Imaginez vivre au 28e étage, sentir soudain une odeur âcre, puis voir des flammes dévorer les filets de protection en quelques secondes. Mercredi après-midi, à Tai Po, ce cauchemar est devenu réalité pour des milliers d’habitants de Wang Fuk Court.
Le bilan le plus lourd depuis quarante ans
Lundi, les autorités hongkongaises ont annoncé un chiffre qui glace le sang : 151 morts confirmés. Un précédent bilan faisait état de 146 victimes, mais les recherches dans les décombres se poursuivent et le nombre pourrait encore grimuer.
Ce drame dépasse en ampleur tous les incendies survenus dans des immeubles d’habitation depuis 1980 dans le monde, hors night-clubs, prisons ou centres commerciaux. La base de données internationale des catastrophes de l’Université de Louvain en Belgique le confirme sans ambiguïté.
Un complexe de huit tours en rénovation
Wang Fuk Court compte huit tours de 31 étages et environ 2 000 logements. L’ensemble était en pleine rénovation restait habité. C’est précisément ce chantier qui focalise aujourd’hui toutes les attentions.
Comme souvent à Hong Kong, les échafaudages étaient en bambou, une pratique ancestrale toujours en usage. Des filets de protection contre la poussière et les chutes d’objets recouvraient les façades. Problème : ces filets semblent avoir joué le rôle de carburant.
« La police a collecté des échantillons de filets à 20 endroits différents. Parmi ceux-ci, sept prélevés à différents étages de quatre bâtiments ne répondaient pas aux normes de résistance au feu »
Eric Chan, responsable gouvernemental
Treize arrestations pour « homicide involontaire »
Dès le lendemain du sinistre, une enquête pour homicide involontaire a été ouverte. Résultat : treize personnes, douze hommes et une femme, ont déjà été interpellées. Elles sont soupçonnées d’avoir participé à la rénovation ou d’en être responsables.
Les investigations se concentrent sur le choix des matériaux, le respect (ou non) des normes incendie et la sécurité globale du chantier. Chaque détail compte quand des vies entières ont été balayées en quelques minutes.
La colère monte, la censure aussi
Le choc a rapidement laissé place à la colère. Sur les réseaux sociaux, des habitants exigent des comptes. Des voix s’élèvent pour dénoncer la cupidité de certains promoteurs et le laxisme des contrôles.
Mais très vite, les autorités ont changé de ton. Chris Tang, secrétaire à la Sécurité, a dénoncé des « commentaires inexacts » publiés dans le seul but de « menacer la sécurité nationale ». Il a promis des « mesures appropriées, y compris des mesures de police ».
En clair : critiquer trop fort peut désormais valoir une arrestation. Dans un territoire où la loi sur la sécurité nationale pèse déjà lourd, cette menace a de quoi inquiéter.
Des matériaux qui brûlent comme de l’essence
Les images tournées par les habitants montrent des flammes d’une violence rare. En quelques instants, les filets se sont embrasés, transformant les façades en véritables torches.
Or ces filets, censés être ignifugés, auraient dû résister plusieurs minutes au feu. Les premiers tests réalisés sur place prouvent le contraire : une grande partie ne respectait aucune norme.
Cette découverte soulève une question brutale : combien d’autres chantiers à Hong Kong, et ailleurs en Asie, utilisent le même type de matériel dangereux par économie ?
Le bambou, tradition ou danger public ?
À Hong Kong, le bambou reste le roi des échafaudages. Léger, flexible, écologique et surtout beaucoup moins cher que l’acier, il a traversé les siècles.
Mais associé à des filets inflammables, il devient un piège mortel. Une fois le feu pris, la structure entière peut s’embraser à une vitesse terrifiante, bloquant les issues de secours et transformant chaque étage en four.
Après ce drame, des voix s’élèvent pour demander l’interdiction pure et simple de cette pratique dans les immeubles de grande hauteur. La tradition aura-t-elle raison de la sécurité ?
Un traumatisme collectif
Dans les rues de Tai Po, les fleurs s’accumulent devant le cordon de sécurité. Des familles entières viennent déposer un bouquet, une bougie, une photo. L’odeur de l’encens se mêle encore à celle, âcre, du plastique brûlé.
Beaucoup d’habitants connaissaient au moins une victime. Des grand-mères qui faisaient leurs courses, des enfants qui rentraient de l’école, des couples qui venaient d’emménager. Des vies ordinaires fauchées en un instant.
Les psychologues parlent déjà d’un traumatisme qui marquera des générations. Comment faire confiance à son immeuble, à son bailleur, aux autorités, après un tel désastre ?
Vers une prise de conscience générale ?
Ce drame pourrait devenir un électrochoc. Partout dans le monde, les tours d’habitation se multiplient. Les rénovations aussi. Et avec elles, les risques si les normes ne suivent pas.
À Londres, après Grenfell, des milliers de façades ont été contrôlées. À Hong Kong, Wang Fuk Court pourrait déclencher le même mouvement. Reste à savoir si les leçons seront vraiment tirées, ou si l’on attendra le prochain bilan à trois chiffres.
Pour l’instant, 151 familles pleurent un proche. Et une ville entière retient son souffle en espérant que ce chiffre ne montera pas plus haut.
À retenir
- 151 morts confirmés, bilan susceptible d’augmenter
- Matériaux de protection non conformes aux normes
- 13 arrestations pour homicide involontaire
- Menaces de poursuites contre les publications en ligne critiques
- Pire incendie résidentiel depuis 1980 au niveau mondial
La vigilance doit désormais être totale. Parce que derrière chaque chiffre, il y a un visage, une histoire, une vie qui ne reviendra pas.









