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Incendie à Hong Kong : 156 Morts et une Enquête sous Tension

156 morts dans l’incendie le plus meurtrier à Hong Kong depuis 1948. Le gouvernement promet une enquête « indépendante »… mais arrête déjà ceux qui demandent des comptes. La vérité pourra-t-elle émerger ?

Imaginez-vous réveillé en pleine nuit par une chaleur insoutenable et des cris qui percent le silence. En quelques minutes, votre immeuble devient un brasier géant. C’est exactement ce qu’ont vécu des milliers d’habitants de Wang Fuk Court, dans la banlieue nord de Hong Kong, il y a quelques jours à peine.

Le bilan est effroyable : au moins 156 morts, des dizaines de disparus et une ville entière plongée dans le deuil. C’est la pire catastrophe incendie qu’ait connue le territoire depuis plus de soixante-quinze ans.

Le drame qui a tout changé en une nuit

Le sinistre s’est déclaré dans un complexe résidentiel en rénovation. Cinq des sept tours ont été ravagées en un temps record. Les flammes, aidées par des filets de protection placés sur les échafaudages, se sont propagées à une vitesse terrifiante.

Ces filets, censés protéger les ouvriers, étaient en réalité non conformes aux normes incendie. Pire : certains entrepreneurs auraient délibérément mélangé des matériaux conformes et non conformes pour tromper les inspections. Une pratique qui, si elle est avérée, relève de la mise en danger délibérée de milliers de vies.

Des familles entières ont été décimées. Des enfants, des personnes âgées, des couples qui dormaient paisiblement n’ont eu aucune chance. Des corps calcinés rendent encore l’identification difficile : vingt-neuf victimes restent anonymes à l’heure actuelle.

Une réponse officielle rapide… mais déjà contestée

Face à l’ampleur du désastre, le chef de l’exécutif, John Lee, a annoncé la création immédiate d’un « comité indépendant » chargé d’établir les causes exactes et de proposer des réformes profondes.

« Je vais mettre en place un comité indépendant, chargé de mener une enquête approfondie et exhaustive afin de réformer le système de construction et d’éviter que de telles tragédies ne se reproduisent », a-t-il déclaré.

Ce comité sera présidé par un juge. Un choix qui rappelle les anciennes « commissions d’enquête » héritées de l’époque britannique, connues pour leur indépendance relative. Mais le terme employé – « comité » et non « commission » – intrigue déjà les observateurs.

Parallèlement, quinze personnes ont été arrêtées pour homicide involontaire. L’organisme anti-corruption et la police mènent une enquête conjointe. Des perquisitions ont eu lieu, des documents saisis. Les autorités semblent vouloir montrer qu’elles agissent vite.

Quand demander des comptes devient un délit

Mais un autre phénomène, beaucoup plus inquiétant, accompagne cette catastrophe : la répression de ceux qui osent poser des questions.

Miles Kwan, un étudiant de 24 ans, avait lancé une pétition en ligne réclamant une véritable transparence. Plus de 10 000 signatures en moins de vingt-quatre heures. La pétition a été supprimée. Lui a été arrêté pour « intention séditieuse ».

D’autres voix critiques ont subi le même sort. Kenneth Cheung, ancien conseiller de district connu pour ses positions pro-démocratie, a été interpellé avant d’être relâché sous caution. Des habitants venus prier ou déposer des fleurs ont été interrogés, parfois embarqués.

« Il est crucial de ne pas traiter comme des criminels ceux qui réclament des réponses après ce tragique incendie », a immédiatement réagi Elaine Pearson, directrice Asie de Human Rights Watch.

Interrogé sur ces arrestations, John Lee a répondu qu’il ne tolérerait « aucun délit, et en particulier ceux qui exploitent la tragédie ».

Un air de déjà-vu pour les Hongkongais

Près des tours sinistrées, les murs se couvrent à nouveau de petits mots manuscrits. Le même procédé qu’en 2019 lors des grandes manifestations pro-démocratie. Des messages de soutien, de colère contenue, d’espoir fragile.

Une jeune femme de trente ans, venue accomplir les rites funéraires traditionnels, confie son désarroi : « Il faut absolument une enquête pour déterminer les responsabilités, y compris celles du gouvernement. » Elle ajoute, la voix brisée : « Mais je suis pessimiste. L’avis des Hongkongais n’a plus d’importance. »

Depuis la loi sur la sécurité nationale imposée par Pékin en 2020, et son durcissement l’an dernier avec des peines pouvant atteindre sept ans pour sédition, le climat s’est considérablement tendu. Plus de trois cents arrestations pour des motifs liés à la sécurité nationale rien qu’en un mois.

Des défaillances systémiques évidentes

Au-delà du drame humain, cette catastrophe met cruellement en lumière des failles structurelles profondes.

  • Contrôles de sécurité laxistes sur les chantiers
  • Utilisation généralisée de matériaux dangereux pour réduire les coûts
  • Corruption présumée dans l’attribution et le suivi des travaux publics
  • Manque de moyens pour les pompiers face à des immeubles toujours plus hauts
  • Absence de plans d’évacuation efficaces dans de nombreux vieux ensembles résidentiels

John Lee l’a lui-même reconnu : des réformes s’imposent en matière de sécurité, de supervision, de normes de construction et d’entretien. Des mots qui sonnent comme un aveu.

Vers une enquête vraiment indépendante ?

La grande question reste entière : ce « comité indépendant » aura-t-il vraiment les mains libres ?

Dans le passé, certaines commissions d’enquête ont pu travailler avec une certaine autonomie. Mais le contexte politique a radicalement changé depuis 2019. La loi sur la sécurité nationale plane sur toutes les investigations sensibles.

Quand un simple étudiant qui demande des comptes finit en garde à vue, comment croire que des responsables haut placés pourraient être inquiétés ? Beaucoup de Hongkongais en doutent déjà.

Une ville en deuil qui retient son souffle

Au pied des tours noircies, les rites funéraires se poursuivent dans un silence lourd. Des familles entières viennent récupérer les affaires de leurs proches ou simplement se recueillir.

Les bancs, les poteaux, les murs sont recouverts de milliers de petits papiers. « Reposez en paix », « On ne vous oubliera pas », « Justice pour les victimes ». Des mots simples qui disent tout le désespoir et la colère contenue.

Icy Luo, 27 ans, venue allumer de l’encens, murmure : « La vérité est encore loin d’être établie. » Comme tant d’autres, elle craint que cette catastrophe ne devienne un nouveau sujet tabou.

Hong Kong, ville de tous les contrastes, traverse aujourd’hui l’une des périodes les plus sombres de son histoire récente. Entre le souvenir encore vif des manifestations de 2019 et la réalité d’un contrôle toujours plus serré, ce terrible incendie agit comme un révélateur brutal.

156 vies perdues. Des familles détruites. Une confiance déjà fragile qui s’effrite un peu plus. Et au milieu de tout cela, une question lancinante : la vérité pourra-t-elle un jour éclater au grand jour, ou sera-t-elle, elle aussi, étouffée par les flammes de la censure ?

Pour l’instant, la ville pleure ses morts. Et retient son souffle en attendant la suite.

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