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Centre Spatial Guyane Condamné pour Destruction d’Espèces Protégées

Le Centre spatial de Kourou vient d’être condamné pour avoir détruit sans autorisation l’habitat de plusieurs espèces protégées, dont une grenouille rare. Préjudice : 9,7 millions d’euros et des décennies de restauration. Mais comment l’un des joyaux technologiques français a-t-il pu en arriver là, et surtout…

Imaginez un instant : des fusées qui s’élèvent majestueusement dans le ciel tropical, symbole de la conquête spatiale européenne… et à quelques mètres seulement, une petite grenouille rare qui voit son habitat rasé par des bulldozers. Cette scène, aussi surréaliste qu’elle puisse paraître, vient de se produire en Guyane française, au cœur même du Centre spatial guyanais.

Une condamnation historique pour le fleuron spatial français

Lundi, le tribunal judiciaire de Cayenne a rendu un verdict qui fait trembler les murs habituellement silencieux du monde spatial. Le Centre national d’études spatiales, gestionnaire de la base de Kourou, a été reconnu coupable de destruction d’espèces animales protégées et d’atteinte à leurs habitats naturels. Le tout, sans la moindre autorisation préalable.

Ce n’est pas une simple amende de principe. La justice a imposé une réparation du préjudice écologique et des mesures compensatoires à mettre en œuvre dans un délai strict de trois ans. Un précédent qui pourrait bien changer la donne pour tous les grands projets d’infrastructure dans les territoires ultramarins riches en biodiversité.

Que s’est-il réellement passé sur le site du pas de tir Diamant ?

Retour en 2022. Le Centre spatial décide de réhabiliter l’ancien pas de tir Diamant, inutilisé depuis des décennies. À côté, un projet de parc photovoltaïque baptisé PV2 voit le jour. Des travaux d’envergure sont lancés. Problème : aucune dérogation espèces protégées n’a été demandée, alors que la présence de plusieurs d’entre elles était connue.

Au moins quatre espèces inscrites sur les listes de protection ont été directement touchées. Parmi elles, une petite grenouille devenue le symbole de cette affaire : le leptodactyle ocellé, protégé depuis 2020 par arrêté ministériel. Cette espèce, discrète mais emblématique de la savane côtière guyanaise, a vu une partie de sa population et de son habitat purement et simplement rayée de la carte.

Le parquet a été particulièrement sévère : les responsables savaient. Des signalements avaient été faits. Des inventaires faunistiques existaient. Mais les travaux ont continué.

Un préjudice chiffré à 9,7 millions d’euros

L’expertise judiciaire commandée par le tribunal est sans appel. Le préjudice écologique est évalué à 9,7 millions d’euros. Et ce n’est pas seulement une question d’argent. Les experts estiment que la restauration complète des milieux naturels impactés prendra… plusieurs décennies.

Des zones humides essentielles pour la reproduction des amphibiens ont été asséchées ou comblées. Des corridors écologiques utilisés par les jaguars – oui, la base abrite une densité exceptionnelle de ces grands félins – ont été fragmentés. Le bilan est lourd.

« On se retrouve avec une absence d’amende pour des infractions intentionnelles aux dommages gravissimes sur des espèces menacées »

Nolwenn Rocca, coordinateur de Guyane Nature Environnement

Cette réaction d’un responsable associatif traduit le sentiment de beaucoup d’observateurs : la sanction, bien que réelle, reste en deçà de la gravité des faits.

La base de Kourou, un hotspot de biodiversité inattendu

On associe rarement un centre spatial à un sanctuaire naturel. Pourtant, les chiffres sont éloquents. Sur seulement 0,3 % du territoire guyanais, le Centre spatial guyanais concentre 16 % de la biodiversité totale de la Guyane. Seize pour cent.

Cette richesse s’explique simplement : pendant des décennies, l’accès restreint au site pour des raisons de sécurité a paradoxalement protégé la faune et la flore. Les savanes côtières, les zones humides et les forêts primaires qui entourent les installations spatiales sont devenus des refuges pour de nombreuses espèces endémiques ou menacées.

Parmi elles, on trouve :

  • Le leptodactyle ocellé, donc
  • Plusieurs espèces d’oiseaux rares
  • Une forte densité de jaguars
  • Des reptiles et amphibiens endémiques
  • Des plantes protégées

Ce paradoxe est fascinant : le lieu même de la technologie la plus avancée de France est aussi l’un de ses réservoirs de biodiversité les plus précieux.

Une procédure de plaider-coupable à la française

Le Centre spatial n’a pas cherché à contester les faits. Il a opté pour une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), l’équivalent français du plaider-coupable américain. Une procédure qui permet d’éviter un procès long et médiatisé, mais qui impose d’accepter les faits et les sanctions proposées.

En juillet 2024, une première tentative de règlement via une convention judiciaire d’intérêt public avait été rejetée par le tribunal. Le montant proposé – 10 000 euros d’amende et 20 000 euros de dommages et intérêts – avait été jugé ridicule face à l’ampleur des dégâts.

Cette fois, la justice a été plus exigeante. Pas d’amende pénale, mais des obligations de résultat très concrètes :

  1. Remettre en état le site du pas de tir Diamant
  2. Appliquer l’ensemble des mesures compensatoires prévues pour le parc photovoltaïque PV2
  3. Réaliser ces travaux dans un délai de trois ans

Quelles conséquences pour l’avenir des projets spatiaux en Guyane ?

Cette condamnation tombe à un moment crucial. La Guyane est au cœur de la stratégie spatiale européenne. Avec l’arrivée d’Ariane 6, les nouveaux lanceurs réutilisables, les projets de bases pour les mini-lanceurs, l’activité du Centre spatial guyanais est en pleine expansion.

Mais cette affaire pose une question fondamentale : comment concilier ambition spatiale et préservation d’une biodiversité exceptionnelle ?

Les associations environnementales, elles, y voient un signal fort. Pour la première fois, un grand opérateur public est condamné pour des faits aussi graves en matière environnementale. Un précédent qui pourrait inspirer d’autres procédures, notamment contre certains projets miniers ou agricoles en Guyane.

Les mesures de réparation : suffisantes ou cosmétiques ?

Le Centre spatial s’est engagé à « mettre en œuvre les mesures sollicitées ». Concrètement, cela signifie :

  • La restauration écologique du pas de tir Diamant
  • La création ou la protection de zones compensatoires équivalentes
  • Le suivi scientifique des populations impactées
  • Des modifications des procédures internes pour éviter que cela ne se reproduise

Mais beaucoup restent sceptiques. Comment restaurer en trois ans ce qui a mis des décennies à se constituer ? Comment compenser la perte définitive de certains individus d’espèces déjà rares ?

La grenouille leptodactyle ocellé, par exemple, a une reproduction très dépendante de conditions très spécifiques. Les mares temporaires détruites lors des travaux étaient probablement irremplaçables à court terme.

Un équilibre fragile entre progrès et préservation

Cette affaire illustre parfaitement la tension permanente en Guyane entre développement économique et protection de l’environnement. D’un côté, le Centre spatial emploie des milliers de personnes et représente une vitrine technologique majeure pour la France. De l’autre, il est implanté au cœur d’un écosystème unique au monde.

Depuis des années, des protocoles existent pour concilier les deux. Des inventaires faunistiques sont réalisés avant chaque nouveau projet. Des corridors écologiques sont préservés. Des zones tampon sont maintenues. Mais cette fois, le système a failli.

Et la faute n’est pas uniquement technique. Elle est aussi organisationnelle, voire culturelle. Quand la pression pour livrer un projet dans les temps devient trop forte, les considérations environnementales peuvent passer au second plan.

Vers une cohabitation plus respectueuse ?

Cette condamnation pourrait paradoxalement être une chance. Elle oblige le Centre spatial à revoir ses procédures de fond en comble. À renforcer les équipes environnement. À systématiser les consultations avec les associations et les scientifiques locaux.

Déjà, des signes positifs apparaissent. Des partenariats avec des ONG pour le suivi des jaguars existent depuis longtemps. Des programmes de sensibilisation du personnel sont en place. Cette affaire pourrait accélérer et approfondir ces démarches.

Car finalement, la Guyane a besoin des deux : de son centre spatial et de sa biodiversité exceptionnelle. L’un n’exclut pas l’autre. À condition de savoir hiérarchiser les priorités et de respecter les procédures.

La petite grenouille leptodactyle ocellé, avec ses yeux cerclés d’orange si caractéristiques, est devenue malgré elle le symbole de cette nécessaire réconciliation. Espérons que cette condamnation historique permettra de tourner la page et d’écrire un nouveau chapitre, plus respectueux, de l’aventure spatiale guyanaise.

À retenir : Le Centre spatial guyanais, malgré son rôle stratégique crucial, n’échappe pas à ses responsabilités environnementales. Cette affaire rappelle que le progrès technologique doit s’accompagner d’une exigence écologique sans compromis, particulièrement dans des territoires aussi riches et fragiles que la Guyane.

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