Imaginez un enfant coincé sous une tente brûlante, au milieu d’un océan de plastique blanc et de sable. Autour de lui, plus rien ne ressemble à une enfance normale. Et pourtant, en quelques secondes, il se retrouve à courir dans une forêt, à caresser un chien imaginaire, à tendre la main vers des papillons multicolores. Ce n’est pas un rêve. C’est la réalité virtuelle qui, à Gaza, devient un outil de survie psychologique.
Quand la technologie devient un refuge pour l’âme
Dans le camp d’al-Zawayda, au centre de la bande de Gaza, une tente un peu particulière attire les regards. À l’intérieur, des enfants portent d’étranges casques. Leurs corps sont bien là, assis sur des chaises en plastique, mais leurs esprits voyagent très loin des ruines et des souvenirs de bombardements.
Ils rient, ils s’appellent, ils décrivent des arbres immenses, des rivières cristallines, des animaux qu’ils n’ont parfois jamais vus en vrai. Pour quelques minutes précieuses, la guerre s’efface.
Un simple casque pour reconstruire un monde intérieur
Salah Abou Roukab a quinze ans. Une blessure à la tête a déformé son crâne. Il garde encore des cicatrices visibles sur le visage. Quand on lui pose délicatement le casque sur la tête, son sourire timide change tout.
« On entre dans un jardin. Il y a des animaux, des fleurs, de l’herbe… » raconte-t-il ensuite, les yeux brillants. Pour lui, comme pour des centaines d’autres, ces instants ne sont pas un simple divertissement. Ce sont des respirations vitales.
« Il n’y a que des arbres, rien que des arbres, de l’herbe et des fleurs »
Salah, 15 ans, après une séance
Ces mots simples résument tout le pouvoir de l’expérience : offrir un espace où la violence n’existe plus.
Techmed Gaza : quand les programmeurs deviennent thérapeutes
Derrière cette initiative se trouve l’équipe de Techmed Gaza. Leur conviction est claire : la réalité virtuelle peut faire bien plus que distraire. Elle peut soigner.
Les jeux ne sont pas choisis au hasard. Chaque environnement, chaque interaction est pensé pour répondre à des objectifs thérapeutiques précis : réduire l’anxiété, restaurer la confiance, réapprendre la joie, accepter un corps meurtri.
Abdalla Abou Chamale, superviseur du programme, l’explique avec une conviction tranquille :
« Avec la réalité virtuelle, nous obtenons des résultats en cinq à sept séances là où les méthodes traditionnelles demandent dix à douze séances. »
Des enfants amputés, d’autres qui ont tout perdu, certains qui ne parlaient plus : tous ont montré, selon lui, des progrès spectaculaires.
L’ampleur invisible du traumatisme
Derrière ces casques se cache une réalité terrifiante. Près de deux ans de conflit ont laissé des traces indélébiles sur toute une génération.
Selon l’UNICEF, environ un million d’enfants – pratiquement tous les enfants de Gaza – ont besoin d’un soutien psychologique urgent. L’OMS parle d’un impact « énorme » sur la santé mentale, avec des syndromes de stress post-traumatique massifs.
Quelques chiffres qui donnent le vertige :
- Plus de 70 000 morts depuis octobre 2023 (données ministère de la Santé de Gaza)
- Pratiquement 100 % des enfants exposés à des événements traumatiques graves
- Services psychosociaux disponibles : dramatiquement insuffisants
Dans ce contexte, chaque initiative compte. Et celle-ci semble particulièrement efficace.
Pourquoi la réalité virtuelle fonctionne si bien
Le cerveau d’un enfant traumatisé reste en état d’alerte permanent. Les souvenirs envahissent le présent à tout moment. La réalité virtuelle crée une rupture totale.
En immergeant complètement l’enfant dans un univers sécurisant, elle permet au système nerveux de se poser. Le corps comprend enfin qu’il peut se détendre. Les émotions positives reviennent. Petit à petit, l’espoir reprend sa place.
Et surtout, l’enfant redevient acteur. Il marche, il touche, il décide. Dans un quotidien où il n’a plus aucun contrôle, c’est une renaissance.
Des séances qui transforment
À la fin de chaque atelier, les enfants sortent surexcités. Certains courent raconter à leurs parents ce qu’ils ont vu. D’autres restent silencieux, mais leurs yeux parlent pour eux.
On voit des sourires qu’on n’avait plus vus depuis des mois. Des enfants qui recommencent à jouer. Des adolescents qui acceptent enfin de parler de ce qu’ils ont vécu.
Dans un camp où l’eau manque, où la nourriture est rationnée, où le bruit des drones rappelle constamment la menace, ces quelques minutes de paix sont inestimables.
Un fragile cessez-le-feu, une urgence intacte
Le cessez-le-feu entré en vigueur le 10 octobre offre un répit. Mais il reste précaire. Les destructions sont immenses. Les traumatismes, eux, ne partiront pas avec la fin des combats.
Les besoins en santé mentale explosent. Les structures classiques sont débordées, quand elles existent encore. Dans ce vide, des initiatives comme Techmed Gaza prennent une importance vitale.
Elles prouvent qu’on peut innover même dans les pires conditions. Qu’on peut apporter de l’espoir avec très peu de moyens. Et surtout, qu’on n’a pas besoin d’attendre la paix totale pour commencer à guérir.
Et demain ?
Les responsables du programme ne comptent pas s’arrêter là. Ils envisagent d’étendre les ateliers, de former plus d’encadrants, de créer de nouveaux environnements encore plus adaptés.
Car chaque enfant qui retrouve le sourire est une victoire. Chaque séance qui raccourcit le chemin vers la guérison est un pas vers un avenir possible.
Dans l’enfer de Gaza, des casques de réalité virtuelle font pousser des forêts entières dans le cœur des enfants. Et parfois, c’est exactement ce dont le monde a besoin : un peu de vert au milieu du gris.
Parce que même quand tout semble perdu, il reste toujours une porte vers ailleurs. Et aujourd’hui, à Gaza, cette porte ressemble à un simple casque posé sur la tête d’un enfant.









