Imaginez distribuer tranquillement des tracts dans la rue pour demander la vérité sur une tragédie qui a coûté la vie à 151 personnes… et vous retrouver quelques heures plus tard en garde à vue pour « sédition ». C’est exactement ce qui est arrivé à Miles Kwan, un étudiant de 24 ans, à Hong Kong, quelques jours seulement après le terrible incendie qui a ravagé un complexe résidentiel.
Cette affaire, aussi glaçante que révélatrice, illustre à quel point la liberté d’expression semble se rétrécir comme peau de chagrin dans la région administrative spéciale.
Un incendie historique qui choque le monde
Mercredi dernier, un violent incendie s’est déclaré dans un ensemble de huit tours résidentielles situées dans le nord de Hong Kong. Le bilan est effroyable : 151 morts. Il s’agit tout simplement de l’incendie d’immeuble le plus meurtrier dans le monde depuis plus de quarante ans.
Très rapidement, des questions ont surgi sur les circonstances exactes du sinistre. Des travaux de rénovation étaient en cours dans le complexe. Et dès lundi, un haut responsable gouvernemental a reconnu que certains filets de protection installés sur le chantier « ne répondaient pas aux normes de résistance au feu ».
Cette admission, aussi tardive que partielle, n’a pas suffi à calmer la colère et l’inquiétude de nombreux habitants.
Miles Kwan : un simple étudiant devient symbole
Parmi eux, Miles Kwan. À seulement 24 ans, cet étudiant a décidé d’agir. Vendredi, il distribuait des tracts dans les rues pour réclamer une chose précise : une enquête indépendante sur les causes réelles du drame.
Il avait également participé au lancement d’une pétition en ligne qui, en moins de vingt-quatre heures, avait déjà récolté plus de 10 000 signatures. Un succès fulgurant… et visiblement dérangeant.
« Si ces idées sont jugées séditieuses ou “dépassent les limites”, alors je pense que je ne peux plus prédire les conséquences de quoi que ce soit, et je ne peux faire que ce en quoi je crois vraiment »
Miles Kwan, quelques heures avant son arrestation
Ces mots, prononcés avec une lucidité presque prophétique, résonnent aujourd’hui comme un testament de courage.
Arrestation pour « soupçons de sédition »
Samedi soir, les médias locaux annoncent l’arrestation de l’étudiant. Motif invoqué : soupçons de sédition. La pétition en ligne est immédiatement supprimée.
Pendant tout le week-end, la police refuse de confirmer ou d’infirmer l’information. Silence radio total.
Puis, lundi après-midi, un journaliste assiste à une scène aussi brève qu’éloquente : Miles Kwan sort du commissariat de Cheung Sha Wan et monte dans un taxi. Visage fermé, il disparaît rapidement dans la circulation.
Aucune déclaration, aucune explication. Juste cette image d’un jeune homme qui, en quelques jours, est passé du statut d’étudiant ordinaire à celui de potentiel « menace pour la sécurité nationale ».
La réponse musclée des autorités
Le même lundi, le chef de la sécurité de Hong Kong, Chris Tang, monte au créneau. Devant la presse, il dénonce des « commentaires inexacts » publiés en ligne dans le seul but, selon lui, de « menacer la sécurité nationale ».
« Par conséquent, nous devons prendre les mesures appropriées, y compris des mesures de police »
Chris Tang, secrétaire à la Sécurité
Le message est clair : toute critique, même formulée poliment et dans le cadre d’une demande légitime de transparence, peut désormais être interprétée comme une atteinte à la sécurité du territoire.
Une enquête indépendante ? Impensable pour le gouvernement
Face à la tragédie, le gouvernement local n’a annoncé qu’une chose : la création d’un simple groupe de travail interne. Rien à voir avec les anciennes commissions d’enquête indépendantes héritées de l’époque britannique, connues pour leur impartialité.
Cette décision a immédiatement été perçue comme une volonté de garder le contrôle total sur l’information et sur les conclusions qui seront tirées.
Quand on sait que treize personnes ont déjà été arrêtées en lien avec l’incendie lui-même, et que des failles évidentes dans les équipements de sécurité ont été reconnues, la demande d’une enquête extérieure apparaît pourtant comme la moindre des choses.
Un précédent extrêmement préoccupant
L’affaire Miles Kwan n’est malheureusement pas un cas isolé. Depuis l’entrée en vigueur de la loi sur la sécurité nationale en 2020, des dizaines de militants, journalistes, élus et simples citoyens ont été arrêtés pour des motifs similaires.
Distribuer des tracts, signer ou lancer une pétition, écrire un article critique… autant d’actes qui, autrefois considérés comme relevant de la liberté d’expression la plus élémentaire, peuvent désormais valoir une descente de police.
Et le plus effrayant ? Le flou artistique entretenu autour de ce qui constitue ou non une « sédition » ou une « menace pour la sécurité nationale ». Personne ne sait vraiment où se situe la ligne rouge… jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Que risque réellement Miles Kwan ?
Sous la législation actuelle, les charges de sédition peuvent entraîner jusqu’à sept ans de prison. Et dans les affaires touchant à la sécurité nationale, les peines grimpent facilement à la perpétuité.
Même si l’étudiant a été relâché lundi (au moins temporairement), l’ombre d’une procédure judiciaire plane toujours au-dessus de lui. Et l’effet dissuasif est déjà là : combien d’autres jeunes hésiteront désormais à ouvrir la bouche ?
Un miroir tendu à la communauté internationale
Cette histoire dépasse largement les frontières de Hong Kong. Elle pose une question universelle : jusqu’où un gouvernement peut-il aller pour faire taire celles et ceux qui demandent simplement la vérité après une catastrophe ?
151 familles endeuillées méritent des réponses claires et indépendantes. Pas un rapport rédigé en interne par ceux-là mêmes qui pourraient être mis en cause.
En arrêtant un étudiant pour avoir distribué des tracts, les autorités hongkongaises envoient un message terrifiant : même le deuil et la quête de justice peuvent être criminalisés.
Et maintenant ?
Miles Kwan est rentré chez lui… pour l’instant. Mais des milliers d’autres habitants regardent cette affaire avec angoisse. Car si réclamer une enquête indépendante après la pire catastrophe incendie depuis quarante ans est considéré comme un crime, alors qu’est-ce qui ne l’est pas ?
Dans une ville qui fut longtemps un symbole de liberté au cœur de l’Asie, le silence semble peu à peu remplacer les voix. Et c’est peut-être cela, le plus grand drame après l’incendie lui-même.
À suivre, évidemment. Car l’histoire de Miles Kwan n’est probablement pas terminée. Et elle nous concerne tous.
En résumé :
– Incendie le plus meurtrier depuis 1980 (151 victimes)
– Un étudiant de 24 ans arrêté pour avoir réclamé une enquête indépendante
– Pétition de 10 000 signatures supprimée
– Autorités : « mesures appropriées » contre les « informations non vérifiées »
– Aucune commission d’enquête indépendante prévue
Cette affaire glaciale nous rappelle que la vérité, parfois, a un prix. Et qu’à Hong Kong, ce prix devient de plus en plus lourd à payer.









