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Coup d’État en Guinée-Bissau : La CEDEAO Exige le Retour à l’Ordre

Des militaires renversent le président en pleine proclamation des résultats électoraux en Guinée-Bissau. La CEDEAO condamne et suspend le pays, le Nigeria ouvre ses portes à l’opposant Fernando Dias… Que va devenir ce petit pays rongé par l’instabilité et le narcotrafic ?

Imaginez : vous êtes à quelques heures de connaître le nom du prochain président. Les bureaux de vote sont fermés, les bulletins comptés, et soudain… des blindés dans les rues, des soldats qui investissent le palais, le processus électoral suspendu net. C’est exactement ce qui s’est passé le 26 novembre en Guinée-Bissau. Un nouveau coup de force dans un pays qui en a déjà connu tant que l’on peine à les compter.

Un putsch au pire moment possible

Le timing n’a rien de fortuit. La veille de la proclamation officielle des résultats de l’élection présidentielle et des législatives, des militaires dirigés par le général Horta N’Tam, pourtant considéré comme un proche du président sortant Umaro Sissoco Embalo, décident de prendre le pouvoir. Motif invoqué : la découverte d’un prétendu complot impliquant des « barons de la drogue » nationaux. Un argument qui, dans ce pays souvent qualifié de plaque tournante du narcotrafic, fait aussitôt dresser l’oreille.

En quelques heures, le président Embalo est brièvement arrêté avant d’être exfiltré vers le Sénégal, puis il atterrit à Brazzaville où il réside désormais. Le processus électoral est gelé. Et la Guinée-Bissau replonge dans l’incertitude politique qui la caractérise depuis son indépendance en 1974.

La réaction immédiate et ferme de la CEDEAO

Dès le lendemain du coup, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest passe à l’action. Suspension de la Guinée-Bissau de tous ses organes décisionnels. Envoi rapide d’une délégation de haut niveau à Bissau, menée par le président en exercice de l’organisation, le Sierra-Léonais Julius Maada Bio.

Lundi, cette délégation a rencontré les nouveaux maîtres du pays. À la sortie, le message est sans ambiguïté. Alhaji Musa Timothy Kabba, ministre sierra-léonais des Affaires étrangères, déclare :

« Nous avons condamné le coup d’État et demandé le rétablissement immédiat de l’ordre constitutionnel, ce qui implique notamment de permettre au processus électoral d’aboutir à sa conclusion logique. »

Côté junte, on parle de « discussions productives » et on promet de poursuivre le dialogue. Mais pour l’instant, rien de concret n’est annoncé quant à un calendrier de retour des civils au pouvoir ou de reprise des élections.

Le Nigeria ouvre grand ses portes à Fernando Dias

Dans ce contexte déjà tendu, un geste fort du géant ouest-africain. Abuja annonce officiellement accorder l’asile politique à Fernando Dias, principal opposant à Umaro Sissoco Embalo lors de la présidentielle du 23 novembre.

Le jour même du putsch, des hommes armés avaient tenté de l’arrêter à son QG de campagne. Il avait réussi à leur échapper et s’était caché dans le pays avant que la nouvelle de son exfiltration ne soit rendue publique. Fernando Dias n’avait pas mâché ses mots : il affirmait avoir remporté l’élection et accusait directement le président sortant d’avoir « organisé » le coup d’État pour éviter la défaite.

Le porte-parole du ministère nigérian des Affaires étrangères justifie la décision :

« Cette décision est guidée uniquement par les impératifs de paix, de sécurité des personnes et de stabilité régionale, conformément au rôle historique du Nigeria comme force de stabilisation en Afrique de l’Ouest. »

Un message à peine voilé : le Nigeria ne reconnaît pas la légitimité de la junte et choisit clairement son camp, celui de l’opposition démocratique.

Un pays prisonnier de ses démons historiques

Pour comprendre l’ampleur du choc, il faut replonger dans l’histoire tourmentée de la Guinée-Bissau. Depuis l’indépendance du Portugal, le pays a connu :

  • Quatre coups d’État réussis
  • Une multitude de tentatives avortées
  • Des assassinats politiques (dont celui du président João Bernardo « Nino » Vieira en 2009)
  • Une instabilité chronique qui empêche tout développement durable

Petit État de deux millions d’habitants coincé entre le Sénégal et la Guinée Conakry, la Guinée-Bissau traîne une réputation peu enviable : celle d’être devenue, au fil des années, une étape clé du trafic de cocaïne entre l’Amérique latine et l’Europe. Des officiers supérieurs, des politiciens, parfois même des présidents ont été accusés – et parfois sanctionnés par les États-Unis – d’être impliqués dans ce commerce.

Le terme narco-État n’est plus une exagération pour certains analystes. Et c’est précisément cet argument – la lutte contre les « barons de la drogue » – que la junte brandit aujourd’hui pour justifier son intervention. Une rhétorique déjà entendue par le passé et qui laisse sceptique une grande partie de la communauté internationale.

Un gouvernement de transition déjà en place

Preuve que la junte entend s’installer dans la durée : samedi, elle a nommé un gouvernement de 28 membres, majoritairement composé de civils. Un signal censé rassurer sur la volonté de ne pas gouverner seul par les armes. Mais dans le même temps, aucun calendrier électoral n’est avancé, aucun engagement clair sur la reprise du processus interrompu.

Le nouveau ministre des Affaires étrangères, Joao Bernardo Vieira (homonyme troublant de l’ancien président assassiné), parle de « réunion très productive » avec la CEDEAO et promet de « trouver une solution le plus rapidement possible ». Des paroles qui, pour l’instant, restent lettre morte.

Quelles issues possibles pour la Guinée-Bissau ?

Plusieurs scénarios se dessinent à court terme :

  1. Négociation sous pression régionale : la CEDEAO maintient la suspension et les sanctions, la junte accepte un calendrier de transition rapide avec reprise des élections.
  2. Durcissement et isolement : refus de céder, sanctions renforcées, risque de déstabilisation accrue et d’intervention extérieure (peu probable mais jamais exclue en Afrique de l’Ouest).
  3. Statu quo déguisé : la junte reste au pouvoir sous couvert d’un gouvernement civil, les élections sont reportées sine die, le pays continue de sombrer.

Pour l’instant, la position de la CEDEAO semble inflexible : pas de levée de suspension tant que l’ordre constitutionnel n’est pas rétabli et que le processus électoral n’a pas repris. Le Nigeria, poids lourd de la région, a déjà montré la voie en protégeant l’opposant Dias.

Dans ce petit pays où la politique se joue souvent à coups de kalachnikov plus qu’aux urnes, la communauté internationale retient son souffle. Car l’histoire a montré que l’instabilité en Guinée-Bissau a rapidement des répercussions sur toute la sous-région : trafics en tous genres, flux migratoires, menace terroriste aux portes du Sahel.

Au-delà des déclarations officielles, une question demeure : les militaires accepteront-ils de rendre le pouvoir qu’ils viennent de saisir ? Ou la Guinée-Bissau s’enfonce-t-elle, une fois de plus, dans un cycle de violence et d’incertitude dont elle peine à sortir depuis près de cinquante ans ? L’avenir proche nous le dira. Mais une chose est sûre : l’Afrique de l’Ouest, déjà secouée par de multiples crises, n’avait vraiment pas besoin de ce nouveau foyer de tension.

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