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Attaques Meurtrières contre des Chinois au Tadjikistan

Cinq travailleurs chinois abattus en une semaine à la frontière tadjiko-afghane. L’ambassade de Chine ordonne l’évacuation immédiate des zones à risque. Qui se cache derrière ces attaques et pourquoi maintenant ? La situation devient explosive…

Imaginez-vous sur une route sinueuse accrochée à flanc de montagne, à plus de 4 000 mètres d’altitude, là où l’air devient rare et le moindre bruit porte à des kilomètres. Soudain, des coups de feu déchirent le silence. C’est exactement ce qui s’est produit la semaine dernière au Tadjikistan, à la frontière avec l’Afghanistan.

Cinq citoyens chinois ont perdu la vie et plusieurs autres ont été blessés dans deux attaques distinctes. Un bilan lourd qui vient rappeler, une nouvelle fois, la fragilité de cette région oubliée des cartes touristiques mais stratégique pour les grandes puissances.

Une semaine sanglante aux confins du Pamir et de Khatlon

Les faits sont glaçants par leur simplicité. Dimanche dernier, dans la région autonome du Haut-Badakhchan, deux employés de la China Road and Bridge Corporation travaillant sur un chantier routier ont été tués et deux autres grièvement blessés. Les tirs venaient du côté afghan de la frontière.

Quatre jours plus tôt, mercredi, c’était dans la région de Khatlon, plus au sud, qu’une autre attaque avait fait trois morts et un blessé parmi des travailleurs chinois. Là encore, les projectiles ont traversé la ligne de démarcation depuis le territoire contrôlé par les talibans.

Ces deux événements, séparés de plusieurs centaines de kilomètres mais unis par la même méthode, ont immédiatement fait monter la tension entre Douchanbé et Kaboul.

La réaction immédiate des autorités tadjikes

Le cabinet du président Emomali Rakhmon n’a pas mâché ses mots. Il a qualifié ces actes d’« illégaux et provocateurs » et exigé des autorités talibanes qu’elles mettent fin à ces agissements.

Les gardes-frontières tadjiks, habitués à surveiller cette frontière longue de 1 350 kilomètres et particulièrement difficile à contrôler, ont renforcé leur présence dans les secteurs touchés.

« Deux incidents de tirs depuis l’Afghanistan vers le Tadjikistan la semaine dernière ont fait cinq morts et cinq blessés »

Cabinet présidentiel tadjik

Pékin ordonne l’évacuation de ses ressortissants

L’ambassade de Chine à Douchanbé n’a pas attendu pour réagir. Dès lundi, elle a publié un communiqué demandant à toutes les entreprises et à tout le personnel chinois de quitter immédiatement les zones frontalières.

Une mesure rarissime qui montre à quel point la situation est prise au sérieux par Pékin, habituellement discret sur les incidents touchant ses travailleurs à l’étranger.

Cette décision concerne des centaines, voire des milliers de personnes travaillant sur les nombreux chantiers des Nouvelles routes de la soie qui traversent le Tadjikistan.

Pourquoi autant de Chinois au Tadjikistan ?

Le Tadjikistan est devenu ces dernières années un terrain privilégié pour les investissements chinois en Asie centrale. Routes, tunnels, centrales hydroélectriques, mines d’or et de métaux rares… la présence chinoise est partout.

Dans le Haut-Badakhchan notamment, les entreprises chinoises construisent des axes stratégiques destinés à relier la Chine à l’Afghanistan, puis au Turkménistan et à l’Iran. Un maillon essentiel du corridor économique sino-pakistanais prolongé.

Ces projets, souvent réalisés dans des zones extrêmement isolées, exposent les travailleurs à des risques multiples : conditions climatiques extrêmes, isolement, et maintenant menaces sécuritaires directes.

Des relations déjà tendues avec les talibans

Contrairement à ses voisins ouzbek et turkmène qui ont noué des relations pragmatiques avec les talibans, le président tadjik Emomali Rakhmon reste le seul dirigeant centrasiatique à critiquer ouvertement le régime de Kaboul.

Il reproche aux talibans de ne pas respecter les droits des Tadjiks ethniques, qui représenteraient environ un quart de la population afghane. Une question particulièrement sensible à Douchanbé.

Ces derniers mois pourtant, des rencontres discrètes avaient eu lieu entre responsables régionaux pour tenter d’apaiser les tensions. Ces attaques risquent de tout remettre en question.

Qui sont les auteurs possibles ?

La question brûlante reste entière. Les autorités tadjikes pointent directement des « citoyens afghans » sans plus de précision. Mais dans cette zone, plusieurs acteurs pourraient être impliqués.

Le groupe Jamaat Ansarullah, composé principalement de Tadjiks ayant combattu aux côtés des talibans puis ayant pris leurs distances, est actif dans le nord de l’Afghanistan.

L’État islamique au Khorassan (EI-K) maintient également des cellules dans les provinces frontalières et a déjà revendiqué des attaques contre des intérêts chinois par le passé.

Enfin, certains observateurs n’excluent pas des éléments criminels locaux profitant du chaos pour régler des comptes ou voler du matériel.

Une frontière impossible à sécuriser complètement

La frontière tadjiko-afghane est l’une des plus difficiles à contrôler au monde. Des vallées encaissées, des cols à plus de 5 000 mètres, des rivières tumultueuses… et surtout des populations qui passent d’un côté à l’autre depuis des siècles.

Malgré l’aide russe et chinoise en équipements et en formation, les postes-frontières restent vulnérables. Et avec le retrait américain d’Afghanistan, la situation sécuritaire s’est encore dégradée.

Les talibans, concentrés sur leur lutte contre l’État islamique, ont parfois du mal à contrôler leurs propres frontières, surtout dans ces zones reculées.

Quelles conséquences pour les Nouvelles routes de la soie ?

Ces attaques posent une question cruciale : la Chine va-t-elle ralentir ou suspendre certains de ses méga-projets au Tadjikistan ?

Pour l’instant, aucune annonce officielle. Mais l’évacuation ordonnée par l’ambassade laisse peu de place au doute : la sécurité des travailleurs chinois est désormais la priorité absolue.

Dans un pays où la dette envers la Chine représente près de la moitié du PIB, Douchanbé se trouve dans une position délicate : protéger les investissements chinois tout en maintenant sa ligne dure contre les talibans.

Vers une nouvelle crise régionale ?

Ce qui s’est passé la semaine dernière n’est peut-être qu’un début. La conjunction de plusieurs facteurs – présence chinoise massive, tensions ethniques, groupes jihadistes actifs – crée un cocktail explosif.

Si ces attaques se répètent, elles pourraient non seulement compromettre les projets d’infrastructure mais aussi détériorer durablement les relations entre la Chine et les talibans, que Pékin avait pourtant commencé à courtiser.

Dans ces montagnes du Pamir où trois empires se sont autrefois affrontés – russe, britannique et chinois – l’Histoire semble parfois se répéter, avec de nouveaux acteurs mais les mêmes enjeux de pouvoir et de contrôle des routes.

Pour l’instant, les familles des victimes pleurent leurs morts. Et sur les chantiers, les machines se sont tues. Le silence qui règne maintenant dans ces vallées autrefois bruyantes de travaux est peut-être le signe avant-coureur de tempêtes à venir.

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