n’est pas seulement une histoire d’argent. Le tabac de contrebande alimente aussi des réseaux parfois liés à d’autres formes de criminalité : travail clandestin, blanchiment, voire financement d’activités plus graves.
Et demain ?
L’affaire de Montpellier n’est qu’un épisode parmi d’autres. Tant que le différentiel de prix existera, tant que les contrôles resteront aléatoires, et tant que les sanctions resteront relativement légères pour les petites mains, le phénomène perdurera.
Certains appellent à un renforcement des effectifs douaniers dans les aéroports régionaux. D’autres proposent une harmonisation des prix du tabac au niveau européen, voire une coopération plus poussée avec l’Algérie.
En attendant, les vols Montpellier-Alger continueront d’afficher complet le vendredi… et les valises continueront, pour certaines, de sentir un peu trop fort le tabac blond.
À retenir : Ce n’est pas un cas isolé. Des dizaines, voire des centaines de voyageurs pratiquent chaque semaine ce « tourisme tabac ». L’affaire des trois Algériens de Montpellier ne fait que révéler l’ampleur d’un trafic organisé, discret, mais particulièrement juteux.
Une chose est sûre : le week-end shopping low-cost a pris une tout autre saveur.









