PolitiqueSociété

Mort d’Anicet Ekane en Détention : Drame au Cameroun

Anicet Ekane, 74 ans, figure historique de l’opposition camerounaise, est mort ce lundi en détention à Yaoundé. Arrêté fin octobre pour avoir soutenu la victoire d’un autre candidat, il n’a jamais pu être hospitalisé malgré l’urgence. Que s’est-il vraiment passé derrière les murs du SED ?

Quand un opposant historique meurt derrière les barreaux sans que les circonstances exactes ne soient connues, c’est tout un pays qui retient son souffle. Anicet Ekane, président du Manidem et figure respectée de la gauche nationaliste camerounaise, s’est éteint ce lundi matin à l’âge de 74 ans, dans les locaux du Secrétariat d’État à la Défense à Yaoundé. Une fin brutale qui soulève déjà d’innombrables questions.

Un décès qui survient après des semaines d’alertes ignorées

Son état de santé s’était visiblement dégradé très rapidement après son transfert de Douala à la capitale. Selon les proches et les responsables de son parti, plusieurs demandes d’évacuation sanitaire avaient été adressées aux autorités, la dernière datant même de la veille de son décès. Toutes sont restées sans réponse favorable.

Valentin Dongmo, vice-président du Manidem, a indiqué que le leader politique avait été placé au SED, un lieu connu pour détenir des prisonniers politiques sensibles. C’est là, loin des regards, que les signes de faiblesse sont apparus, puis se sont aggravés de jour en jour.

Une arrestation à la veille d’une proclamation contestée

Retour en arrière. Le 24 octobre dernier, à Douala, Anicet Ekane est interpellé avec d’autres responsables politiques. Nous sommes à la veille de la publication officielle des résultats de l’élection présidentielle. Des résultats qui reconduiront, sans surprise pour beaucoup, Paul Biya au pouvoir pour un nouveau mandat.

Le Manidem avait publiquement soutenu la revendication de victoire d’Issa Tchiroma Bakary, un autre candidat. Ce soutien affiché semble avoir été la goutte d’eau. Quelques heures plus tard, les forces de l’ordre passent à l’action. Direction Yaoundé et le SED.

« Des arrestations abusives dont le but manifeste est d’intimider les Camerounais qui attendent que le verdict des urnes soit respecté »

Communiqué du Manidem, octobre 2025

Cette phrase, prononcée il y a à peine un mois, prend aujourd’hui une résonance tragique.

Un parcours militant forgé dans les luttes des années 70

Pour comprendre qui était Anicet Ekane, il faut remonter loin. Né en mf 1951 à Douala, il appartient à cette génération qui a connu les grandes espérances post-indépendance. Étudiant, il rejoint très tôt l’Union nationale des étudiants kamerunais, puis l’UPC en 1973, avant de cofonder le Manidem en 1995.

Son engagement ne date pas d’hier. Dès février 1990, il fait partie du célèbre groupe Yondo Black, arrêté et jugé par un tribunal militaire. Condamné, puis gracié quelques mois plus tard, il n’a jamais renoncé. Candidat à la présidentielle en 2004 et 2011 sous les couleurs du Manidem, il incarnait une opposition de principe, ancrée à gauche et farouchement nationaliste.

Des décennies de combat, de meetings, d’écrits, de prises de position sans concession. Une vie entière dédiée à l’idée d’une autre voie possible pour le Cameroun.

Le SED, un lieu qui concentre les inquiétudes

Le Secrétariat d’État à la Défense, où Anicet Ekane a passé ses dernières semaines, n’est pas un centre de détention ordinaire. Réservé aux affaires sensibles, il échappe souvent au regard des organisations de défense des droits humains. Nombreux sont ceux qui, au fil des années, y ont rapporté des conditions particulièrement dures.

L’absence de réponse aux demandes répétées de transfert hospitalier renforce le sentiment d’une gestion opaque. Quand un détenu de 74 ans, déjà affaibli, signale des problèmes de santé graves, le silence des autorités devient assourdissant.

Hier encore, dimanche, une ultime alerte avait été lancée. Elle n’aura servi à rien.

Une onde de choc sur les réseaux sociaux

Dès l’annonce du décès, les réactions ont afflué. Sur les différentes plateformes, les messages de consternation se sont multipliés. Militants, anciens camarades de lutte, simples citoyens : tous expriment à la fois la tristesse et la colère.

Certains rappellent les combats menés ensemble dès les années 70. D’autres s’interrogent ouvertement sur les responsabilités. Le hashtag #AnicetEkane est rapidement devenu trending dans le pays, preuve que la nouvelle touche bien au-delà des cercles militants traditionnels.

Des questions qui restent en suspens

À l’heure où ces lignes sont écrites, les circonstances exactes du décès n’ont toujours pas été précisées officiellement. Les proches et le parti attendent des explications claires, mais aussi une enquête indépendante. Dans un contexte où la répression des voix dissidentes est régulièrement dénoncée, chaque silence alimente les suspicions.

Comment un homme de 74 ans, arrêté pour ses idées, a-t-il pu mourir sans qu’aucune prise en charge médicale adaptée ne lui soit accordée ? Pourquoi toutes les alertes sont-elles restées lettre morte ? Autant de questions qui risquent de hanter longtemps l’opinion camerounaise.

La disparition d’Anicet Ekane ne laisse personne indifférent. Elle rappelle, une fois de plus, le prix que certains sont prêts à payer pour défendre leurs convictions. Et elle pose, avec une acuité renouvelée, la question du traitement réservé à ceux qui osent dire non dans un système qui supporte mal la contradiction.

Au-delà du drame humain, c’est tout un pan de l’histoire politique récente du Cameroun qui semble s’éteindre avec lui. Reste à savoir si cette disparition marquera un tournant ou si elle sera, comme tant d’autres avant elle, progressivement reléguée dans l’oubli collectif. L’avenir, malheureusement, nous le dira.

Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.