Imaginez un territoire ravagé par deux années de guerre où, depuis quelques semaines seulement, le bruit des bombes a laissé place à un silence lourd, presque inquiétant. Dans la bande de Gaza, un cessez-le-feu fragile tient bon depuis le 10 octobre. Pourtant, chaque jour apporte son lot d’incidents, de tirs et de déclarations qui rappellent combien la paix reste précaire. C’est dans ce contexte électrique que le Qatar, médiateur historique, vient de hausser le ton : il faut passer « très bientôt » à la deuxième phase des négociations.
Un cessez-le-feu qui vacille sur la Ligne jaune
Depuis le retrait partiel des troupes israéliennes, une ligne de démarcation a été tracée à l’intérieur même de l’enclave palestinienne. Baptisée Ligne jaune, elle sépare les zones encore sous contrôle militaire israélien du reste du territoire. Cette frontière invisible est devenue le symbole des tensions persistantes.
Chaque incident y est scruté, amplifié, parfois exploité. L’armée israélienne affirme avoir neutralisé plus de quarante combattants palestiniens en une semaine lors d’opérations ciblées dans les tunnels situés derrière cette ligne. Des opérations présentées comme défensives, mais qui ravivent la méfiance des deux côtés.
Les tunnels, éternel point de crispation
Les souterrains de Gaza ne sont pas une découverte. Ils ont servi à acheminer armes, vivres et combattants pendant des années. Aujourd’hui, ils cristallisent les peurs israéliennes : et si le Hamas s’y réorganisait en secret ?
Pour le Qatar, ces tunnels compliquent indéniablement la situation, mais ils ne doivent pas servir de prétexte pour reporter les discussions. Le message est clair : la présence de combattants dans ces galeries ne saurait bloquer indéfiniment la marche vers une paix durable.
« Nous pensons que nous devrions pousser les parties à passer très, très bientôt à la deuxième étape »
Majed al-Ansari, porte-parole du ministère qatari des Affaires étrangères
Le dossier douloureux des otages et des corps
L’accord de cessez-le-feu reposait sur un échange clair : tous les otages vivants contre un retrait partiel israélien. Les vingt derniers otages encore en vie ont bien regagné Israël dès les premiers jours. Mais un détail empoisonne encore l’atmosphère : sur les vingt-huit dépouilles promises, seules vingt-six ont été remises.
Le Hamas explique ce retard par l’ampleur des destructions. Retrouver des corps dans des bâtiments effondrés, sous des tonnes de gravats, demande du temps et des moyens que Gaza n’a plus. Le Qatar, conscient de cette réalité, refuse que ce point devienne un obstacle insurmontable.
Pour Doha, la restitution des deux corps manquants doit rester un impératif humanitaire, mais elle ne peut pas hypothéquer l’ensemble du processus politique à venir.
Phase 2 : les sujets qui fâchent vraiment
Si la première phase a permis un arrêt des hostilités et la libération des otages vivants, la deuxième phase s’annonce autrement plus complexe. Elle touche aux fondamentaux mêmes du conflit.
- Le désarmement progressif ou total du Hamas
- La mise en place d’une autorité de transition pour gouverner Gaza
- Le déploiement d’une force internationale de stabilisation
- La reconstruction sous contrôle international
- Les garanties de sécurité pour Israël
Autant de points qui, pris séparément, sont déjà explosifs. Pris ensemble, ils représentent un véritable défi diplomatique. Personne n’imagine le Hamas accepter de déposer les armes sans contreparties majeures. Personne n’imagine Israël accepter une force internationale sans veto sur sa composition et ses règles d’engagement.
Le rôle central et délicat du Qatar
Depuis des années, Doha joue les intermédiaires là où d’autres ont échoué. Sa relation historique avec le Hamas, son alliance stratégique avec les États-Unis et sa capacité à parler à tous font du petit émirat un acteur irremplaçable.
Mais cette position n’est pas sans risque. Chaque déclaration qatarie est décortiquée à Tel Aviv comme à Ramallah. Chaque initiative est soupçonnée de favoriser un camp plus que l’autre. Pourtant, le message reste constant : seule la négociation peut éviter un retour à la guerre totale.
Un calendrier sous très haute tension
Le cessez-le-feu actuel n’a pas de date de péremption officielle, mais tout le monde sait qu’il ne tiendra pas indéfiniment sans progrès concrets. Les incidents se multiplient. Les discours se durcissent des deux côtés. L’opinion publique israélienne, traumatisée par les événements du 7 octobre, reste intraitable sur la sécurité.
Côté palestinien, la colère accumulée après deux ans de siège et de bombardements rend toute concession explosive. Dans ce contexte, l’appel qatari à accélérer la phase 2 ressemble à une course contre la montre.
Et si la fenêtre se refermait ?
L’histoire du conflit israélo-palestinien est jalonnée de cessez-le-feu qui n’ont débouché sur rien. Des accords signés dans l’urgence, puis oubliés quand la pression retombait. Aujourd’hui, la communauté internationale semble vouloir croire que cette fois pourrait être différente.
Le plan porté à l’origine par le président américain Donald Trump a permis l’impensable : un arrêt des combats après deux années d’une violence inouïe. Mais ce même plan prévoyait explicitement une deuxième phase ambitieuse. Reporter cette étape, c’est prendre le risque que tout l’édifice s’effondre.
Le Qatar le sait. Les États-Unis le savent. L’Égypte, autre médiateur, le sait aussi. Reste à convaincre les deux parties que le coût d’un retour à la guerre serait infiniment plus élevé que celui des concessions nécessaires pour construire une paix, même imparfaite.
Vers une gouvernance post-Hamas ?
L’un des points les plus sensibles de la phase 2 concerne la future gouvernance de Gaza. L’idée d’une autorité transitoire, soutenue par la communauté internationale, est sur la table depuis longtemps. Mais qui la composerait ? L’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, discréditée aux yeux de nombreux Gazaouis ? Des technocrates indépendants ? Des représentants de la société civile ?
Et surtout, comment garantir que cette autorité ne soit pas perçue comme une tutelle imposée de l’extérieur ? Le sujet est d’autant plus brûlant que le Hamas, même affaibli militairement, conserve une base populaire non négligeable.
La force internationale, solution ou illusion ?
Le déploiement d’une force de stabilisation internationale fait partie des scénarios envisagés. Des précédents existent : au Liban avec la FINUL, au Kosovo avec la KFOR. Mais Gaza n’est ni le Liban ni le Kosovo. Le terrain est exigu, densément peuplé, et les acteurs armés multiples.
Israël exigerait très probablement un droit de regard sur la composition et les règles d’engagement de cette force. Le Hamas, lui, y verrait une occupation déguisée. Trouver un compromis acceptable par tous relève de la gageure.
Le Qatar, une nouvelle fois, se positionne en facilitateur. Son message reste le même : oui, les obstacles sont immenses, mais l’alternative – une reprise des combats – serait catastrophique pour tout le monde.
Un espoir ténu, mais réel
Dans ce tableau bien sombre, il existe pourtant des raisons d’espérer. Le fait même qu’un cessez-le-feu tienne depuis plusieurs semaines est déjà une petite victoire. Le retour des otages vivants a redonné un visage humain à cet accord.
Des enfants retrouvent leurs parents. Des familles entières pleurent de joie là où elles pleuraient de douleur il y a encore peu. Ces images, relayées dans le monde entier, rappellent que derrière les communiqués et les calculs politiques, il y a des vies humaines.
Le Qatar, en appelant à ne pas laisser passer cette fenêtre historique, joue pleinement son rôle de médiateur. Reste à savoir si Israël et le Hamas sauront entendre cet appel avant que les sirènes ne retentissent à nouveau.
Car dans ce conflit, le temps n’a jamais été un allié de la paix.









