Imaginez un pays d’ordinaire présenté comme un îlot de stabilité en Afrique de l’Est qui bascule soudain dans le chaos. Le 29 octobre dernier, la Tanzanie a vécu une journée électorale qui a dégénéré en véritable drame humain. Des milliers de personnes dans les rues, des accusations de fraude massive, puis une répression d’une violence rarement vue sur le continent. Et au milieu de tout cela, une présidente qui, face à la polémbe internationale, assume pleinement l’usage de la force.
Une répression d’une ampleur terrifiante
Depuis la fin octobre, les chiffres circulent et glacient le sang. L’opposition et plusieurs organisations de défense des droits humains avancent le nombre effarant de plus de mille manifestants tués par les forces de l’ordre en quelques jours seulement. Des témoignages font état de tirs à balles réelles dans la foule, de disparitions nocturnes et même de corps enterrés à la hâte dans des fosses communes pour effacer les traces.
Internet a été coupé au plus fort des affrontements, empêchant toute diffusion d’images ou de preuves en temps réel. Un black-out numérique qui, selon de nombreux observateurs, visait précisément à masquer l’ampleur du carnage.
« Des camions entiers de corps emportés la nuit, des familles qui cherchent leurs proches sans jamais les retrouver… »
Un défenseur des droits humains tanzanien, sous couvert d’anonymat
Une présidente qui assume sans trembler
Face à cette tempête, Samia Suluhu Hassan a choisi la ligne dure. Lors d’un discours prononcé à Dar es Salaam, elle a justifié l’intervention des forces de sécurité en parlant d’une « réponse proportionnée » face à une menace existentielle pour le gouvernement.
Elle a présenté les manifestations comme une tentative de coup d’État déguisé. Selon elle, laisser faire aurait équivalu à abdiquer le pouvoir. « Devions-nous rester les bras croisés ? » a-t-elle lancé, rejetant catégoriquement les accusations d’usage excessif de la force.
Ce ton défiant a surpris par sa fermeté. Celle qui était pourtant perçue, à son arrivée au pouvoir en 2021, comme une figure d’ouverture après les années autoritaires de John Magufuli, semble avoir définitivement choisi le camp de la continuité répressive.
Des élections sous très haute tension
Revenons au point de départ : le 29 octobre, les Tanzaniens étaient appelés aux urnes pour élire leur président et leurs députés. Très vite, l’opposition a dénoncé des irrégularités massives : bourrage d’urnes, intimidation d’électeurs, disqualification arbitraire de candidats.
Samia Suluhu Hassan a été réélue avec un score écrasant frôlant les 98 %. Un chiffre qui, dans le contexte, a immédiatement soulevé l’incrédulité. Ses principaux adversaires ? L’un était en prison, l’autre disqualifié pour des motifs jugés politiques.
Le principal parti d’opposition, Chadema, a vu ses activités suspendues pour avoir refusé de signer un nouveau code de conduite électorale imposé par le pouvoir. Le parti réclamait des réformes profondes pour garantir la transparence du scrutin. Refus catégorique des autorités.
Les principaux points de crispation avant le scrutin :
- Suspension du parti Chadema
- Disqualification de nombreux candidats d’opposition
- Refus de réformes électorales réclamées depuis des années
- Arrestations ciblées de figures politiques majeures
Tundu Lissu, l’opposant numéro un dans le viseur
Impossible de parler de cette crise sans évoquer Tundu Lissu. Charismatique, déterminé, rescapé d’une tentative d’assassinat en 2017, il incarne la résistance face au pouvoir en place. Arrêté peu avant le scrutin, il est aujourd’hui inculpé de trahison – un chef d’accusation passible de la peine de mort en Tanzanie.
Son crime ? Avoir appelé à manifester contre ce qu’il qualifie de hold-up électoral. Pour ses partisans, cette inculpation est la preuve que le régime ne tolère plus aucune voix discordante.
La communauté internationale hausse le ton
Le 27 novembre, le Parlement européen a franchi un cap en appelant à la suspension de l’aide européenne à la Tanzanie tant que des enquêtes indépendantes n’auraient pas été menées sur les violences. Des sanctions ciblées contre les responsables sont même évoquées.
Réponse de Samia Suluhu Hassan ? Un rejet cinglant teinté de références postcoloniales : « Ils se prennent toujours pour nos maîtres, pour nos colonisateurs ». Elle a également minimisé l’impact financier, rappelant que l’aide internationale est déjà en forte baisse partout dans le monde.
Cette sortie a été interprétée comme un message clair : la Tanzanie entend gérer ses affaires internes sans ingérence extérieure, quel qu’en soit le prix diplomatique.
Un silence assourdissant sur le bilan humain
À ce jour, le gouvernement tanzanien refuse toujours de communiquer le moindre chiffre officiel sur le nombre de victimes. Ce mutisme alimente toutes les rumeurs et renforce la conviction que les autorités ont quelque chose à cacher.
Des ONG parlent de corps jetés dans l’océan, d’autres de fosses communes creusées à la hâte en périphérie des grandes villes. Des familles entières sont sans nouvelles de leurs proches arrêtés lors des manifestations.
« On nous prive même du droit de faire notre deuil »
Une mère dont le fils a disparu après une manifestation à Dar es Salaam
Et maintenant ? Vers une nouvelle explosion ?
Le gouvernement a annulé les célébrations de la fête nationale prévues le 9 décembre – une première dans l’histoire récente du pays. Officiellement pour des raisons budgétaires. En réalité, tout le monde sait que c’est pour éviter un nouveau rassemblement massif de contestataires.
L’opposition, malgré la répression, appelle déjà à de nouvelles manifestations ce jour-là. Dans un climat où la peur côtoie la colère, la moindre étincelle pourrait remettre le feu aux poudres.
La Tanzanie se trouve à un carrefour dangereux. Soit le pouvoir accepte un dialogue national et des enquêtes indépendantes, soit le pays risque de s’enfoncer dans une spirale autoritaire dont il mettra des années à sortir.
Une chose est sûre : ce qui se joue aujourd’hui à Dar es Salaam, Arusha ou Zanzibar dépasse largement les frontières tanzaniennes. C’est tout le modèle de la stabilité à l’africaine, souvent vantée comme un exemple, qui vacille sous nos yeux.
En résumé, les éléments clés de la crise actuelle :
- Élections du 29 octobre dénoncées comme frauduleuses
- Répression ayant causé plus de 1000 morts selon l’opposition
- Refus total du gouvernement de reconnaître un bilan humain
- Arrestation de Tundu Lissu pour trahison
- Suspension du principal parti d’opposition
- Tensions accrues avec l’Union européenne
- Nouvelles manifestations prévues le 9 décembre
Dans les rues de Tanzanie, la peur règne. Mais la détermination aussi. L’histoire nous a appris que lorsqu’un peuple a goûté à la liberté d’expression, il devient très difficile de le faire taire définitivement. Reste à savoir à quel prix cette quête de dignité se paiera dans les semaines et les mois à venir.
Suivez l’évolution de cette situation dramatique. Car ce qui se passe en Tanzanie aujourd’hui pourrait bien préfigurer les défis démocratiques de demain sur tout le continent africain.









