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Nord Nigeria : Plus de 30 Enlèvements en un Week-end

Ce week-end, plus de 30 Nigérians ont disparu dans trois attaques éclair au nord du pays. Des villages autrefois tranquilles deviennent des cibles. Et pendant ce temps, des menaces d’intervention militaire étrangère planent… Que se passe-t-il vraiment au Nigeria ?

Imaginez-vous réveillé en pleine nuit par des coups de feu et des cris. En quelques minutes, des hommes cagoulés et lourdement armés font irruption dans votre maison, vous arrachent à votre famille et vous emmènent dans la brousse. Ce cauchemar est devenu la réalité de dizaines de Nigérians ce week-end.

Une vague d’enlèvements qui ne faiblit pas

Le nord du Nigeria a été le théâtre de trois attaques coordonnées entre samedi et lundi. Le bilan provisoire fait état d’au moins trente personnes enlevées, un chiffre qui pourrait grimper à mesure que les informations remontent des zones rurales difficiles d’accès.

Cette nouvelle série de kidnappings s’inscrit dans un contexte particulièrement sombre : plus de quatre cents Nigérians ont été enlevés au cours des quinze derniers jours seulement.

Kano, l’État autrefois épargné, bascule à son tour

Ce qui inquiète particulièrement les observateurs, c’est la localisation des deux premières attaques. Les villages d’Unguwar Tsamiya et Dabawa, situés dans l’État de Kano, étaient jusqu’ici considérés comme relativement préservés.

Kano, centre commercial historique et deuxième ville la plus peuplée du pays, bénéficiait d’une réputation de stabilité dans un nord souvent chaotique. Cette image appartient désormais au passé.

Des bandes criminelles surnommées localement “bandits” ont pris pour cible ces localités reculées. Selon un rapport d’experts onusiens, au moins vingt-cinq habitants ont été emmenés de force lors de ces deux raids.

“Les assaillants étaient très lourdement armés et ont agi avec une coordination effrayante”

Extrait du rapport consulté par plusieurs agences de presse

Borno : les jihadistes toujours actifs

Plus à l’est, dans l’État de Borno, épicentre de l’insurrection jihadiste depuis 2009, neuf agriculteurs ont été kidnappés dans la nuit de dimanche à lundi.

L’attaque a eu lieu alors que les victimes travaillaient leurs champs. Des membres de la Force opérationnelle conjointe civile (CJTF), milice anti-jihadiste, ont tenté d’intervenir.

Malgré des échanges de tirs nourris avec les forces de l’ordre, les assaillants – présumés appartenir à une faction jihadiste – ont réussi à emmener leurs otages dans la brousse.

Cet incident rappelle que, quinze ans après le début de l’insurrection, la région reste un terrain de chasse pour les groupes armés.

Un phénomène national hors de contrôle

Les enlèvements contre rançon sont devenus une industrie criminelle à part entière au Nigeria. Le rapt des 276 lycéennes de Chibok en 2014 par Boko Haram avait choqué le monde, mais il n’était que le début d’une longue série.

Aujourd’hui, le phénomène a muté. Aux jihadistes du nord-est se sont ajoutés des réseaux criminels purement opportunistes dans le nord-ouest et le centre du pays.

Ces groupes opèrent avec une impunité presque totale dans les zones rurales où l’État est absent. Routes défoncées, absence de réseau téléphonique, distances énormes : tout joue en leur faveur.

Chiffres clés (juillet 2024 – juin 2025) – Source SBM Intelligence :

  • 4 722 personnes kidnappées
  • 997 incidents recensés
  • 762 victimes tuées
  • 2,57 milliards de nairas (environ 1,66 million USD) de rançons perçues

Ces chiffres, déjà terrifiants, ne représentent probablement que la partie émergée de l’iceberg. De nombreuses familles préfèrent payer en silence plutôt que de signaler l’enlèvement.

La réponse de l’État : trop peu, trop tard ?

Face à cette spirale, le président Bola Tinubu a décrété mercredi dernier un état d’urgence sécuritaire national. Il a ordonné le recrutement massif recrutement de nouvelles forces de sécurité.

Cette mesure, saluée par certains, apparaît tardive à beaucoup d’observateurs. L’armée nigériane est déjà déployée sur de multiples fronts : jihadistes à l’est, bandits au nord-ouest, séparatistes au sud-est, tensions communautaires partout.

Les effectifs manquent, l’équipement aussi. Et surtout, la corruption gangrène toujours les institutions, y compris les forces de sécurité elles-mêmes.

La menace Trump plane sur le Nigeria

À ce chaos intérieur s’ajoute une pression extérieure inattendue. Le président élu américain Donald Trump a récemment menacé d’une intervention militaire au Nigeria.

Ses déclarations font suite à ce qu’il qualifie de “meurtres systématiques de chrétiens”, une accusation catégoriquement rejetée par Abuja qui y voit une lecture biaisée des conflits intercommunautaires.

Cette sortie a provoqué une vague d’indignation nationale. Beaucoup y voient une ingérence inacceptable, d’autres une opportunité de pression pour obtenir plus d’aide militaire américaine.

Quoi qu’il en soit, elle révèle la dimension internationale prise par la crise sécuritaire nigériane.

Vers une spirale sans fin ?

Le Nigeria, géant démographique africain de plus de 220 millions d’habitants, semble pris dans un étau. D’un côté, des groupes armés de plus en plus audacieux et organisés. De l’autre, un État débordé, miné par des décennies de mauvaise gouvernance.

Les enlèvements de ce week-end ne sont qu’un épisode de plus dans une tragédie qui dure depuis trop longtemps. Et tant que les causes profondes – pauvreté extrême, absence de l’État, prolifération des armes, impunité – ne seront pas attaquées de front, la liste des victimes continuera de s’allonger.

Dans les villages d’Unguwar Tsamiya, Dabawa et du Borno, des familles attendent, espèrent, prient. Pour elles, l’état d’urgence national sonne bien creux face à la terreur du quotidien.

Le Nigeria parviendra-t-il à reprendre le contrôle de son territoire ? Pour l’instant, la question reste cruellement sans réponse.

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