Imaginez arriver dans un pays où l’alcool est interdit depuis plus de soixante-dix ans et, du jour au lendemain, recevoir un message WhatsApp vous annonçant que vous pouvez enfin en acheter légalement. C’est exactement ce qui vient d’arriver à des milliers d’expatriés vivant à Riyad.
Un assouplissement inattendu qui fait le tour des groupes d’expatriés
Depuis quelques semaines, un vent de surprise souffle dans les compounds et les tours d’habitation de la capitale saoudienne. Des résidents étrangers non-musulmans ont constaté qu’ils pouvaient désormais accéder au seul magasin d’alcool du royaume, situé dans le quartier diplomatique de Riyad.
La condition ? Gagner plus de 50 000 riyals saoudiens par mois, soit environ 13 300 dollars. Un seuil qui correspond généralement au salaire de cadres supérieurs travaillant pour de grandes entreprises internationales implantées dans le pays.
« Nous avons été surpris et n’y avons pas cru au début », raconte un expatrié interrogé anonymement. « Des amis nous ont envoyé des messages sur WhatsApp, puis nous sommes allés vérifier nous-mêmes… et ça a fonctionné. »
Comment ça se passe concrètement dans le magasin ?
Le processus est étonnamment simple. Il suffit de présenter son numéro de titre de séjour (iqama) à l’entrée. Les employés scannent ensuite les informations et vérifient instantanément le niveau de salaire via une plateforme gouvernementale officielle.
Si le revenu mensuel dépasse le seuil requis, l’accès est accordé. Pas de formulaire interminable, pas d’attente prolongée : la validation est quasi immédiate.
Une expatriée témoigne : « Autour de nous, les gens sont devenus fous en apprenant la nouvelle, comme s’ils n’avaient jamais goûté d’alcool de leur vie ! C’est agréable de pouvoir enfin en acheter légalement à Riyad. »
D’un privilège ultra-exclusif à une ouverture progressive
Ce n’est pas la première étape. Fin novembre déjà, les détenteurs non-musulmans de Premium Residency – plus communément appelés golden visas – avaient obtenu le droit d’entrer dans ce même magasin.
Ces visas, lancés en 2019, permettent à des investisseurs ou talents étrangers de résider durablement dans le royaume moyennant des frais pouvant atteindre 800 000 riyals (près de 200 000 euros). Ils étaient jusqu’alors les seuls civils autorisés, avec les diplomates, à s’approvisionner légalement.
Aujourd’hui, l’accès s’élargit à une catégorie plus large : les hauts salariés expatriés. Une source interne au magasin confiait récemment que des milliers de personnes possédant ce visa premium étaient déjà venues faire leurs courses depuis l’ouverture officielle en janvier 2024.
Un magasin unique dans tout le royaume
Pour rappel, ce point de vente est le seul endroit légal où l’on peut acheter de l’alcool dans tout le pays. Ouvert au début de l’année 2024, il est réservé exclusivement aux non-musulmans et se trouve dans une zone sécurisée du quartier diplomatique.
Son existence même avait déjà marqué un tournant historique : pour la première fois depuis les années 1950, un commerce d’alcool ouvrait ses portes sur le sol saoudien.
Mais à l’époque, l’accès restait extrêmement restreint. L’élargissement actuel, même discret, montre que les autorités testent progressivement l’acceptabilité sociale de ces mesures.
Vision 2030 : moderniser sans brusquer
Cette évolution s’inscrit pleinement dans le vaste programme de réformes porté par le prince héritier Mohammed ben Salmane, connu sous le nom de Vision 2030. L’objectif affiché : diversifier l’économie saoudienne, très dépendante du pétrole, et attirer talents et investissements étrangers.
Pour y parvenir, le royaume cherche à rendre la vie plus agréable aux expatriés qualifiés, tout en préservant l’identité religieuse et culturelle du pays. D’où cette approche par étapes, ciblée et contrôlée.
L’alcool reste strictement interdit pour la grande majorité des 35 millions d’habitants saoudiens et pour les musulmans étrangers. Les peines encourues en cas d’infraction demeurent lourdes : amendes, prison, coups de fouet ou expulsion pour les résidents étrangers.
Une société saoudienne toujours très conservatrice
Il serait illusoire de croire à une libéralisation générale. Ces assouplissements concernent une infime minorité : les expatriés non-musulmans les mieux payés, vivant souvent dans des enclaves résidentielles fermées.
Pour le Saoudien moyen, rien ne change. La consommation d’alcool reste un tabou absolu, ancré dans l’interprétation rigoriste de la charia appliquée dans le royaume depuis des décennies.
Cette dualité – ouverture sélective pour certains, interdiction totale pour les autres – illustre parfaitement la stratégie actuelle : moderniser l’image du pays à l’international tout en évitant un choc culturel interne.
Et demain ?
Personne ne sait jusqu’où ira cette expérimentation. Certains expatriés de longue date murmurent déjà que le seuil de salaire pourrait encore baisser à l’avenir, ou que d’autres catégories être incluses.
D’autres, plus prudents, estiment que les autorités observeront attentivement les réactions avant tout nouveau pas. Une chose est sûre : chaque petite avancée fait l’effet d’un séisme dans les communautés étrangères installées à Riyad, Djeddah ou Al Khobar.
Ce qui était impensable il y a encore cinq ans devient peu à peu réalité, au compte-gouttes, dans le plus grand secret. Une révolution silencieuse est en marche dans le désert saoudien.
Le royaume le plus conservateur du Golfe continue d’étonner le monde, une réforme à la fois.
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